Construit sur un tertre situé à deux kilomètres au Sud du pittoresque village de Tarquimpol, le château d’Alteville présente un ensemble de bâtiments hétérogènes. La plupart des historiens distinguent en effet deux châteaux à Alteville. L’un datant du XVIème siècle et l’autre, du XVIIIème siècle. Mais en réalité, des ajouts postérieurs ont été réalisés avec notamment la construction, au XIXème siècle, d’une orangerie surmontée d’une bibliothèque dans laquelle le célèbre Stanislas de Guaita entreposait son importante collection de livres consacrés aux sciences occultes. Alteville, un château disparate donc et dont l’histoire se doit d’être rapidement retracée.

C’est vraisemblablement en 1565 que débute la construction du premier château d’Alteville. Cette année-là, le Duc Charles III de Lorraine donne le fief d’Alteville à un certain Etienne Toupet, trilleur des salines de Dieuze. Ce dernier fait alors édifier une maison forte de plan quadrangulaire et flanquée d’une tour cylindrique, encore visible aujourd’hui. Le second château est construit au début du XVIIIème siècle pour le compte de Charles Palléot, officier de cavalerie au service du Duc de Lorraine. Cette nouvelle demeure se présente sous la forme d’un pavillon carré de deux étages et flanqué de deux ailes ne comptant qu’un seul étage. Une chapelle, dédiée à Saint Charles, est également érigée à cette époque sur le site, ainsi qu’une ferme destinée à mettre en valeur les terres qui entourent ce beau domaine situé sur les rives de l’Etang de Lindre.
Le 10 janvier 1786 est célébré, à Alteville, le mariage de Jean-Baptiste-Nicolas Vivaux, avocat et maître de forges, avec Julie-Charlotte Leclerc, fille de Nicolas Leclerc, un des fermiers généraux de la province de Lorraine et Barrois et propriétaire du domaine. En 1819, le site d’Alteville passe par héritage au Général Charles Louis Dieudonné Grandjean. Ce dernier, qui a déjà combattu en Poméranie et en Espagne, s’illustre à la bataille de Wagram, où il a deux chevaux tués sur lui. A sa mort, survenue le 15 décembre 1828, c’est son fils, Victor-Aimé, qui reprend le domaine. Une trentaine d’années plus tard, le château passe à la famille de Guaita, en vertu du mariage de la fille de Victor-Aimé Grandjean avec François-Paul de Guaita, conseiller général de la Meurthe, agriculteur et érudit notoire.
De ce mariage naît, le 6 avril 1861, l’un des personnages les plus étranges que la Lorraine ait pu connaître. Né dans les murs même du château d’Alteville, Stanislas de Guaita est en effet un poète et occultiste qui, après avoir été formé au lycée de Nancy, où il se liera d’amitié avec un certain Maurice Barrès, va s’adonner à la magie noire et à l’ésotérisme. En 1888, il fonde, avec son ami Joséphin Péladan, l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix. La curiosité de Stanislas de Guaita n’ayant pour ainsi dire pas de limite, une bibliothèque, contenant plusieurs milliers de volumes, est constituée au premier étage de l’orangerie construite dans le prolongement de l’aile Ouest du château XVIIIème. Peut-être était-ce dans le calme de cette bibliothèque qu’il a composé certains de ces poèmes. On lui doit en effet quelques recueils étranges, dont La Muse noire (1883) et Rosa mystica (1885). Stanislas de Guaita meurt le 19 décembre 1897, à l’âge de 36 ans. La consommation excessive qu’il faisait du haschich et de la cocaïne, couplée à ses problèmes rénaux, ont eu raison de sa santé. Il est enterré au cimetière de Tarquimpol. Sa riche bibliothèque est quant à elle dispersée au cours de trois ventes réalisées à Paris en 1899, 1968 et 2014.
Quatre années seulement après la mort de Stanislas de Guaita, le château d’Alteville est repris par Pierre Lallemand de Mont qui n’est autre que l’époux d’Alice de Guaita. Depuis 1906, il est la propriété de la famille Barthélémy, laquelle y installe, dès 1985, d’élégantes chambres d’hôtes.
Il faut, je crois, prendre le temps de s’arrêter au château d’Alteville. Mieux, y passer une nuit, ou plus. Le propriétaire, Monsieur Barthélémy, vous racontera alors l’histoire du château. Il vous montrera les jardins, ainsi que la bibliothèque, au milieu de laquelle trônent un billard et un bel échiquier. A sa table, il vous permettra de déguster les lentilles et le jambon produits par la ferme familiale. Puis, après ce repas digne de l’époque où le général Grandjean habitait les lieux, il vous introduira dans le grand salon pour prendre un café arrosé d’une petite goutte de mirabelle. Et là, dans l’ambiance feutrée de cette pièce tapissée de portraits d’ancêtres, le châtelain vous parlera des deux grands tableaux accrochés à la paroi. Deux peintures qui représentent les exploits du général Grandjean, justement, et sur lesquels le grand-père du propriétaire s’était amusé à tirer à l’arc en pensant qu’il dégommerait ainsi quelques méchants Allemands. Par chance, des restaurateurs d’œuvres d’art tchèques vinrent à passer par Alteville, quelques cinquante ans plus tard. Et se proposèrent de restaurer les tableaux. C’est aussi cela, la magie des rencontres, autour d’une table d’hôtes.