Parmi les événements oubliés de l’Histoire de la Lorraine, on trouve, au détour de quelques livres, la Guerre des Rustauds. Le déroulement de ce conflit prouve que l’antagonisme entre Lorrains et Alsaciens ne date pas d’hier, quoiqu’il soit devenu aujourd’hui, heureusement, beaucoup plus pacifique.
En 1525, une armée de paysans alsaciens protestants fut écrasée par l’armée du Duc Antoine de Lorraine lors de la Bataille de Saverne. Terrible et sanglante, cette guerre fit au total plus de 20 000 morts. Héraut du catholicisme, le Duc Antoine nous est resté connu avec le surnom d’Antoine le Bon.
Au début du XVIème siècle, la Réforme, initiée par le prédicateur Martin Luther, modifie profondément le Saint-Empire, dont la Lorraine fait partie jusqu’au Traité de Nuremberg en 1555. Remettant en cause certains dogmes de l’Eglise et le pouvoir spirituel du Pape, la Réforme est soutenue par certains princes et violemment combattus par d’autres.
Si la Réforme n’a pas, initialement, d’objectif de transformation sociale, très vite, des prédicateurs radicaux comme Zwingli en Suisse ou l’anabaptiste Thomas Müntzer, prônent une évolution de l’ensemble de la société. La volonté de transformation radicale, voire révolutionnaire, est immédiatement perçue comme une menace par les princes. Friedrich Engels en fait d’ailleurs l’ancêtre de la révolution communiste dans son ouvrage La Guerre des paysans en Allemagne.
Un peu partout dans le Saint-Empire, des troupes de paysans s’assemblent et se rebellent sous l’influence de leaders comme Erasme Gerber en Alsace. Dans certaines régions, ces révoltes aboutissent à une prise du pouvoir comme à Munster, dans le Nord de l’Allemagne, où pendant une année, des prédicateurs anabaptistes font régner une dictature cruelle et mégalomane qui se termine par la chute de la ville et la mise à mort de ses chefs.
Cependant, en mai 1525, à la Bataille de Frankenhausen, la majeure partie des troupes paysannes du centre du Saint-Empire est battue par les princes catholiques. Pour la Lorraine, le danger est pourtant toujours bien présent, puisqu’en Alsace, aux marches de l’Empire, une armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes s’apprête à marcher sur le Duché.
En effet, le 14 avril 1525, une insurrection a éclaté dans plusieurs villes d’Alsace. Prenant de court les autorités catholiques, les insurgés gagnent du terrain et menacent les terres du Duché de Lorraine. Les paysans révoltés, surnommés les Rustauds, s’infiltrent vers le Baillage d’Allemagne et à travers le Massif vosgien. La menace est sérieuse pour le Duc Antoine puisque des paysans lorrains séduits par les idées radicales des insurgés rejoignent les Rustauds. Ainsi, une troupe de plusieurs milliers de paysans lorrains arrive, début mai 1525, au quartier général des Rustauds installé dans l’Abbaye d’Herbitzheim non loin de Saverne.
Devant la menace grandissante qui pèse sur ses terres, le Duc Antoine rassemble ses troupes à Nancy pour mener une expédition militaire. D’autres grands princes lorrains lèvent aussi des hommes pour venir prêter main forte au Duc qui devient alors le porte-étendard de l’Eglise au sein de l’Empire. Les frères du Duc Antoine, Claude de Lorraine, Comte de Guise, et Louis de Vaudémont, assemblent des milliers d’hommes à Pont-à-Mousson. Pendant ce temps, Jean de Brabauch, Capitaine de Sarreguemines, à la tête d’une petite troupe, tente de couper la route qui permet aux paysans lorrains de rejoindre les rustauds alsaciens. Un affrontement sanglant a lieu début mai et Jean de Brabauch est fait prisonnier.
Face à cet échec, le Duc Antoine ne désespère pas. Il se met en marche et rejoint, le 4 mai, Vic-sur-Seille, où l’ensemble de la noblesse lorraine se réunit. L’armée lorraine compte plus de 15 000 hommes. Des détachements de cavaliers bloquent les cols vosgiens pour contenir la menace dans la plaine rhénane. Le Duc rejoint alors Sarrebourg, où une bonne surprise l’attend puisque le Comte de Nassau-Sarrebrück se joint à lui avec une armée composée de volontaires gentilshommes.
