Alors que ces dernières années ont été marquées par la pandémie de Covid-19 et la compétition entre les laboratoires pour trouver un vaccin efficient, les souvenirs d’un lointain cousin remontent à la surface à Rouvre-la-Chétive, dans les Vosges. Encore aujourd’hui le débat fait rage. L’un est mondialement connu, l’autre totalement oublié. Louis Pasteur a-t-il « emprunté » un procédé de vaccination au Professeur Henry Toussaint (1847-1890) ? Certains osent le dire. Toussaint était un précurseur dont le célèbre Pasteur a repris le procédé, mais sans le mentionner. Ses pairs reconnaissent entièrement son avancée pour la science. D’autant plus que si Pasteur était chimiste et physicien, Toussaint était en outre médecin et vétérinaire.
Jean-Joseph-Henry Toussaint est né le 30 avril 1847 à Rouvres-la-Chétive, dans les Vosges, sur ce plateau lorrain, où son père, Jean-Nicolas, né en 1826, était menuisier, et Barbe-Julie Henry, sa mère, née en 1817, était brodeuse. Il est décédé à 43 ans le 3 août 1890 à Toulouse d’une maladie dégénérative, potentiellement liée à ses recherches. Sa carrière fut aussi brillante que fulgurante car abrégée par la maladie qui démarra à ses 34 ans et modifia ses facultés jusqu’à son décès.
Caractérisé par l’abnégation propre à ces pays de marche, Henry Toussaint se fait remarquer par ses succès dans son école de village, son père l’initiant à son métier. Devant son habileté manuelle, il est rapidement dirigé vers l’Ecole vétérinaire de Lyon, peut-être par l’instituteur Nicolas Brusselet, ami de son père. Il y est en tout cas admis le 7 octobre 1865, à 18 ans, pour en sortir diplômé, le 3 août 1869.
L’intérêt de ses travaux le fait remarquer. Très laborieux, il prépare, outre son enseignement, le baccalauréat et une licence. Vétérinaire formé à la prestigieuse Prime Ecole de Lyon, élève chéri du grand physiologiste Chauveau, il est nommé Chef de Service de Physiologie à 22 ans. Docteur ès Sciences, docteur en Médecine, il devient ensuite Professeur de physiologie à l’Ecole Vétérinaire de Toulouse, ainsi qu’à la Faculté de Médecine en 1876. En 1877, il obtient le Prix Monthyon de l’Académie des Sciences, avant de s’engager sur les voies de la microbiologie naissante ouvertes par Pasteur.
En juillet 1878, il est le premier à isoler l’agent du choléra des poules (Pasteurella). Ces travaux lui valent le Prix Bréant. La souche de Toussaint servira plus tard à Pasteur pour ses études sur l’atténuation de la virulence. Henry Toussaint fait de même des recherches sur le bacille charbonneux. Il prend pour cela comme point de départ les travaux de Casimir Davaine qui avait présenté de nombreux articles à l’Académie des Sciences sur cette maladie. Le Lorrain réalise de brillantes recherches sur le charbon, sa nature, ses cultures et sa physio-pathogénie. Il reconnait la toxinogénèse de la bactéridie, décrite en 1877 dans sa publication intitulée De l’action phlogogène du sang charbonneux. Dans un nouvel article paru le 18 mars 1878, Toussaint présente des preuves de la nature parasitaire du charbon et montre que les lésions de la maladie sont identiques chez le lapin, le cobaye et le mouton. Le 2 juin 1879, il adresse à l’Académie des Sciences son mémoire sur ses Recherches expérimentales sur la maladie charbonneuse. Sur le choléra des oiseaux de basse-cour. Etude au point de vue du microbe parasite de cette maladie. Il reçoit le Prix Bréant pour ces travaux l’année suivante.
Les 6 et 8 août 1880, Henry Toussaint organise une vaccination à la ferme de l’Ecole d’Alfort à Vincennes, sous la forme d’une double inoculation de vingt moutons. Le 19 août 1880, Toussaint fait à Reims une communication au congrès de l’Association pour l’avancement des Sciences. Il y parle de ses procédés de vaccination. Il pense que son vaccin a une action immunisante et postule que cette action est due soit à la production de substances antibactériennes, soit à l’action de l’antiseptique, à savoir l’acide phénique, présent dans son procédé.
Toussaint avait bien déposé en 1881 un pli à l’Académie des Sciences au sujet de son vaccin révolutionnaire à germe tué. Il va le modifier en remplaçant le bichromate de potassium, trop violent, par l’acide phénique permettant, cette fois, un vaccin stable et efficace. Hélas, sa mort prématurée à 43 ans va l’empêcher de breveter en temps voulu cette découverte.
Pasteur avait annoncé qu’il immuniserait des moutons contre le charbon grâce à un vaccin atténué par l’oxygène de l’air, selon ses conceptions. Dans un lot de cinquante moutons, 25 avaient été vaccinés, 25 autres non. Devant une assemblée savamment réunie, on put, en effet, constater que les 25 moutons vaccinés étaient indemnes après avoir été contaminés volontairement par le bacille du charbon, les 25 autres étaient morts ou mourants. En réalité, les collaborateurs de Pasteur, Roux et Chamberland, avaient préparé un vaccin tué par le bichromate de potassium, donc préparé « à La Toussaint » et non pas, comme on l’avait laissé entendre « à la Pasteur ». Le mérite de la conception de ce vaccin revient donc à Henry Toussaint et non à Louis Pasteur, comme le montrent, solides arguments à l’appui, des contemporains comme Bouley et Chauveau. Henri Toussaint, incontesté scientifiquement mais jamais réhabilité ni valorisé, passa ainsi aux oubliettes de l’histoire au profit de Louis Pasteur.
Au XXème siècle, plusieurs scientifiques et historiens montent encore au créneau pour rappeler la véritable histoire et dire qu’Henri Toussaint est bien le pionnier des résultats que Louis Pasteur s’est appropriés sur la vaccination. Le plagiat de pasteur est parfaitement connu : « En mai 1881, à Pouilly-le-Fort, près de Melun, Pasteur réalise une grande expérience de vaccination contre le charbon sur cinquante moutons, qui se révèle couronnée de succès, tous les animaux non vaccinés étant morts, tandis que tous les vaccinés ont survécu ». Dans son livre A l’ombre de Pasteur sorti en 1938, Adrien Loir, neveu de Pasteur, écrit clairement que le vaccin utilisé lors de l’expérience de Pouilly-le-Fort est un vaccin atténué par le bichromate de potassium, c’est-à-dire selon un procédé semblable à celui du vétérinaire et médecin Henry Toussaint, qui avait publié une méthode d’atténuation par un autre antiseptique, l’acide phénique.
Les notes secrètes de Pasteur, déposées par celui-ci à l’Académie des Sciences, et connues aujourd’hui depuis 1988, expliquent qu’il avait employé le vaccin chauffé et atténué au bichromate de potassium, suivant en cela une idée dont Toussaint avait la priorité, au moins quant à la publication, à savoir l’atténuation par un antiseptique. Dans son compte rendu d’expérience à l’Académie, Pasteur déclare au contraire, ou en tout cas laisse entendre, que c’est son vaccin atténué à l’oxygène qui lui a permis de réussir l’expérience sur les moutons charbonneux. Denis Thouvenin, un des garants du souvenir du frère de sa grand-mère, nous raconte avec fierté : « Henry Toussaint, ce jeune médecin scientifique qui découvre les principes de la vaccination et qui paie de sa vie ses recherches autour de maladies, mériterait d’être réhabilité ».