Il paraît qu’aujourd’hui, c’est Carnaval ! Carnaval. Quel curieux mot ! Les étymologistes et les linguistes les plus brillants ne s’accordent pas toujours sur l’origine de ce mot. Pour les uns, Carnaval serait dérivé des mots latins caro vale qui signifierait « adieu la viande ». Explication quelque peu fantaisiste, à laquelle on préférera celle qui affirme que le mot Carnaval, apparu pour la première fois dans la France de la Renaissance, viendrait de l’italien Carnevale ou Carnevalo, lui-même issu du latin carne levare, ces deux mots signifiant littéralement « ôter la chair ». Quel rapport entre la chair et le Carnaval, se demandera peut-être le lecteur ? En fait, le nom du Carnaval ferait directement référence à la viande que l’Eglise catholique interdisait de consommer pendant la période de Carême. Or, cette période s’ouvrant le jour du Mercredi des Cendres, c’est-à-dire le lendemain de Mardi-Gras, les jours qui précédent l’entrée en Carême étaient surtout destinés à faire la fête et à manger gras. En somme, on consommait cette viande à laquelle il allait bientôt falloir dire adieu.
Il est intéressant de noter que chez quelques auteurs anciens, le Carnaval était également appelé « Carême prenant ». L’expression d’ailleurs, désignait aussi un personnage mal fagoté ou habillé comme pour Carnaval. Une veste ridicule, un pantalon trop court et l’on vous affublait vite du titre de « Carême prenant ».
Si le nom du Carnaval nous vient de l’interdiction de consommer de la viande pendant le temps du Carême, il n’explique pas l’origine et le symbole de la fête. Pour la plupart des historiens, c’est dans l’Antiquité gréco-romaine qu’il faut aller chercher les lointaines origines du Carnaval. Les fêtes dionysiaques des Grecs, tout comme les Saturnales des Romains pourraient être des précédents anciens aux traditions de Carnaval. On sait en effet que dans le monde méditerranéen, la fin de l’hiver donnait lieu à des orgies populaires au cours desquelles on célébrait le prochain retour du printemps. La plupart du temps, le Carnaval vise donc avant tout à marquer symboliquement la fin de l’hiver et l’arrivée des beaux jours. Il suffit de considérer d’ailleurs quelques traditions de Carnaval pour s’en convaincre. A Prats-de-Mollo, dans le Roussillon, le Carnaval consiste encore en une sorte de danse de l’ours. L’animal, incarné par un fort gaillard du village, est censé sortir de sa tanière pour annoncer le retour du printemps. En Lorraine et notamment à Sarrebourg, on a coutume de faire défiler le Heylock, une sorte de personnification de l’hiver avant de le brûler et de le jeter dans la Sarre. L’hiver est mort, pourrait-on dire, vive le printemps !
Période symbolique destinée à réveiller les forces de la nature, le Carnaval pouvait aussi durer un certain temps. Des documents anciens affirment que la fête débutait dès le lendemain des Rois, c’est-à-dire tout juste après l’Epiphanie, dont on a dit qu’elle avait autrefois lieu chaque 6 janvier. L’entrée en Carême étant fixée quarante jours avant Pâques, la date de Mardi-Gras pouvait osciller entre le début et la fin du mois de février. Ce qui signifie que le Carnaval pouvait durer, du coup, jusqu’à plus d’un mois et demi ! Le Mardi-Gras apparaissant alors comme une sorte d’apothéose, une ultime journée pour faire bombance, avant les rigueurs du Carême. Encore que, me direz-vous. Car dans bien des cantons de Lorraine, la fête se poursuivait le premier dimanche de Carême, souvent appelé dimanche des brandons. Ce jour-là, la coutume voulait que l’on proclamât les vauzenats et les vauzenattes, comme nous aurons l’occasion de le voir par la suite.
Tout cela s’est grandement perdu, hélas. Les Carnavals d’aujourd’hui n’ont en effet plus grand-chose à voir avec ceux qui ont pu exister dans la Lorraine d’autrefois. Si l’on manque cruellement de sources pour savoir à quoi ressemblaient les Carnavals du Moyen-âge ou de la Renaissance, on sait assez bien en revanche les coutumes que nos ancêtres des XVIIIème et XIXème siècles associaient à la période de Carnaval. Dans son ouvrage intitulé Au temps de la soupe au lard, Daniel Bontemps nous apprend par exemple qu’en 1783 déjà, la municipalité de Longuyon « interdisait aux masques d’injurier les passants ». Une vingtaine d’années plus tard, c’était au tour de la commune de Briey d’interdire les masques lors de Carnaval. Le 4 avril 1808, le préfet de la Moselle écrivait à l’évêque de Metz la lettre suivante, au sujet de prétendus débordements lors du Carnaval qui eut lieu à Conflans-en-Jarnisy : « Les accusations ont été singulièrement exagérées. Effectivement deux jeunes gens s’étaient déguisés avec de vieilles tapisseries de papier peint auxquels ils avaient donné à peu près la forme d’une tunique de diacre, qu’ils portaient sur la tête un bonnet également de papier peint, qui par sa forme et les plumes dont il était garni figurait un shako polonais plutôt qu’une mitre d’évêque, qu’enfin ils portaient un bâton dont l’extrémité supérieure recourbée représentait assez une crosse, mais chacun s’accorde à dire que les jeunes gens, sous le travestissement, n’ont pas eu l’intention de tourner en ridicule la dignité épiscopale. »
Texte intéressant, qui nous prouve que le Carnaval servait aussi à inverser les rôles et à brouiller les codes sociaux. Ce fait, d’ailleurs, n’est pas sans rappeler la fête des fous et les Saturnales romaines (on y revient) au cours desquelles l’esclave prenait parfois la place du maître.
En Pays Messin, le Carnaval se prêtait également à un curieux chapardage de nourriture. Les diâles (« diables » en Lorrain roman), affublés de masques et d’une hotte sur le dos, allaient de maison en maison pour quêter de la mangeaille. Parfois même, il arrivait qu’un petit garçon, caché dans la hotte que portait le plus solide gaillard du village, soit chargé de dépendre quelque saucisson, jambonneau ou fuseau. La coutume était également connue dans la Meuse, notamment dans le Verdunois.
Le Docteur Raphael de Westphalen, à qui l’on doit la conservation de nombre d’anecdotes et de coutumes lorraines, nous apprend que les enfants du Saulnois et des environs de Metz avaient l’habitude, pendant la période de Carnaval, de se déguiser pour aller quémander quelques friandises, généralement une tranche de lard ou une rondelle de saucisson. Il leur arrivait parfois de chanter quelques couplets grivois, comme ce refrain, particulièrement savoureux :
« Mascarade,
A la grillade !
Tourne ton c…
Et j’t’appuie dessus ! »