L’affrontement devient alors inévitable entre les deux groupes. D’un côté, les Rustauds alsaciens menés par Erasme Gerber qui se sont emparés de Saverne sans combattre. La ville a en effet été livrée par un parti interne favorable aux insurgés. De l’autre côté, l’armée catholique du Duc Antoine de Lorraine. La bataille se déroule devant les murs de Saverne. Les rustauds tiennent la ville. Les Lorrains s’emparent du Château de Haut-Barr qui domine la cité. Pour ces deux belligérants que tout oppose, la religion, la classe sociale, la vision du monde, l’affrontement ne peut être qu’absolu.
A Lupstein, à côté de Saverne, une escarmouche a lieu le 16 mai entre les deux armées. Sévèrement défaits, les Rustauds sont contraints par le Duc Antoine de libérer Jean de Brabauch. Ils se voient par ailleurs imposer la reddition sans condition de la cité. Le combat, finalement, est trop inégal entre des paysans mal armés et inspirés seulement par une idéologie religieuse virant au fanatisme et une armée de métier composée des plus grands nobles lorrains et d’hommes d’armes catholiques bien préparés.
Le 17 mai, le combat reprend dans des circonstances troubles. Très vite, il tourne au désavantage des Rustauds qui sont massacrés. N’arrivant pas à freiner la rage qui s’empare de ses hommes, le Duc Antoine est contraint de voir la ville de Saverne pillée et incendiée. 20 000 rustauds vont périr durant cette journée. La cité est entièrement saccagée. Erasme Gerber est pendu et nul ne peut se cacher pendant cette longue journée au cours de laquelle la violence se déchaine. Dans l’art de la guerre, les Rustauds ont joué, ils ont perdu.
D’autres heurs ont encore lieu dans les jours de mai qui suivent, notamment à Ribeauvillé, dans le Val de Lièpvre et à Sélestat. Les bandes de Rustauds d’Alsace centrale ont eu le renfort de Suisses protestants qui amènent avec eux de l’artillerie. Cependant, à la Bataille d’Ebersmunster, le Duc Antoine bat sévèrement le Rustaud Wolf Wagner. Près de 5 000 Rustauds sont encore tués. Des princes catholiques du Sud alsacien traquent ensuite les derniers décombres des troupes insurgées. Le Duc Antoine regagne de son côté son duché. L’expédition militaire est un succès incontestable.
Le 24 mai 1525, un mois à peine après avoir assemblé ses troupes, c’est à Saint-Nicolas-de-Port, ville sainte de Lorraine, que le Duc Antoine peut les disperser non sans qu’une messe splendide ne soit célébrée à proximité du chantier de la basilique commandée par le Duc René II, son père et vainqueur du Téméraire, pour abriter les reliques du Saint patron de la Lorraine.
C’est dans cet événement sanglant que c’est pourtant écrit l’une des pages les plus glorieuses de l’Histoire de la Lorraine, chantée dans le poème épique La Rusticiade du chanoine Pilladius. L’Alsace, déjà divisée politiquement, ressort de ce conflit épuisée et affaiblie tandis que la Lorraine en est grandie, victorieuse. La famille de Vaudémont apparaît alors parmi les grands défenseurs du catholicisme et son pouvoir est incontestable en Lorraine qui est alors un duché riche et prospère. Par cet épisode militaire, la légende du XVIème siècle vécu comme un siècle d’or pour la Lorraine s’enracine.
La guerre des rustauds est directement liée à la publication de la première bible de Luther en allemand. Avoir directement accès aux Saintes Ecritures, jusque-là elles n’avaient été diffusées qu’en latin, par le clergé et donc incompréhensible pour le peuple, provoque dans tout le Saint Empire une prise de conscience de toutes les dérives et abus de toute sortes du clergé et une révolte populaire. Partout dans le monde germanique des groupes en armes se forment et s’attaquent aux autorités constituées. C’est aussi ce qui se passe en Moselle tout comme en Alsace. La bande de Sarreguemines s’attaque au Prieuré de Graefinthal et au château de la ville qu’ils ne parviennent pas à prendre, à la ville elle-même peuplée de bourgeois dans laquelle ils brûlent plusieurs maisons. Ils se rabattent finalement sur l’abbaye de Herbitzheim qu’ils pillent avant d’en faire leur quartier général. Quand Jean de Braubach Capitaine à Sarreguemines tente de les attaquer avec les troupes dont il dispose il est défait et fait prisonnier dans le Bois de Kremerich entre Siltzheim et Wittring. Les paysans s’en vont alors par la Vallée de la Sarre rejoindre les bandes de paysans alsaciens qui se regroupent près de Saverne. Les bandes du Pays de Bitche vont quand à elles rejoindre les bandes de Hagenau après avoir pillé l’abbaye de Sturzelbronn. Quand le Duc de Lorraine arrive devant Saverne les paysans se rendent rapidement compte qu’il leur faut capituler. Ils rendent leurs armes et sortent désarmés de la ville. Ce sont donc 20 000 paysans désarmés qui sont massacrés devant les murs de la ville. Si rien ne prouve qu’il y ait eu d’ordre direct du Duc force est de constater qu’il a laissé faire. Aujourd’hui il serait jugé pour génocide et crimes de guerre. Ce massacre est probablement à l’origine de l’antagonisme que les Alsaciens éprouvent pour la Lorraine et les Lorrains.
