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Des origines de Château-Salins en Lorraine

Le centre bourg (Crédits photo : commune de Château-Salins)

Selon Dom Calmet, célèbre abbé de Senones au XVIIIème siècle, historien de la Lorraine bien connu, Château-Salins serait déjà mentionné dans un document daté de 1195, à savoir le testament de la Comtesse Mathilde. Il s’agit de Mathilde de Dabo (Dagsburg), Comtesse de Hombourg.

Dans ce titre, rédigé en latin, il est question de l’abbaye de Salival qu’elle avait fondée quelques dizaines d’années auparavant grâce à sa donation du village de Bourmont. Et dans la délimitation des terres, il est fait mention de bornes situées « usque ad radicem Salli Castri » ce que notre célèbre bénédictin traduisit par « jusqu’au pied de Château-Salins ». A la fin du testament, il est écrit : « datum et actum est in nostro Castro Sallo », autrement dit « fait et daté dans notre château Salli » et non pas Salins ! En effet, pour éviter toute confusion avec notre chef-lieu d’arrondissement, mieux vaut garder le mot « Salli » ou « Sallo » évoquant directement le sel ou la Seille (Salia). Les deux ayant la même racine « sal ».

Le « Castrum Sallum » mentionné par ailleurs, était, à n’en point douter, une maison forte ayant peut-être appartenu à la Comtesse Mathilde, mais qui n’a rien à voir avec Château-Salins. Il pourrait s’agir du château, dont le cadastre a conservé le souvenir sous le nom évocateur du « Chatry » qui se trouve à la limite des bans de deux antiques cités de la Vallée de la Seille : Moyenvic et Vic. Il avait été édifié sur un ancien îlot de briquetage dans un méandre de la vieille Seille, au cœur du Pays du Sel, ce qui expliquerait son étymologie : Salli Castri, Castro Sallo ou Castrum Sallum et la confusion qui s’en suivit quant à la traduction !

carte Chatry
Carte situant le « Chatry » (Crédits image : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

On peut de même observer sur une ancienne borne du secteur gravée d’une crosse abbatiale les lettres T et S qui signifient très probablement « Terra Salivalis » c’est-à-dire : Terre de Salival. Il est curieux de constater qu’elle se trouvait originellement presque à mi-chemin entre la motte castrale du Châtry et l’ancienne Abbaye des Prémontrés. A noter qu’au lieu-dit « Pré Léo », tout à côté du Châtry, pousse la « Salicorne de Vic », seule plante endémique du Saulnois.

borne Terre de Salival
Ancienne borne épiscopale indiquant la Terre de Salival (Crédits photo : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

A la fin du XIIème siècle n’existaient probablement à l’emplacement du futur Château-Salins que des terres marécageuses, inhospitalières et délaissées. La cité ne vit le jour qu’au milieu du XIVème siècle avec la construction par le Duc de Lorraine du fameux « château qu’on dit salin » qui n’a rien à voir avec le Castrum Sallum de la Comtesse Mathilde. Le bourg de Château-Salins se taillera par la suite son propre finage et l’arrondira progressivement aux dépens de ceux qui lui préexistaient, à savoir : Amelécourt au Nord, Salonnes au Sud et Coutures à l’Ouest, sans oublier Courcelles, village disparu, entre temps, au profit de cette bande des quatre. Les choses évolueront très lentement puisque la paroisse ne deviendra vraiment indépendante et autonome qu’au début du XVIIIème siècle.

carte bourg Châtea-Salins
Carte représentant l’implantation originelle de Château-Salins (Crédits image : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

Néanmoins, pour bien comprendre l’originalité de la naissance de Château-Salins, nous devons nous intéresser à la situation politique de l’époque. Nous nous trouvons en effet ici en pleine zone d’influence épiscopale. Les Evêques de Metz étaient de très puissants seigneurs richement possessionnés dans la haute Vallée de la Seille. L’imposant château construit à Vic dès la fin du XIIème siècle par l’Evêque Bertram, ami de l’Empereur Frédéric Barberousse, marquait leur forte emprise sur le Pays du Sel. En 1234, l’Evêque Jean d’Apremont, chassé de Metz par les bourgeois et les clercs de la ville, se réfugia au château de Vic, à moins d’une lieue du futur Chastel Salin. Depuis la fin du XIIIème siècle, une âpre rivalité opposait les Evêques de Metz aux Ducs de Lorraine et, parmi leurs nombreux sujets de discorde, les sources salées d’Amelécourt et de Salonnes figuraient en bonne place. Il faut toujours avoir à l’esprit qu’en ce temps-là, le sel, indispensable à la vie et à la conservation des aliments, était considéré comme de l’or blanc et les salines du Saulnois étaient farouchement convoitées par tous les puissants du pays.

