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Picards et recul de la frontière linguistique en Lorraine

Mainvillers, à la frontière linguistique (Crédits photo : Thomas RIBOULET pour le Groupe BLE Lorraine)

Dieuze était le siège d’un lieutenant-bailliager au sein du fameux Bailliage d’Allemagne du Duché de Lorraine. Autrement dit, toute la partie Est du Saulnois était de langue germanique depuis la nuit des temps, probablement même avant la colonisation romaine. Elle le fut jusqu’au XVIIème siècle, après lequel la frontière linguistique commença à reculer avec notamment l’arrivée des Picards.

Il suffit de consulter les lieux-dits du cadastre pour s’en convaincre. Citons par exemple la forêt du Romersberg (Mont des Romains) qui jouxte l’Etang de Lindre. On peut aussi aller dans le village voisin de Guermange. Sur une grande pierre datée de 1543 et scellée dans le mur méridional de l’église est gravée une inscription, non pas en allemand, mais en dialecte germanique. Elle commence ainsi « Im jor 1543 nach unsers Herren Gepurt » (« En l’année 1543 après la naissance de Notre-Seigneur ».

recul de la frontière linguistique
Recul de la frontière linguistique en Lorraine (Crédits image : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

Mais la Guerre de Trente Ans, la peste et la famine ravagèrent et décimèrent toute la Lorraine, plus particulièrement le Pays du Saulnois et davantage encore, sa partie orientale, tant et si bien qu’il a fallu repeupler ce territoire, notamment sous le règne de Louis XIV. C’est d’ailleurs à cette époque que fut édifiée la nouvelle ville voisine de Sarrelouis aux dépens de Vaudrevange, ancien chef-lieu lorrain, ruiné par les Suédois. Les nouveaux habitants   arrivèrent, pour une grande partie d’entre eux, de la Thiérache, dont le chef-lieu, Guise, était le siège d’un célèbre duché. Et, les Ducs de Guise, issus d’une branche cadette de la famille de Lorraine, comptaient alors parmi les plus zélés serviteurs du Royaume de France. Par la suite, ces premiers immigrés furent rejoints par d’autres venant non seulement du Royaume de France, mais aussi de Savoie, du Tyrol et de Suisse.

Migration des Picards vers la Lorraine (Crédits image : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

Nombre de familles picardes se sont alors établies dans des villages tels que Rorbach-lès-Dieuze, Desseling ou Ommeray, d’où elles ont essaimé un peu partout dans la région au fil du temps. Ainsi retrouve-t-on à Assenoncourt une famille d’origine picarde du nom de « Sonnette » qui tenait une auberge « du temps des Allemands ». Dans notre région, on avait pris l’habitude de désigner sous le nom de « Picard » toute « personne étrangère », mais de langue française, venue s’installer après le XVIIème siècle dans ce secteur alors quasiment dépeuplé. Ce nom, parfois différemment orthographié (Picard ou Piquard), est d’ailleurs un patronyme fort répandu dans toute la région. Et, sur nos cadastres communaux, il n’est pas rare de trouver des lieux-dits baptisés « les Picards ». A Guénestroff, village fusionné avec Kerprich depuis 1973 pour former Val de Bride, existe une « Rue des Picards ». Les noms de Kerprich et de Guénestroff ont de leur côté une consonance qui montre bien la langue originelle de cette contrée. Les habitants de Desseling sont même surnommés « les Picards » dans le fameux évangile des ivrognes et une association de ce village perpétue un jeu « étrange venu d’ailleurs », à savoir « la boule picarde ».

Boules picardes à Guénestroff (Crédits photo : Roger RICHARD pour le Groupe BLE Lorraine)

Contrairement à ce qui a souvent été inculqué aux gens de nos provinces, le Lorrain roman n’est absolument pas du français dégénéré. D’ailleurs, du français officiel ou du Lorrain roman, quel est le meilleur dépositaire de la langue de nos lointains ancêtres ? Quel est le plus fidèle au latin ? Il n’est pas toujours évident de répondre à ces questions. Le Royaume de France a laissé la place à un Etat centralisé autour de sa capitale. Pour autant, la vérité ne vient pas toujours de Paris.

Rue des Picards à Guénestroff (Crédits photo : Google Street View)

La France doit son nom aux Francs mais ceux-ci, venus de Germanie, ont finalement adopté la langue du pays qu’ils venaient de prendre aux Romains. La langue des affaires et du commerce s’impose bien souvent devant les autres. Ainsi, le latin l’a-t-il emporté sur le gaulois, le langage gallo-romain sur les dialectes, etc. et, à en croire certains oiseaux de mauvais augure, l’anglais pourrait un jour supplanter le français.

Rédigé par Roger RICHARD

Locuteur du Lorrain roman et Président des Amis du Saulnois et de son patrimoine pour le Groupe BLE Lorraine

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