La cathédrale ce soir est un champ de bataille
Où d’obscurs démons livrent une lutte sans pitié
Contre des anges de pierre drapés de cottes de maille
Et armés d’épées de lances et de boucliers.
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Tours, murailles et contreforts grouillent
Déjà d’une foule de chimères grimaçantes
Qui rampent vers les cieux et se joignent aux gargouilles
Pour attaquer les anges en hordes terrifiantes.
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Mais soudain des nuages à l’horizon doré
Avancent dans la gloire des célestes cohortes.
L’archange Saint Michel brandit sa bonne épée
Et frappe les démons qui cognaient à la porte.
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Le combat est terrible, la lutte est sans merci.
Les anges et les démons se battent avec fureur.
Un Saint Georges transperce un dragon indécis
Quand les vitraux s’enfoncent dans une sombre noirceur.
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Et voilà qu’au milieu de ce vacarme sonne
Dans sa robe d’airain la cloche de la Mutte.
Elle sonne à la volée dans le ciel d’automne
Pour appeler au combat et poursuivre la lutte.
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La nuit arrive et le Soleil disparaît
Derrière le Saint-Quentin et les Côtes de Moselle.
Saint Clément a dompté le dragon redouté
Quand sonne maintenant mademoiselle de Turmel.
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Les anges s’évanouissent dans l’ombre de la nuit.
Chacun redouble d’efforts à en perdre raison.
L’apôtre des messins a lâché son Graoully
Qui a trouvé refuge dans la vieille Rue Taison.
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Les vitraux du transept sont des flaques noirâtres
Et les résilles de plomb sont pareilles à des ronces.
Qui gagnera le combat demande un saint d’albâtre
A la vierge Marie qui reste sans réponse.
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La lumière faiblit et le jour se meurt.
Les milices célestes sont face à un dilemme.
Faut-il abandonner ou redoubler de fureur.
Personne ne sortira de cette lutte indemne.
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Les forces de la nuit gagnent encore du terrain.
Gargouilles et serpents atteignent le sommet
Du chœur et des tours et crient d’une voix d’airain
Qu’ils triompheront bientôt du combat acharné.
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Le jour a disparu les anges capitulent.
La Vierge se lamente à l’ombre d’un pinacle.
Quand en haut de la Mutte un bouffon funambule
Agite sa marotte et se rie du spectacle.
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Le gothique flamboie dans la froide nuit lorraine.
La cathédrale s’endort et le combat s’achève.
Un fou continue pourtant à se bercer de rêves
Avant de dire adieu à la Vierge souveraine.
Les gargouilles peuvent représenter des animaux hybrides. Des êtres fantastiques, par exemple à tête de félin, au cou orné de plumes et doté de larges ailes. Un diable. Un démon. Un être maléfique, à n’en pas douter. Car c’est un fait, les cathédrales et les églises du Moyen-âge fourmillent de gargouilles, de chimères et de diables en pierres qui décrochent les nuages, pour reprendre le mot de Jacques Brel. Des statues qui, toujours, se situent à l’extérieur de l’édifice. Certes, on peut rencontrer, çà et là, un diablotin caché dans un écoinçon, au cœur d’une de nos cathédrales, mais généralement, les gargouilles sont pour l’extérieur. Et les anges, pour l’intérieur. Et il en va de même des pages des manuscrits médiévaux. Les anges et les saints pour les lettrines et le corps du texte. Les diables, les patagons, les cynocéphales, les basilics, les escargots combattant les chevaliers, les lapins en train de se faire assaillir par les chiens, les sirènes, les licornes et les dragons, eux, figurent dans les marges. Marges où tout un monde existe donc. En marge de nos vies. Et de nos imaginaires. Gargouilles et diables qui gardent l’édifice. Et qui nous fascinent. Depuis des siècles.