Précisons également que les bans d’Amelécourt et de Salonnes aboutissaient au ruisseau de Coutures, lequel faisait office de frontière quant au territoire de chacun de ces trois villages. Ce fait est mentionné dans tous les textes anciens. Aujourd’hui encore, le rôle du fameux ruisseau salé reste déterminant pour le découpage territorial local. Il suffit d’observer attentivement les plans cadastraux pour s’en convaincre. En fait, ce ruisseau est composé de deux branches descendant des hauteurs de Coutures. L’une, au Nord, délimitait le ban avec Amelécourt et l’autre, au Sud, celui de Salonnes.

La carte ci-dessous donne une idée de ce que pouvaient être les limites du finage de chacun de ces trois villages au début du XIVème siècle.

carte finage
Carte représentant le finage d’Amelécourt, de Salonnes et de Château-Salins (Crédits image : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

Pour imaginer ce découpage, il faut bien entendu faire abstraction du ban de Château-Salins encore inexistant à cette époque. Ce plan tient compte de l’étude des différents cadastres, documents d’archives et autres cartes qui nous sont parvenus. Il s’appuie aussi sur le tracé de la rivière et surtout sur celui du fameux ruisseau salé, lequel était alors à ciel ouvert jusqu’à sa confluence avec la petite Seille. La représentation des deux principaux axes routiers actuels permet de repérer le grand giratoire du centre-ville qui reprend le contour de l’ancienne forteresse ducale. L’ancienne grande voie romaine, qui correspond pour l’essentiel à la Route Départemental 955 ne semble pas avoir joué de rôle pour les limites de finages.         

Le dessin ci-dessous de Julien Champlon, ancien président de l’association Patrimoine et Histoire de l’Arrondissement de Château-Salins, montre le débouché de notre ruisseau, aujourd’hui souterrain lors de sa traversée de la ville, dans la petite Seille. Il y aboutit au niveau de l’ancien abattoir, sous une belle arcade en pierres de taille encore bien visible du pont de l’Avenue Napoléon Ier

Julien Champlon
Dessin de Julien Champlon (Crédits image : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

La géographie politique était alors très complexe dans la basse vallée de la petite Seille. Il n’y a guère que pour Coutures, village attesté dès la fin du XIIème siècle, que les choses étaient claires. Nous étions, à cette époque, en terre d’évêché. En ce qui concerne Salonnes, la situation se révélait un peu plus subtile. Il s’y trouvait un prieuré fondé par Fulrad dès le VIIIème siècle, dont le Roi des Francs avait déjà souligné l’indépendance juridictionnelle de l’Evêché de Metz. Le plus vieux document des archives de Meurthe-et-Moselle est un diplôme signé de la main même de Charlemagne à Aix-la-Chapelle en décembre 777 confirmant ce fait. Par la suite, les bénédictins, qui s’étaient placés sous la protection et la garde des Ducs de Lorraine, profitèrent bien évidemment de leur statut de voués du prieuré pour revendiquer leurs droits sur tout le finage de Salonnes. La situation d’Amelécourt paraissait encore moins évidente. C’était certes un fief lorrain, mais le Duc devait faire hommage pour cette terre au « seigneur-évêque » qui gardait en ce lieu un droit de suzeraineté. Et, pour compliquer le tout, depuis la fin du XIIIème siècle, les Comtes de Bar, dont les alliances fluctuaient dans le temps au gré de leurs intérêts, avaient eux aussi des droits sur la seigneurie d’Amelécourt et sur ses salines qui étaient déjà en activité. En effet, le Comte Thiébaut II de Bar avait passé en 1277 un accord avec le Duc Ferri III de Lorraine pour défendre les droits de ce dernier face aux prétentions de l’Evêque de Metz sur les sources salées de Salonnes et d’Amelécourt. En contrepartie, le Duc lui avait octroyé la moitié du fief et le tiers de la saline d’Amelécourt. Celle-ci appartenait, chacun pour un tiers, au Duc, au Comte et aux seigneurs dudit lieu !

carte topographique Château-Salins
Carte topographique de Château-Salins de nos jours

En cette fin du XIIIème siècle, l’Evêque de Metz, Gérard de Rélange, avait le quasi-monopole de l’industrie du sel dans la Vallée de la grande Seille au niveau de Vic, de Moyenvic et de Marsal. Il mourut en 1302 dans la résidence qu’il avait fait bâtir au Châtry à l’emplacement supposé du vieux château de la Comtesse Mathilde. Son successeur, l’Evêque Renaud de Bar, qui était le fils du Comte Thiébaut, dut quitter Metz en 1308 pour s’installer définitivement au château de Vic, où fut progressivement transférée toute la juridiction ecclésiastique. Vic devint ainsi la capitale du temporel de l’Evêché de Metz. A la suite d’un nouveau conflit entre le Duc de Lorraine et l’Evêque Renaud, une paix fut signée en 1314. Dans le traité passé entre ces deux princes, il était, une fois de plus, fait mention d’Amelécourt, où le Duc réussit toutefois à conserver pour lui seul le droit d’installer des salines.

Article extrait du Cahier du Saulnois n°4 des Amis du Saulnois.

Rédigé par Roger RICHARD

Locuteur du Lorrain roman et Président des Amis du Saulnois et de son patrimoine pour le Groupe BLE Lorraine

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