Jean-François Pilâtre de Rozier, l’un des deux premiers aéronautes de l’Histoire, est né sur l’Ile du Fort-Moselle à Metz en 1754. Près de 120 ans plus tard, c’est également sur cette île qu’est créée la poste aérienne, en septembre 1870, dans l’enceinte de l’hôpital militaire de la ville lorraine, alors qu’elle est assiégée par les Prussiens. Cette invention sera également connue sous le nom de « papillons de Metz ».
Le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Les 4 et 6 août 1870, les armées françaises subissent deux défaites à Wissembourg et à Spicheren. Le Maréchal Bazaine prend la direction de l’Armée du Rhin le 12 août 1870. L’objectif est de défendre la Lorraine. C’est peine perdue. Le 18 août 1870, Metz est bloqué par les armées prussiennes. Le 20 août, la ville ne dispose plus de liaisons postales et télégraphiques avec l’extérieur. La ville assiégée compte dans ses murs près de 175 000 soldats, dont 22 000 blessés.
Le 1er septembre 1870, dans la ville encerclée, le pharmacien en chef Julien-François Jeannel échange avec le Docteur Papillon, médecin aide-major à l’ambulance de la garde. Au cours de cette discussion, le Docteur Papillon s’étonne que les aérostats ne soient pas utilisés pour faire parvenir des dépêches codées. Le 2 septembre 1870, Jeannel en fait la suggestion au Général Jarras, chef d’état-major de l’Armée du Rhin. L’idée séduit Jarras. Il accorde mille francs afin de réaliser cette expérience. Jeannel établit son atelier de construction de ballons aérostatiques dans un des greniers de l’hôpital militaire. Le pharmacien est aidé du pharmacien principal Leprieur et de son personnel. Pour construire les ballons, Jeannel utilise un papier fin, léger, souple et très résistant : le papier calque, présent en quantité chez les papetiers de Metz, afin de satisfaire les besoins de l’Ecole d’Application de l’Artillerie et du Génie. A l’aide de grandes feuilles vernis par un mélange de collodion médical et d’huile de ricin, Jeannel réalisé un sac de 1,5 mètre de haut et un mètre de large. Les quatre coins du sac sont rabattus pour s’approcher d’une forme ellipsoïdale lorsque le ballon est gonflé. Les ballons sont gonflés à l’hydrogène. Les tests réalisés par Jeannel permettent de confirmer que les ballons peuvent transporter 35 grammes de dépêches.
Les premiers ballons sont présentés le 5 septembre au Maréchal Bazaine, par l’intermédiaire du Général Jarras. Bazaine donne son accord. Le 5 ou le 6 septembre 1870, les deux premiers ballons sont lancés. C’est la naissance de la « première poste aérienne de Metz », ou « poste des pharmaciens ». Afin de réduire le poids des courriers, chaque dépêche ne doit pas excéder un décigramme. Pour ce faire, c’est du papier pelure plié en deux qui a été utilisé pour les correspondances : on parle de « papillons de Metz ». Ce service postal était réservé aux officiers. Jeannel fait lui-même usage de cette poste aérienne. Il adresse à son frère une lettre datée du 8 septembre. Il est sans concession sur le commandement durant le siège de Metz :
« Notre état sanitaire est excellent, et notre armée possède tous les éléments moraux et matériels de succès, sauf le commandement, qui est mou et absurde. »
Du 5 au 14 septembre 1870, 3 000 dépêches ont pris le chemin des airs grâce à quatorze aérostats. Chaque paquet de dépêches portaient le message « La personne qui trouvera le présent paquet est instamment priée de mettre à la poste les dépêches qu’il contient ». D’après Jeannel, sur les quatorze ballons, sept sont arrivés à bon port. Pour la construction des quatorze ballons, Jeannel n’a dépensé que 350 francs.
A la vue de cette belle réussite, le Général de Coffinières, commandant de la Place de Metz, souhaite mettre la poste aérienne à la disposition de tous les assiégés militaires et civils. Cela nécessite de produire des ballons de taille plus importante. Cette tâche est placée sous la direction du Colonel Goullier, commandant l’Ecole d’Application de l’Artillerie et du Génie, située dans l’actuel Cercle mixte de garnison de la Rue aux Ours à Metz. Il est assisté du Capitaine Schultz, co-inventeur de la mitraillette, et du Capitaine du corps franc Bréguet. Un journaliste anglais, Robinson, a joué un rôle dans cette entreprise. Mais dans ses écrits, celui-ci a profondément exagéré son rôle dans cette aventure. Il s’attribue, à tort, la paternité de la poste aérienne.
