A trop vouloir simplifier les choses et aller à l’essentiel, nos manuels scolaires se sont, il faut bien l’avouer, considérablement appauvris. Fini le temps où le professeur d’histoire passait presque un trimestre, en classe de quatrième, à étudier la révolution française ! Désormais, on traite de cette période en dix ou douze heures de cours, maximum, et interrogation incluse. Et c’est donc à toute berzingue que les élèves voient défiler, dans leurs manuels scolaires, Louis XVI et Marie-Antoinette, Danton et Robespierre, Bonaparte et Napoléon … Quand toutefois ces mêmes manuels ne commettent pas d’erreurs ! Car combien d’entre eux s’obstinent à noter, à côté d’une gravure figurant le roi dans sa berline ou en train de se faire alpaguer dans une sombre auberge : « 21 juin 1791 – fuite du roi à Varennes ».
Le lecteur l’aura certainement remarqué : il y a un comme un hic. Tout simplement parce que le roi, évidemment, n’avait pas l’ambition de fuir là où il s’est fait prendre, mais bien de poursuivre le voyage un peu plus loin. Aussi vaudrait-il mieux parler d’arrestation à Varennes, plutôt que de fuite. Enfin …
Sans vouloir révolutionner les manuels d’histoire, rappelons toutefois que cet événement est peut-être l’un des plus décisifs de l’histoire de France et qu’il s’est déroulé en Lorraine, au milieu de l’Argonne, ce vaste massif forestier qui s’étend entre les plaines de Champagne et la Vallée de la Meuse.
Pour bien comprendre l’importance de l’affaire, il faut commencer par faire un petit bond en arrière. En 1789, face à la crise sociale et économique qui agite son royaume, Louis XVI avait convoqué les Etats Généraux, en plus de réclamer, dans chaque paroisse de France, la rédaction des fameux cahiers de doléances. Mais ces mesures n’avaient apporté aucune solution. Pire, elles ont permis au peuple de prendre conscience de sa misère et des abus de la noblesse et du clergé qui eux, bénéficiaient de l’immense privilège d’être exemptés d’impôts. Dans ce contexte, la situation devient explosive et on assiste bien vite à des émeutes et à des insurrections populaires, dont la plus célèbre reste la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. La Nation, qui s’est déclarée souveraine, oblige alors le roi et sa famille à être gardés à vue au Palais des Tuileries. Mais voilà que déjà plusieurs princes européens, craignant que la révolution ne déborde jusqu’à eux, s’allient et tentent de mener une contre révolution. Le Roi de Prusse et plus encore l’Empereur Joseph II, qui n’est autre que le frère de Marie-Antoinette, et donc fils de François III, dernier Duc héréditaire de Lorraine, lèvent déjà une armée pour tenter de renverser la situation. Plusieurs nobles français rejoignent la cause royaliste, parmi lesquels un certain Marquis de Bouillé, commandant des armées de l’Est. C’est ce personnage qui, étant stationné avec un contingent royaliste dans la citadelle de Montmédy, va convaincre Louis XVI de venir le rejoindre.
Le 20 juin 1790, peu avant minuit, Louis XVI, son épouse la Reine Marie-Antoinette et leurs deux enfants font mine d’aller se coucher. Quelques minutes plus tard, déguisés en valets, ils quittent le Palais des Tuileries. Le plan est simple : il consiste à faire passer l’équipage pour celui de la Baronne de Korff, veuve d’un colonel russe qui se serait rendue à Francfort avec ses deux enfants, un valet de chambre, une femme et trois domestiques. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Le convoi quitte Paris avec plus d’une heure de retard sur le plan initial. Dans les relais de poste, on perd encore du temps à changer l’attelage. Dès huit heures du matin, le 21 juin, la nouvelle se répand dans Paris que le roi a pris la fuite ! Le Marquis de Lafayette, qui avait pour mission de garder à vue la personne du roi, envoie des cavaliers dans toutes les directions.
A seize heures, la berline royale traverse Châlons-en-Champagne, avec près de quatre heures de retard par rapport au plan de route ! Mais on poursuit vers l’Est. Direction Sainte-Menehould. C’est là que l’équipage s’arrête une nouvelle fois, chez Jean-Baptiste Drouet, un maître de poste qui affirma avoir été frappé par la ressemblance entre la personne qui se tenait dans le carrosse et le portrait qui figure sur les assignats de cinquante livres. L’aubergiste prend alors son cheval et se dirige vers Varennes-en-Argonne, où il pense pouvoir intercepter la berline royale. Il arrive à temps pour alerter le procureur-syndic, Jean-Baptiste Sauce, que la berline du roi a fait halte dans le haut du village. Ce dernier ordonne alors qu’on barricade le pont sur l’Aire. La garde nationale de Varennes se mobilise. Le tocsin retentit. Le roi et sa famille doivent descendre de voiture. On fait venir le juge Destez, qui a vécu à Versailles. Il reconnaît formellement le roi ! S’en est désormais fini de l’évasion. Le 22 juin, à huit heures du matin, la berline fait demi-tour et reprend la route de Paris.
Louis XVI et sa famille ont désormais perdu la confiance du peuple. La suite, chacun la connaît. Enfermé à la prison du temple, le roi subira un procès expéditif, qui le conduira à se faire guillotiner le 21 janvier 1793. La Reine de France, Marie-Antoinette, subira le même sort le 16 octobre de la même année.
Même si la monarchie française a été restaurée en 1815, même si quelques rois ont encore régné au cours du XIXème siècle, c’est bien à Varennes, dans ce paisible petit coin de Lorraine que se sont achevés, par un soir de juin 1791, plus de sept siècles de monarchie française.
L’événement est donc capital. C’est parce que le roi s’est fait attraper à Varennes qu’on a eu, ensuite, la proclamation de la République et, par conséquent, qu’on a pu assister à l’avènement d’une France nouvelle. La France des départements, du système métrique et du Code Civil. La France de l’abolition des privilèges et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui proclame, dans son article premier, que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».