Tout Lorrain qui se respecte connaît dans les grandes lignes la légende du premier évêque de Metz et de cet effroyable dragon qu’il alla jeter dans la Seille. Tout le monde ou presque connaît cette histoire. Et pourtant, la vie de Saint Clément ne se résume pas à ce seul épisode.
Parmi les documents, parfois très anciens, qui nous permettent de connaître la vie de Saint Clément, il faut citer le splendide manuscrit conservé à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris, sous la cote 5227. Ses 72 miniatures, peintes dans un style à la fois sobre et délicat et accompagnées de courts textes rédigés dans un ancien français, où pointe de temps en temps quelques notes d’accent lorrain, racontent, à la manière d’une bande dessinée, la vie mouvementée du premier évêque de Metz. D’après le manuscrit, Saint Pierre aurait chargé Clément d’aller évangéliser le peuple des Médiomatriques, dont la capitale, Metz, portait encore le nom de Divodurum. Parti de Rome avec deux compagnons nommés Céleste et Félix, Clément aborde les rives de la Moselle aux alentours de l’an 45. La légende nous dit que quelques jours avant d’entrer à Metz, Clément et ses compagnons auraient fait une halte en forêt de Gorze. Là, le bon apôtre aurait dispersé, d’un simple geste de la main, une meute de chiens lancée à la poursuite d’un cerf magnifique. Les chasseurs, surpris par ce qu’ils considèrent être un acte de sorcellerie, s’en vont rapporter les faits à leur maître, le Roi Orius, alors gouverneur de Metz. Ce dernier serait donc parti à la rencontre de Clément, et l’aurait trouvé au milieu d’une clairière, avec le cerf à ses pieds. Informé sur les intentions de Clément de convertir les Messins, Orius aurait alors fait le serment de se convertir au christianisme le jour où son peuple se serait lui-même converti à cette religion.
Une autre légende, qui n’est pas rapportée dans le manuscrit que nous citons, prétend que le bon apôtre aurait laissé l’empreinte de ses genoux après avoir prié sur une pierre que l’on peut toujours observer sur les hauteurs de Gorze, au lieu-dit la « Croix Saint-Clément ».
Arrivés à Metz, Clément et ses compagnons s’installent sur la Colline Sainte-Croix et commencent à enseigner les principes du christianisme. Au contact de la population, les trois hommes apprennent qu’un énorme et redoutable dragon terroriserait les habitants de Divodurum. Cet être monstrueux, auquel on aurait donné le nom de Graoully, aurait coutume de dévorer une demi-douzaine d’enfants chaque jour.
Or, par un clair matin de printemps, ce fut la fille du Roi Orius en personne qui vint à mourir sous les assauts du dragon. L’apôtre Clément la ressuscita, décidant alors le couple royal à se faire baptiser. Sommé par Orius de débarrasser la cité du dragon, Clément se serait rendu vers les ruines du vieil amphithéâtre, où le Graoully avait élu demeure. Un conte populaire rapporte qu’en chemin, Clément aurait conseillé aux Messins de ne pas faire de bruit. Par les mots « taisons-nous », il aurait ainsi baptisé la Rue Taison, dans laquelle est suspendue, depuis quelques années, une étonnante représentation du Graoully.
Arrivé dans les ruines de l’amphithéâtre, Clément s’approche du dragon et lui adresse un signe de croix. Le monstre, curieusement, devient docile et se laisse passer l’étole de l’évêque autour du cou. Le Graoully est ensuite traîné jusqu’à la Seille, toute proche, où il est précipité et condamné à mourir avec toute une suite de bébés Graoully.
Débarrassé des serpents, l’amphithéâtre peut désormais accueillir le premier oratoire de Metz. Dédié à Saint Pierre, celui-ci est vite complété par un baptistère consacré à Saint Jean-Baptiste. Avant de s’éteindre un 23 novembre, Clément aurait également fait bâtir un petit sanctuaire, appelé par la suite à devenir la puissante abbaye de Saint-Clément. Cette dernière, dont le sceau figurait, au Moyen-âge, l’évêque en train de mener le Graoully vers le lieu de son supplice, devînt rapidement un important lieu de pèlerinage. Autrefois, en effet, les fidèles accouraient de toute la Lorraine pour vénérer les reliques du premier évêque de Metz. Des reliques, dont on disait d’ailleurs qu’elles protégeaient de la peste et que l’on promenait en procession dès que le terrible mal s’approchait de la ville. Pratique superstitieuse peut-être, mais qui n’a rien à envier à cette autre rumeur qui prétendait que la terre de l’ancien amphithéâtre permettait d’éloigner les vipères et autres couleuvres.
