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Fiauve des innocents de Faulquemont

On m’a raconté l’autre jour que, dans l’ancien temps, trois hommes de Faulquemont ont voulu apprendre à parler français. Un beau dimanche, ils se sont donnés le mot et sont partis pour Metz. Ils s’étaient dit :

– A Metz, il y a l’Evêché, on y parle de tout temps un français fignolé et çà irait moult mal, beyan1! que nous partions âne et que nous revenions baudet.

Ils firent de grands pas et étaient arrivés tôt. Ils écoutèrent un après l’autre à la porte de Monseigneur. Le premier revînt en se redressant tout fier et cria :

– C’est moi-même ! Je sais parler français ! C’est moi-même !

Le deuxième, entendant que c’était si facile d’apprendre ce qu’il voulait tant savoir, s’en alla en hâte et revînt pareil en criant tout joyeux :

– Pour son argent ! Moi aussi je sais parler français ! Pour son argent ! Pour son argent !

Le troisième craignit que ses camarades n’aient pas pris tout ce qu’il n’y avait de bon et de meilleur. Il se mit à courir pour voir s’il n’en restait pas encore un brin pour lui. Pour le coup, il rencontra deux vieux chanoines, dont l’un, en hochant la tête, disait à l’autre en lui donnant une prise de tabac :

– Rien de plus juste ! Rien de plus juste !

– Voilà, ma foi, mon affaire, qu’il lui dit « Que c’est beau ! Rien de plus juste ! »

Et, sûr que son français valait mieux que celui de ses camarades, il les rejoignit en faisant sauter son bonnet en l’air :

– Rien de plus juste ! Rien de plus juste !

– Maintenant, nous pouvons repartir à Faulquemont. Ah comme les gens vont être surpris en entendant « Rien de plus juste ! C’est moi-même ! Pour son argent ! »

En passant dans le bois de Créhange, ils trébuchèrent sur un corps mort que des brigands avaient assassiné. Nos savants ont cru, parait-il, que c’était un homme ivre et ils se mirent à danser autour de lui.

Mais, voilà que tout d’un coup, cataclin, cataclan2, arrivèrent deux grands chevaux avec chacun un gendarme sur leur dos.

– Qui a tué cet homme ? demandèrent-ils.

– C’est moi-même ! répondit le premier.

– Pour son argent ! que dit l’autre.

– Vous serez pendus tous les trois ! dirent les gendarmes.

– Rien de plus juste ! Rien de plus juste ! cria tout d’un coup le troisième, heureux de faire voir qu’il parlait mieux que les autres.

Alors les gendarmes les emmenèrent en prison. Mais les juges virent tout de suite à qui ils avaient à faire et ils les déclarèrent innocents.

Tant va la chète3 au lard, qu’elle s’y fait prendre.

1 : Beyan : juron

2 : Cataclin, cataclan : s’emploie pour exprimer le bruit d’un corps qui tombe par terre

3 : Chète : en Lorrain roman le mot « chète » est au féminin et signifie indifféremment le chat ou la chatte.

Fiauve extraite de Le petit almanach lorrain, 1883, patois et français, par Chan Heurlin, quatrième année.

Lo pia ermonèk loûrain

***

Lés Inoûcen de Folquemont

An-m’on rèconteu l’aute jonâye que, dan lo vieu temp, treûs ome de Folquemont on v’lu èpenre è pâleu en français. I bé dieumanche i s’on bèyeu l’ma et l’on ennaleu po Metz. I s’èvin di :

– E Metz i-n’e l’Èvêché, an-z-i pâle de to temp i français fignoleu et cè vreû mou mau, beyan ! se j’ennalin âne et que je r’veninsse bodâ.

I fèyîn dès grante pèssâye et l’on ètu tôt èriveu. L’on ècoutieu inq èprè l’aute è l’ohhe de Monseigneur. Lo premin e r’venin en so r’drassan to fiér et en bôyan :

– C’est moi-même ! J’sé pâleu français ! «c’est moi-même !

Lo dousieume, ouèan que ç’ateû se âhieu d’èpenre c’qu’i v’leû tan saouo, en vâ en hâte et r’vien lè mainme en bôan to jayou :

– Pour son argent ! me ausseu j’sé pâleu français ! Pour son argent ! Pour son argent !

Le treûhieume e èvu pâou que sés kèmèrède n’èvinsse prin torto ç’qu’i n’èveû d’boin et d’miou, et i s’e min è core por veûr s’i n’en d’mareû-m’ica eune bergaie por li. Po l’cô l’e renscontreu dou vieu chanouène, qu’en hachan lé téte inq deheû è l’aute en li bèyan eune prise de tobèc :

– Rien de plus juste ! Rien de plus juste !

– Val, ma fouo, m’néfâre, que l’e di «Que c’à bé ! Rien de plus juste ! »

Et, hhûr que s’français valeû mieu que lo ci d’sés kèmèrède, i lés e r’joindu en fèyan sauteu s’bona en l’âr :

– Rien de plus juste ! Rien de plus juste !

– È-ç’te oure, on-ti-di, j’povan rennaleu è Folquemont. Ah ! Comme les gensses vonne éte serprin en oûan : « Rien de plus juste ! C’est moi-même ! Pour son argent ! »

En pèssan dan l’boû d’Creuhange, l’on trebecheu dans i coûrp moû que dés brigan èvin éssassineu. Na sèvan on cru, pèrait-i, que ç’ateu in ome soû et i s’on min è rondieu tot élentour de li.

Mâ, val que to d’i cô, cataclin, cataclan, i n’e èriveu dou gran ch’vau èva chèquin i gendèrme su zout doou.

– Qui a tué cet homme ? demande t’i.

– C’est moi-même ! repon inq.

– Pour son argent ! qu’e dit l’aute.

– Vous serez pendus tous les trois ! dihhe lés gendèrme.

– Rien de plus juste ! Rien de plus juste ! bôye to d’i cô le treûhieume, ôgrou d’fâre veûr qu’i pâleût mieu qu’lés aute ?

Prècô lés gendèrme lés on enmoinneu en prihon. Mâ lés juge on to d’hhute  vu è ti-a-ce que l’èvin èfâre et i lés on declâreu inoûcen.

Tant vâ lè chète au bacon, qu’eule s’y fâ penre.

Lo pia ermonèk loûrain, 1883, patouè et français, pè Chan Heurlin, quouètrieume ènâye.

Rédigé par Chantal TICHEUR

Ardente défenseuse du Lorrain roman, ancienne présidente du Cercle des Patoisants de Moselle

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