Céphalophore est un terme un peu barbare qui nous vient de deux mots grecs et qui signifie littéralement « porteur de tête ». Et c’est bien ainsi que nous apparaît Sainte Libaire. A l’instar de Saint Livier et de Saint Elophe, Libaire aurait été décapitée avant de ramasser sa tête pour aller la laver à une source qui coulait pas très loin de là. Une curieuse histoire que l’on va, évidemment, essayer de décrypter.
Autant le dire d’emblée, on sait très peu de choses sur Sainte Libaire. D’après quelques écrits anciens, elle serait née dans une riche famille patricienne, vers le milieu du IVème siècle. La légende lui attribue plusieurs frères et sœurs, parmi lesquels se trouveraient Saint Elophe et Sainte Ménehould, dont le nom sert aussi de toponyme à une petite ville de l’Argonne.
D’après la légende, Libaire aurait été suppliciée en 362. Cette année-là, l’Empereur Julien est de passage dans notre région et se fait un devoir d’abattre tous les lieux de culte chrétiens pour mieux rétablir le paganisme romain. Quand il arrive à Grand, il fait donc massacrer la population chrétienne. Il ordonne la destruction des églises, croix et chapelles. Et, une fois sa besogne achevée, il poursuit son chemin vers le Nord. Mais, à peine sorti de la ville, il croise Libaire, qui était en train de garder ses moutons. Séduit par la beauté de la jeune femme, l’Empereur tente de la corrompre en lui offrant une statue d’Apollon en or. Libaire, acquise au christianisme, refuse le présent et va même jusqu’à frapper la statue avec sa quenouille. Le geste irrite l’Empereur qui, de colère, ordonne la décapitation de la jeune femme.
C’est alors que survient le miracle. A peine vient-elle d’être décapitée que Libaire se penche vers le sol, saisit sa tête ensanglantée et se dirige vers une fontaine, toute proche. Là, elle lave son visage et peigne sa chevelure, emmaillote sa propre tête dans un linceul et l’enterre délicatement. A ce moment précis, la terre aurait tremblé, détruisant ainsi les immenses bâtiments qui faisaient la gloire de Grand, mais faisant également jaillir une source qui, plus tard, aura la réputation de guérir les malades.
Fêtée le 7 octobre dans le diocèse de Nancy-Toul et le 8 octobre dans le diocèse de Saint-Dié, Sainte Libaire semble avoir joui, au Moyen-âge, d’une assez grande popularité. Elle était vénérée à Grand bien-sûr, mais aussi à Lépanges-sur-Vologne, à Burey-en-Vaux, à Rambervillers, Affracourt, Damelevières et, en dehors de notre région, à Sainte-Livière en Haute-Marne, ainsi qu’à Ayette, dans le Pas-de-Calais.
Martyr à l’origine d’une incroyable légende, Sainte Libaire pourrait aussi, d’après certains historiens, être un héritage de quelques cultes païens. Libera en effet est le nom que les Romains donnaient à Proserpine, la fille mythologique de Cérès, déesse des récoltes, de l’abondance et des moissons. Pour les Romains, Proserpine était obligée, quand venait l’automne, de quitter la maison de sa mère. Cette dernière en éprouvait alors un si grand chagrin que les plantes qui poussaient grâce à son pouvoir fanaient et se dépouillaient de leurs feuilles. Mais quand Proserpine, ou Libera, retrouvait sa mère au printemps toute la nature exultait de joie et célébrait, avec force fleurs et chants d’oiseaux, les tendres retrouvailles.
Libera, devenue Libaire, pourrait donc n’être qu’un prolongement d’un culte que nos ancêtres vouaient à la déesse des moissons. A ce titre, la légende de la tête tranchée, lavée puis ensevelie peut-être lue d’une toute autre manière. Le chef de Libaire est alors assimilé à une graine, promesse de germination et donc de renouveau et le fait que Libaire soit fêté au début du mois d’octobre apparaît comme un symbole de mort et de résurrection.
Et oui, qui a dit que la Lorraine n’était pas une terre de contes, de légendes et de sorcellerie ?