Bonjour,
Votre article, Jean-Christophe Toussaint, est très intéressant et instructif ; mais vous tirez de ces événements certaines conclusions biaisées.
La première phrase de l’article “annonce la couleur” : la Guerre des Rustauds serait un événement de l’antagonisme entre Lorrains et Alsaciens. Ainsi c’est par haine des voisins lorrains que les campagnards alsaciens du XVIème siècle ont “retourné leurs faux et brandi leurs fourche” ?
Et la conclusion aussi, repose sur un biais : “L’Alsace, déjà divisée politiquement, ressort de ce conflit épuisée et affaiblie tandis que la Lorraine en est grandie, victorieuse”. L’Alsace existait-elle à cette époque en tant qu’entité ayant une conscience “nationale” d’être l’Alsace ? Capable de se poser “comme un seul homme” dans un antagonisme face aux puissants Etats voisins (Lorraine, Bade, Wurtemberg….etc) ? Avec pour instrument, les insurgés de ses campagnes commandés par l’arrogante élite alsacienne, peut-être ?
Cette lecture de l’histoire n’est-elle pas celle d’un lorrain engagé qui s’engage trop loin dans une interprétation orientée de l’histoire ?
Personnellement, je serais plutôt convaincu par les travaux des historiens non engagés. Ceux-ci ont montré que ce n’est pas “l’Alsace rivale” que le duc Antoine a combattu, mais un danger qu’on considérait en ce temps-là comme un danger mortel pour l’ordre social féodal tout entier : on n’avait jamais vu que les campagnes se soulèvent à ce point et en un tel nombre contre l’ordre et la société établis, pour une société et un ordre nouveaux, assiégeant châteaux et prenant des villes, brûlant des églises … et ça s’étendait comme une “tache d’huile”.
Cordialement.
La bataille de Rosheim ne semble pas une bataille Lorraine puisque seuls les alsaciens qualifient de lorrains les étrangers qu’ils ont défait et qui ne parlaient pas leur langue. La troupe de francophones qui attaqua la milice impériale présente à Rosheim est à chercher du côté de chez Simon de Joinville (très attaché au duc de Lorraine) alors présent entre Trêves et Nancy. Donc une troupe française originaire de Champagne.
Votre « relation », si elle est globalement exacte, comporte un « biais » fondamental : l’opposition Lorrains contre Alsaciens là où il faudrait comprendre : rebelles politico-religieux contre tenants de la féodalité et du catholicisme. En effet, les paysans lorrains se sont également rebellés et l’Alsace a utilisé nombre de ses troupes contre ses propres rebelles. La seule « victoire » des rebelles a d’ailleurs eu lieu à Wittring (57) avec la capture du seigneur sarregueminois Johann Von Braubach. Pour éclairer l’affaire d’un autre regard, notamment sur la violente répression des rebelles lorrains, se reporter svp aux travaux de l’historien mosellan Henri Hiegel : la châtellenie et la ville de Sarreguemines de 1335 à 1630. PCA
La Guerre des Rustauds n’est pas le premier antagonisme entre Lorrains et Alsaciens. L’affaire de Rosheim, en 1218, nous montre qu’il existait déjà des différends. Quant à la Guerre des Rustauds, c’est surtout la Bataille de Scherwiller, plus que Saverne, où les Lorrains étaient devenus incontrôlables, qui assurera la suprématie du Duc Antoine. Il serait particulièrement intéressant d’exploiter la mémoire de cette guerre qui, dès le XVIème siècle, est présentée comme une « ultime croisade ». En faisant rédiger par Laurent Pillard, la Rusticiade, en faisant sonner, à la collégiale Saint Georges de Nancy, 20 coups de cloches (pour les vingt heures que le Duc passa à cheval le 24 mai 1525), on a là tout un faisceau propagandiste à la gloire des Ducs de Lorraine. La victoire sur les paysans d’Alsace (les paysans plus que les Protestants car le mouvement du Bundschuh est avant tout un soulèvement social) fait également écho à celle de Nancy, remportée par le Duc René II de Vaudémont, sur les Bourguignons, le 5 janvier 1477. Tout un symbole au final. Merci pour cet article !