Terre d’entre-deux, posée aux confins des civilisations latines et germaniques, la Lorraine présente la particularité d’être traversée par une frontière linguistique et culturelle qui, en deux mille ans d’histoire, n’a quasiment pas bougé.
Elle court, cette frontière, des collines du Luxembourg jusqu’aux crêtes vosgiennes, en passant par le Pays-Haut lorrain et le Thionvillois, avant de longer les vallées de la Canner, de la Nied, de l’Albe et de la Sarre, pour rejoindre enfin le Massif du Donon et les vieux sommets vosgiens qui séparent la Lorraine de cette Alsace où se parlent des dialectes germaniques. Cette frontière linguistique est un fait marquant dans le paysage culturel lorrain. Au Sud et à l’Ouest de cette ligne, c’est la Lorraine romane, où l’on a toujours parlé des dialectes issus du Latin. Au Nord et à l’Est de la frontière, on est en Lorraine germanique, ou thioise comme on dit. Ici, c’est le Platt qui est parlé. Et n’allez pas dire à un de ces Mosellans plattophones que son patois n’est qu’un vague ersatz d’Allemand ! Attesté depuis l’époque carolingienne, cette langue aurait été parlée par Charlemagne en personne ! Profondément mis à mal par l’école de la IIIème République, qui estimait que tous les Français devaient parler un Français intelligible, le Platt semble pourtant faire son grand retour, grâce à des initiatives telles que le festival Mir redde Platt ou la mise en place de panneaux qui transcrivent, dans le dialecte local, tel ou tel toponyme.
Car c’est encore dans la toponymie que s’affiche le mieux notre frontière linguistique. En Lorraine romane en effet, la plupart des villages ont des noms qui se finissent par -court, par -ville ou simplement par un -y. En Lorraine thioise, les mêmes suffixes sont résolument plus germaniques. Les noms des villages, ici, se terminent par -ange, -berg, stroff ou -dorf.
Il arrive parfois qu’on rencontre le même toponyme de part et d’autre de la frontière. C’est le cas notamment avec les deux Audun, tout au Nord de la Lorraine. Afin d’éviter de les confondre, le village d’Audun situé en Lorraine francophone a été baptisé Audun-le-Roman. Tandis que l’autre Audun, situé en Lorraine germanique, est désigné sous le toponyme d’Audun-le-Tiche. C’est-à-dire d’Audun l’Allemand, puisque « tiche » est une variante de « deutsch » ou de « tudesque », deux mots qui désignent bel et bien les cousins germains.
J’ai quitté ma Lorraine thioise il y a 40 ans et je prends note des informations apportées sur ce site avec grand intérêt. Dans quelques mois je prévois un voyage à pied au départ de Bouzonville, ma ville de naissance, vers le sud où je réside, et je m’attacherai à “sentir” ou “entendre” le passage de la frontière linguistique, maintenant que je situe avec précision.
Si mon projet vous intéresse vous pouvez me contacter à mon adresse mail.
Cordialement.
Eugène Reinberger
Ottange est un village roman dans une région francique. C’est la raison pour laquelle le Parler d’Ottange, d’origine romane donc, se distingue des langues franciques de Lorraine. Il s’apparente en effet aux parlers romans de Lorraine.
Merci pour cette découverte. Je sui en rédaction de M2 sur un village du bitcherland, une monographie et je cherche des infos précises sur cet article. Pouvez-vous me communiquer la bibliographie utilisée?
« Oyé » est une expression populaire, une exclamation servant à exprimer la surprise, l’agacement ou encore à scander tout simplement la conversation. Pour certains, c’en est presque devenu un tic de langage. Le mot est principalement employé en Moselle et dans les franges germanophones de la région. Il ne vient pas du verbe « ouïr » de la manière qu’avaient les messagers de dire « oyez, oyez, braves gens » mais bien des expressions germaniques « Oh, Jesus Gott ! » ou « Oh, Jesus Maria ! » Le deuxième commandement du Décalogue interdisant de prononcer le nom du Seigneur en vain, nos ancêtres ont pris l’habitude de ne dire que le début de l’expression « Oh, Je… » et cela a fini par donner ce fameux oyé que l’on entend à chaque fin de phrase en Moselle. D’une certaine manière, le moôn est aux Vosgiens ce que le oyé est aux Mosellans.
J’ai quitté ma Lorraine natale voici 20 ans maintenant, mais c’est toujours avec émotion que je prends nouvelles de la terre où baignent profondément mes racines.