Et voilà qu’octobre touche à sa fin. Les journées, comme on l’a déjà dit, sont moins longues. Les nuits sont plus fraîches. Les premières gelées, déjà, ont fripé les prunelles le long des chemins et l’automne a paré la forêt de mille couleurs flamboyantes. La belle saison s’en va. L’hiver arrive doucement. Temps de transition propice aux rites ancestraux, aux contes et aux légendes …
Depuis la plus haute Antiquité en effet, la nuit du 31 octobre au 1er novembre est marquée par un certain nombre de coutumes et de traditions quelque peu complexes. Les Celtes déjà font de cette nuit un véritable symbole auquel, d’ailleurs, ils donnent le nom de Samain. Particulièrement importante dans le calendrier celtique, cette fête est avant tout l’antithèse de la Fête de Beltaine ou Nuit de Walpurgis des Germains. Cette dernière se tenant dans la nuit du 30 avril au 1er mai se positionne à l’exact antipode de la Nuit de Samain. Et tandis que la Nuit de Walpurgis célèbre le retour des beaux jours et de la saison lumineuse, la Nuit de Samain marque quant à elle l’entrée dans la saison sombre, froide et triste.
Signifiant « assemblée » dans les anciennes langues celtiques, le mot « Samain » renvoie directement à la réunion que nos très lointains ancêtres organisaient au soir du 31 octobre. Cette réunion, placée sous l’autorité des druides, était obligatoire. Ne pas y assister était passible de la peine de mort ! Fête du passage du monde de la lumière à celui des ténèbres, la Nuit de Samain a toujours été associée ainsi au passage du monde des vivants à celui des morts. De nombreux rites druidiques, impossible à connaître aujourd’hui, devaient être associés à la Fête de Samain. Avec le temps, ces rites et coutumes celtes se sont peu à peu transformées, jusqu’à donner naissance à la désormais célèbre Fête d’Halloween. Il est à noter toutefois qu’en Lorraine plus qu’ailleurs, les traditions liées à la fête celtique de Samain ont réussi à perdurer avec une étonnante vivacité. A l’instar des Bretons, les Lorrains pensaient en effet que les âmes des morts erraient dans les campagnes la veille de la Toussaint. Le 31 octobre au soir, nombreuses étaient les familles qui prenaient soin de laisser une bûche brûler dans la cheminée et un peu de nourriture sur la table à manger. Cette coutume, qui semble s’être pratiquée jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, était d’ailleurs connue, dans notre région, sous le nom de Samin. Il n’était pas rare également que, pour éloigner les mauvais esprits et laisser les âmes des morts se reposer en paix, on accrochât devant sa porte une citrouille creusée et dans laquelle on disposait une bougie. Une tradition établie depuis très longtemps dans notre région mais qui préfigure, déjà, la très commerciale Fête d’Halloween. Car aujourd’hui, qui parle encore de la Fête de Samain ? De Verdun à Remiremont, de Bitche à Neufchâteau, tous les Lorrains (ou presque) vous diront que le 31 octobre correspond à la Fête d’Halloween. Comment expliquer alors, que l’on soit passé d’une fête celtique, pratiquée en Lorraine depuis des siècles, à une fête dont le nom résonne comme un titre de feuilleton anglo-saxon et dont le sens et le symbole nous échappent bien souvent ?
Pour comprendre l’histoire, il faut remonter aux Celtes. Toujours eux ! C’est en Bretagne, en Ecosse et, de manière plus prégnante encore, en Irlande, que les traditions celtiques se sont le moins altérées. Malgré leur christianisation, les Irlandais ont toujours continué d’associer à la nuit du 31 octobre tout un substrat païen qui a peu à peu évolué vers la Fête d’Halloween, dont le nom viendrait précisément de l’anglais all hallows eve, c’est-à-dire « la veillée de la Toussaint ». La coutume de transformer des citrouilles en lanternes, celle d’effrayer ses voisins et de célébrer le monde des morts s’est toujours maintenue et a fini par devenir une des fêtes les plus importantes du calendrier irlandais. Au milieu du XIXème siècle, l’Irlande connaissant une grande famine, nombre de ses habitants choisissent d’émigrer vers les Etats-Unis. Et dans leurs bagages, ils emmènent évidemment leur culture et leurs traditions. Réinterprétées, parfois même altérées au contact d’autres cultures, la fête se transforme peu à peu en une sorte de carnaval de la peur, au cours duquel les enfants vont souvent quémander quelques friandises, après avoir prononcé la fameuse formule « trick or treat ! » qui, en français, peut se traduire par « des bonbons ou un sort ! ». Vers la fin des années 1990, la Fête d’Halloween fait son apparition en France et réinvestit donc une fête que nos ancêtres connaissaient déjà. Transformé, édulcoré même, le folklore « halloweenesque » apparaît donc en Lorraine à la faveur d’une mondialisation galopante. La fête n’a alors plus rien de sacré. Elle devient un énième coup de marketing, entre la rentrée des classes et les festivités de la Saint-Nicolas. Les commerces se parent alors d’un décor fait de citrouilles, de toiles d’araignées et de squelettes et les parents achètent à leurs enfants quelques bonbons et un déguisement effrayant. Sans trop savoir pourquoi. Sans toujours chercher les racines de ces traditions curieuses.
Elles sont pourtant bien de chez nous, ces racines ! Oui, elle vient bel et bien de Lorraine, cette fête étrange qui donne aux citrouilles des visages grimaçants. En Pays de Nied notamment et, de manière plus générale, en Lorraine thioise, on n’a pas oublié l’origine ancestrale de cette fête que tous appellent Halloween mais qui, dans ce petit coin de Lorraine, continue de s’appeler Rommelbootzennaat. Un nom barbare pour tous ceux qui ne parlent pas le Platt, mais que l’on traduira par « Nuit des betteraves grimaçantes ». Cette nuit, cette tradition, c’est au Château Saint-Sixte à Freistroff, situé à un jet de pierre au Sud de Bouzonville, qu’il faut aller la vivre. Chaque année en effet, le cadre médiéval de cette belle demeure des bords de Nied se prête à un festival curieux, qui n’a absolument rien à envier aux décors des films les plus noirs. Des dizaines de betteraves creusées au gré de l’imagination des uns et des autres, illuminent de leurs sourires grimaçants les fenêtres, les murs et les portes du château. Elles perpétuent ainsi une vieille tradition lorraine, qui consistait à creuser les derniers légumes récoltés pour en faire des lanternes qui, disposées aux portes, aux fenêtres, sur les margelles des puits ou à l’intersection des chemins, devaient effrayer les passants et repousser les petits enfants.
A Freistroff, c’est donc la « vraie » tradition de Samain qui continue de vivre, grâce à des passionnés, des conteurs et des musiciens. Et assurément, cet Halloween à la sauce lorraine n’a rien à envier à celui que les Américains nous ont transmis. J’aurais même tendance à dire que les Rommelbootzen ont quelque chose de plus mystérieux, de plus effrayant et de plus envoûtant aussi que tout ce que l’on peut voir ailleurs. Alors, avis aux amateurs.
Extrait de L’Année lorraine – Une petite histoire des fêtes, coutumes et traditions populaires en Lorraine, de Kévin GOEURIOT, paru aux Editions des Paraiges.