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L’album de Tintin « Les bijoux de la Castafiore » traduit en Lorrain roman

Chantal Ticheur a traduit l'album de Tintin « Les bijoux de la Castafiore » en Lorrain roman (Crédits photo : Eric Senet)

Edité par Casterman, l’album de Tintin Les bijoux de la Castafiore a été traduit en Lorrain roman par la Messine Chantal Ticheur, ancienne présidente du Cercle des Patoisants de Moselle. C’est la première fois que le 21ème album des aventures de Tintin réalisé par Hergé est traduit dans cette langue. En partenariat avec l’association tintinophile « Tonnerre de l’Est ! », la bande dessinée Lés pièrayes d’lé Castafiore a été officiellement lancée à l’occasion des journées du patrimoine 2024 aux Archives Municipales de Metz. En parallèle, une exposition de différents ouvrages en Lorrain roman est à découvrir jusqu’à la fin de l’année dans la Salle Carrée du Cloître des Récollets.

La traduction de cet album de Tintin en Lorrain roman, plus particulièrement dans celui parlé à Metz et dans le Sud messin, a représenté près d’un an de travail. L’ouvrage vient opportunément nous rappeler que cette langue a été celle de nos ancêtres pendant 1 500 ans, avant que l’imposition du français ne vienne la faire progressivement disparaître à partir de la fin du XVIIIème siècle. Le Lorrain roman reste pourtant l’une des langues régionales de Lorraine, au même titre que le Lothringer Platt qui se retrouve quant à lui à l’Est de la frontière linguistique qui traverse l’actuel département de la Moselle. Mais, faute de locuteurs, le Lorrain roman est aujourd’hui au bord de l’extinction, malgré les efforts de revitalisation menés par certaines associations à travers l’enseignement et la culture. La traduction de cette bande dessinée familière représente par conséquent un bel outil de diffusion et de conservation de notre langue régionale, aussi bien auprès des petits que des grands, afin d’éviter que ce patrimoine culturel et linguistique lorrain ne s’éteigne définitivement.

A l’occasion de cette parution, nous avons pu échanger avec Chantal Ticheur pour évoquer la genèse de ce projet et la situation du Lorrain roman.

BLE Lorraine : Pourquoi avez-vous décidé de traduire cette BD en Lorrain roman ?

Chantal Ticheur : « Je l’ai fait sur la proposition de Christophe Bertaux, membre de l’association « Tonnerre de l’Est ! » qui regroupe les tintinophiles en Lorraine. Nous avons tous les deux trouvé cette idée très originale et avons décidé de traduire l’un des albums des aventures de Tintin. C’est comme cela que j’ai appris que les albums de Tintin étaient traduits dans quantités de langues régionales, mais aussi dans des langues internationales. Mais aucune de ces bandes dessinées n’avait jamais été traduite en Lorrain roman. Un album avait néanmoins été traduit en Vosgien, qui est également une langue romane de Lorraine. Il s’agit de L’affaire Tournesol, avec quelques variantes, sachant qu’il n’y a pas un langage unique en Lorraine, mais des variantes d’un département à un autre, d’une ville à une autre et parfois même d’un village à un autre. Alors quelle belle idée que de traduire un album en Lorrain roman et plus particulièrement celui parlé à Metz et ses environs. »

BLE Lorraine : Pourquoi avoir choisi cet album et Tintin en particulier ?

CT : « J’ai choisi cet album parce que l’action se situe au château de Moulinsart, château fictif imaginé par Hergé, situé en Belgique. La Lorraine est proche de la Belgique, ce lieu se prête donc tout à fait à une traduction du parler Lorrain roman situé non loin de ce château fictif. Par ailleurs, j’aime le personnage de la Castafiore. A elle seule, elle représente un personnage de Vaudeville. Qui plus est, elle est cantatrice et j’aime la musique, cela donne de la fraîcheur et de la gaieté. Enfin, je trouve que les dialogues des différents personnages d’Hergé dans cet album se prêtent très bien à la traduction en Lorrain roman. »

BLE Lorraine : Quelle est la situation actuelle du Lorrain roman en Moselle ?

CT : « Hélas, aujourd’hui, en ce début de XXIème siècle, il ne reste quasiment plus de locuteurs sachant encore parler la langue de nos anciens. Ceux qui la parlent encore un peu ne sont plus que quelques-uns des générations nées entre les années 1930 à 1960. Les générations actuelles connaissent seulement certains mots qui sont quelque peu usités au quotidien dans notre parler régional. Didier Mory, avocat au Parlement de Metz, et auteur de nombreux ouvrages en Lorrain roman, plus spécifiquement celui de Metz, évoquait déjà la disparition lente de notre langue régionale en 1829. C’est pourquoi il avait décidé d’écrire différents ouvrages en Lorrain roman, afin de préserver cette richesse. Ces ouvrages sont devenus des documents précieux. La langue régionale romane de Lorraine est à considérer comme faisant partie intégrante de notre patrimoine culturel. En 1881, l’instruction primaire avait été rendue obligatoire par Jules Ferry. Il était également impératif de parler le français à l’école. De ce fait, notre langue régionale a continué son déclin. De mon côté, j’ai appris le Lorrain roman auprès de ma grand-mère née en 1880 près de Delme durant l’Annexion. Pour l’anecdote, les gens de son village ne parlaient qu’en Lorrain roman entre eux pour ne pas être compris par les Allemands. Comme elle habitait avec ma mère et moi à Strasbourg, elle ne nous parlait qu’en Lorrain roman. C’est comme cela que le Lorrain roman est devenu ma deuxième langue maternelle. Ne l’ayant plus pratiqué après son décès en 1968 et durant toute ma vie active, c’est à ma retraite, en assistant aux réunions de Lorrain roman données au centre culturel de Metz-Queuleu, que cette langue m’est revenue. Je n’avais rien oublié. Malheureusement, il est difficile de trouver des personnes motivées qui veulent s’impliquer dans la défense de notre langue alors que, dans les campagnes, beaucoup d’anciens la connaissent encore. Je crains bien qu’après moi, il n’y ait plus de relève et je le regrette profondément. Il y a encore pourtant beaucoup de projets à réaliser. »