La légende de Saint Clément, telle que nous la rapporte le manuscrit de l’Arsenal appelle évidemment quelques explications. Comme toutes les légendes, l’histoire du Graoully est avant tout une métaphore. Le dragon n’a bien-sûr jamais existé. Sauf si l’on considère qu’il incarne, dans le texte médiéval, une allégorie du paganisme et du culte idolâtre. Saint Clément apparaît alors comme l’égal de Sainte Marthe, de Saint Georges, voire de Saint Michel. Tous ces saints sauroctones, c’est-à-dire tueurs de dragons, ne font, en vérité, que combattre le mal. On peut les rapprocher d’ailleurs de la fameuse sculpture du cavalier à l’anguipède qui orne la Colonne de Merten, dont une réplique se trouve à l’entrée de la Rue Serpenoise à Metz. Comme Saint Clément, le cavalier terrasse ici les forces du mal. Et comme le cavalier gaulois, Saint Clément n’a donc fait qu’éradiquer les cultes païens de la cité des Médiomatriques. Par ailleurs, il est nécessaire de corriger le cadre historique dans lequel la légende situe l’action de Saint Clément. Dès le XVIIIème siècle, les historiens ont démontré que l’évangélisation de Metz ne pouvait remonter au milieu du Ier siècle de notre ère. Il est désormais admis que Clément aurait vécu vers la fin du IIIème siècle. Ce qui n’empêche pas de faire de Metz l’une des premières villes de France à avoir été évangélisée !
Saint populaire, évangélisateur du Pays Messin et premier évêque de l’antique Divodurum, Clément est donc fêté chaque 23 novembre. Mais ce jour ne semble pas donner lieu, hélas, à de manifestations particulières. Les prêtres du diocèse de Metz évoquent certes la mémoire du pieux Clément dans les messes qui précèdent ou suivent le 23 novembre. Et les très modernes réseaux sociaux font rappeler de leur côté que le 23 novembre est l’occasion de souhaiter bonne fête à tous les Clément. Westphalen lui-même, dans son Dictionnaire des Traditions populaires messines, ne consacre que deux lignes à Saint Clément ! Encore le fait-il pour rapporter le proverbe suivant : « Passé la Saint Clément, on ne sème plus de froment. »
Le fait qu’aucune coutume notable n’ait été associée à la fête de Saint Clément s’explique peut-être par le fait que l’abbaye où reposaient ses reliques a été ruinée pendant le siège que Metz eut à subir en 1552. En outre, la légende de Saint Clément se prêtait malgré tout, jadis, à quelque folklore. Chaque année en effet, pendant les Rogations, les Messins avaient coutume de promener dans les rues de leur ville une sorte de mannequin de papier mâché censé représenter le Graoully. Curieuse tradition, qui honorait le monstre plutôt que le saint et qui ne doit pas empêcher les Lorrains de célébrer l’apôtre de leur capitale.
Pour cela, quoi de mieux, peut-être, que de se rendre en pèlerinage à Metz ? Histoire d’aller se recueillir devant cette cathèdre, austère siège de marbre qui trône dans la cathédrale et sur lequel se serait assis Saint Clément ? Quoi de mieux que de poursuivre la balade vers la Rue Taison et vers le Centre Pompidou, construit à l’emplacement de l’ancien amphithéâtre et dont les œuvres sont parfois aussi terrifiantes que ne l’étaient les griffes du Graoully ? Et quoi de mieux, pour finir, qu’un repas lorrain, pris dans une assiette en faïence de Saint-Clément, ce petit village du Lunévillois célèbre pour sa production de vaisselle fleurie ?