A quoi pourraient correspondre le mythe du Wilde Jäger et l’usage des Rommelbootzen, ces figures grimaçantes creusées dans des betteraves en Lorraine germanophone ?
Peut-être prédécesseur de Saint Martin et de Saint Nicolas, le Wilde Jäger est un personnage qui sillonnait le ciel de Lorraine et de bien d’autres régions d’Europe. On parle d’ailleurs de Wilde Jäger et de sa Huddada en Lorraine germanophone et de la Mesnie Hennequin en Lorraine romane. Monté sur un cheval blanc, il était accompagné de chiens hurlants et d’une horde de cavaliers effrayants.
Etait-ce un héritage des guerriers valeureux morts au combat et conduits au paradis des guerriers, le Walhalla ? En tout cas, le Wilde Jäger et sa sinistre troupe venaient effrayer les humains, mais aussi apporter la prospérité à venir, avec des bienfaits, à l’image des épices et des friandises de Saint Nicolas accompagné du Rubbels, la bête à fourrure. Mais pour cela, il fallait d’abord vaincre ses peurs et oser affronter le regard, symbole de la nuit hivernale, de ces êtres fantomatiques. Ces derniers arrivaient par les nuits de brouillard et de tempête, surtout à l’automne, et encore plus durant les douze Nuits sacrées de Noël. Ils jetaient des os humains sur les vivants jusque par la cheminée et il était recommandé aux peureux de se coucher face contre terre. En Sarre, on raconte même qu’il ne fallait pas tendre ses draps dehors parce que le Wilde Jäger pourrait se prendre dedans et rester chez vous.
Alors pourquoi placer au fond du jardin ou sur les murs des betteraves fourragères creusées et éclairées ? Tout simplement pour personnifier la Chevauchée sauvage de la Huddada qui accompagne le Wilde Jäger. En effet, il est dit qu’un mythe doit toujours se faire chair, prendre une forme visible, ritualisée ou jouée. Ces figures grimaçantes sont par conséquent les représentations de la Horde effrayante. Dans le Nord de l’Allemagne, elles font même partie des quêtes organisées par la jeunesse pour célébrer le passage des douze Nuits de Noël.
Il semblerait même que des confréries guerrière germaniques aient existé et qu’elles organisaient des rituels et des processions. On a par exemple un témoignage latin sur des Germains au corps enduit de noir qui réalisaient des attaques surprises de façon rituelle. Pourquoi avons-nous alors en Lorraine cette récurrence d’un personnage noir, méconnaissable, sauvage, toujours recouvert de suie, à un moment de passage rituel d’une saison à l’autre ? Un rite de passage, de l’ombre vers la lumière, qui nous explique qu’il y a un prix à payer en toute chose avant de pouvoir accéder à la lumière. Comme traverser la gueule du Graoully avant d’accéder à un autre état. C’est à dire être digéré et ressortir sous une nouvelle forme pour devenir un être nouveau dans une nouvelle saison.
Et les oiseaux migrateurs dans tout ça ? Eh bien, si le Wilde Jäger et sa horde font leur incursion à partir de l’automne, c’est peut-être que le rassemblement des migrateurs dans le ciel et leur cri impressionnait nos ancêtres, et qu’ils les ont associés au mythe. D’où la date de la Saint-Martin en novembre et les oies qui sont son attribut.
C’est quand même autre chose que la daube d’Halloween version société de consommation et marketing vide de sens, non ? Même si on soupçonne fort que le terme Halloween et le terme lorrain Hennequin/Hellequin/Helleking/Arlequin ne soient qu’un seul et même terme ! Le défilé de la Saint-Martin avec ses petits lampions n’est quant à lui qu’une réminiscence, un peu trop assagie, du mythe, qui faisait cohabiter Ombre et Lumière, au lieu d’opposer Bien et Mal.
C’est pourquoi il est inculte de vouloir amputer le personnage de Saint Nicolas de sa moitié, de son ombre, le terrifiant Rubbels ou Père Fouettard. Vouloir ne parler que du parfait Saint Nicolas est une ineptie s’il n’est pas relié à son animalité. Les Grecs l’avaient compris et c’est là toute la puissance des mythes qui n’appartiennent pas au passé. Ce sont des histoires inventées qui disent des vérités sur l’existence.