C’est la « deuxième poste aérienne de Metz », également appelée « poste de l’Ecole d’Application de l’Artillerie et du Génie » ou bien encore « ballons du génie ». Du 16 septembre au 3 octobre 1870, ce sont près de 150 000 dépêches qui sont expédiées. Chaque ballon transporte des milliers de messages. Parfois, les ballons transportent également des pigeons voyageurs. Les assiégés espèrent un retour de ceux-ci à Metz, afin de confirmer l’arrivée des correspondances. Selon Louis Lutz, entre le 16 septembre et le 3 octobre, treize ballons sont lancés. A cela s’ajoute un ballon clandestin lancé le 23 ou le 24 octobre 1870. Le 13 septembre 1870, le Général Coffinières écrit au Maire de Metz, Félix Maréchal, pour l’informer de la possibilité d’expédier du courrier par ballons. Les consignes sont claires : « Les lettres adressées par cette voie devront être remises ouvertes au quartier général, Hôtel de la Division. Elles seront écrites sur papier mince et sur des feuilles simples de dix centimètres sur cinq. Elles ne devront contenir aucun renseignement militaire. Elles seront sans enveloppe. » C’est bel et bien un service public postal qui est mis en œuvre. Le journal de Metz du 1er octobre 1870 décrit un « service postal aérostatique, complétement organisé » qui fonctionne avec régularité. Pour traiter ce flux de courriers, un bureau de poste aérienne (ou poste aérostatique) est créé près des bureaux du Commandement de la Place. Les agents de la Trésorerie et de la Poste sont mis à contribution afin de lire les messages et de vérifier qu’aucune information militaire ou stratégique n’est écrite. Les messages sont ensuite groupés en liasses d’une centaine de messages. Ces liasses sont ficelées par cinq ou six et emballées dans une toile caoutchoutée. Comme pour la poste des pharmaciens, un écriteau est apposé sur le paquet : « Prière à la personne qui trouvera ce paquet de le déposer au bureau de poste le plus rapproché, ou de le remettre au Maire de la commune la plus voisine, et d’en demander un reçu, en échange duquel une somme de cent francs lui sera accordée à titre de récompense. » Les ballons sont construits dans les combles de l’Ecole d’Application de l’Artillerie et du Génie. Ils sont gonflés à l’usine à gaz de Montigny-lès-Metz. C’est de là qu’ils sont lancés.
Le ballon lancé le 28 septembre 1870 connait un triste sort. Celui-ci est chargé de 17 000 lettres et de deux pigeons voyageurs. Au-dessus de Vernéville, en Moselle, l’ancre du ballon s’accroche dans un peuplier. Les soldats Prussiens s’en emparent. Ce ballon contient également des lettres qui ont échappé à la censure : deux lettres du Général Coffinières qui critique la conduite du Maréchal Bazaine et informe de la situation tragique de la ville, ainsi qu’une lettre de Robinson qui décrit la famine dans la ville assiégée. Le Prince Frédéric-Charles de Prusse a fait envoyer ces lettres au Maréchal Bazaine en ayant au préalable souligné en rouge les passages les plus tragiques. Le 30 septembre 1870, un deuxième ballon tombe dans les mains des Prussiens. Cette information est connue à Metz le 4 octobre 1870. Après ce revers, le Maréchal Bazaine décide de stopper la poste aérienne. Lors du siège de Paris, à la fin du mois de septembre 1870, il est envisagé d’utiliser des ballons aérostatiques. Ceux-ci sont surnommés « la poste de Metz ».
Sources :
Louis Lutz, « La poste à Metz du début de la guerre de 1870 à la capitulation », Bulletin de la société des amis du musée postal, n°22, second trimestre 1968
Ernest M. Cohn, « Die « Papillons » von Metz oder die Beiden Ballonposten von Metz », München, Verlag der Arbeitsgemeinschaft Frankreich e. V. im Bund Deutscher Philatelisten, 1976
Le courrier de la Gironde du 28 septembre 1870
Le journal de Metz du 1er octobre 1870
Mobile Daily Register du 25 octobre 1870
Le courrier de Metz du 8 avril 1896.
Certains ballons ne parvinrent jamais à destination. Des vents contraires en firent en effet dériver vers l’Allemagne. D’autres furent abattus par des mitrailleuses. Des Papillons de Metz capturés furent offerts, en guise de trophées, aux soldats valeureux. C’est ainsi que plusieurs d’entre eux ont traversé le temps et se sont collectionnés. Par ailleurs, il faut savoir que les Papillons de Metz ne portaient pas de timbres-poste. Une comptabilité précise de l’époque a distingué deux sortes d’envois. Quatorze ballons, appelés petits ballons des pharmaciens, furent lancés du 6 au 14 septembre 1870. Treize ballons plus importants, de l’Ecole d’Application de l’Artillerie et du Génie, furent quant à eux lancés entre le 16 septembre et le 3 octobre 1870.