Lés pièrayes d’lé Castafiore
Lés pièrayes d’lé Castafiore (Crédits photo : Eric Senet)

BLE Lorraine : Quel est l’intérêt de préserver notre langue régionale ?

CT : « Si l’on se penche sur ce qu’ont été les langues de l’Hexagone, l’on constate que les langues régionales ont été parlées durant 1 500 ans. Elles se sont formées dans les années 600 en se transformant sans cesse au fil des siècles. Chaque région avait sa propre langue. Par ordonnance d’août 1539 concernant l’article se rapportant à la langue française, François Ier a imposé que tous les actes administratifs soient érigés en français, sa langue maternelle, alors qu’ils étaient auparavant rédigés en latin. Ce décret n’était pas du tout dirigé contre les habitants du royaume, dont 99 % ne parlaient pas le français et qui ont continué à parler leurs langues régionales. A partir de ce moment-là, et au fil du temps, une certaine élite des villes commença à parler le français, parce qu’elle était la langue du roi. Toutefois, dans les milieux populaires des villes et dans les milieux ruraux, les gens continuaient à parler leur langue régionale. En rendant obligatoire le fait de parler le français à l’école en 1881, l’Etat français cherchait à ce que tous les Français ne parlent plus que la langue d’état et à bannir totalement les langues régionales. Nos langues régionales ont alors commencé à péricliter, particulièrement la langue lorraine romane. Didier Mory, avocat au Parlement de Metz dans les années 1800, Léon Zeliqzon, professeur au lycée de Metz au début des années 1900, Jean Lahner, professeur à l’Université de Nancy II, décédé en 2018, se sont battus pour conserver notre langue en écrivant des ouvrages, des pièces de théâtre et des contes. Jean Lahner avait même réussi à instaurer une licence de Lorrain roman à l’Université de Nancy II. Elle n’a malheureusement pas perduré, faute d’étudiants. Le Cercle des Patoisants de Moselle s’est quant à lui réuni durant de nombreuses années au centre culturel de Metz-Queuleu. Il a pris la forme associative en 2019 dans le but de créer et de promouvoir des publications. Nous avons ainsi édité un livre en 2019 intitulé Le patois lorrain roman en Moselle, traduction du livre de René Bastien Clément le petit Lorrain, en y incluant deux CD pour faire connaître ou redécouvrir cette langue oralement. Aujourd’hui s’y ajoute le lancement de l’album des Bijoux de la Castafiore en partenariat avec Tonnerre de l’Est ! et avec le précieux soutien des Archives Municipales de Metz. Il est important de comprendre que nos langues régionales font partie de nos racines profondes. A ce titre, elles doivent être perpétuées, afin que les générations futures n’oublient pas la langue de leurs anciens. Elles sont un bien précieux, immatériel, qui forme un tout avec l’histoire en général, le patrimoine immobilier, le patrimoine culturel, etc. »

BLE Lorraine : Quelles actions pourraient être entreprises selon vous pour valoriser le Lorrain roman ?

CT : « Pour ce qui est du Cercle des Patoisants de Moselle, les réunions se sont achevées au quatrième trimestre 2023. L’association a été dissoute faute de locuteurs. Le Covid-19 a momentanément mis fin à nos réunions. A la reprise, certains ne sont plus revenus et d’autres sont décédés. Auparavant, nous étions une dizaine de membres. Le projet de traduction d’un album de Tintin avait été mis en place lors de l’existence de notre association. Le nécessaire a été fait pour mener ce projet à terme, à savoir la sortie de l’album, et ce, malgré la dissolution de l’association. J’ai également participé à l’enregistrement d’une fable d’Esope en Lorrain roman avec le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) qui se retrouve sur l’Atlas sonore des langues régionales de France. La langue régionale de la Lorraine romane est ainsi désormais présente sur la carte. J’ose croire qu’il reste encore des gens actifs pour préserver notre langue, à l’image d’associations comme celle du Val d’Ajol et de Monsieur André Touchet. L’idéal serait de pouvoir instaurer des cours de Lorrain roman à l’école, de pouvoir publier au moins une fois par mois un article en Lorrain roman dans un journal et de mettre en place la double dénomination des rues en français et en Lorrain roman. On peut en effet repérer des traces de la langue lorraine romane dans certains noms de rues à Metz. Par exemple, la Rue aux Ossons, l’osson étant le petit de l’oie en Lorrain roman. Sente à my est également une rue dont le nom vient du Lorrain roman. Cela signifie « Sentier à jardins ». Dans le quartier du Sablon, ce sentier menait autrefois vers les jardins des maraîchers et des vignerons. »

Vous pouvez réserver et commander la BD Les Bijoux de la Castafiore en Lorrain roman en remplissant le bulletin de souscription disponible via le QR code ci-dessous.

Rédigé par Rédaction BLE Lorraine

La Rédaction du Groupe BLE Lorraine, premier média et think tank indépendant de Lorraine.

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