Le site est parsemé de fortifications allemandes. La Corbeille, promontoire rocheux perché à 899 mètres d’altitude, situé juste en face du Donon, abrite même l’un des vestiges lorrains les plus étonnants de la Première Guerre mondiale, à savoir un tunnel aussi étriqué que surréaliste, long de cent mètres et dont la traversée paraît interminable.
L’entrée de ce tunnel apparaît après dix minutes à serpenter dans les tranchées tortueuses envahies d’herbes hautes et de fougères. Les premiers mètres sont angoissants. La lampe torche est indispensable. La lueur du jour ne transperce en effet qu’à deux reprises pour mener aux chambres d’observation. De là, la vue est plongeante sur la Vallée de la Plaine. Cent ans après sa construction, la structure est intacte. Deutsche Qualität oblige.
Il faut dire que les Allemands ont mis les moyens pour contrôler cette ligne de défense naturelle qui va du Col de l’Engin à celui de Prayé. En son centre trône le Donon, carrefour stratégique qui donne accès à la Vallée de la Bruche en direction de Schirmeck, aux Vosges via Raon-l’Etape et à Senones, ou encore à la Moselle par Abreschviller et Saint-Quirin. Conquis par la 25ème Brigade d’Infanterie de la 1ère Armée française du Général Dubail le 14 août 1914, le site fut repris sept jours plus tard, le 21 août 1914. Le cimetière militaire non loin témoigne encore de l’apprêté des combats. Les Allemands décidèrent alors d’en faire un élément central de leur dispositif défensif truffé de constructions bétonnées.
Pour le Général Falkenhausen, le Massif du Donon occupait une position centrale dans la défense du front qui commençait à se stabiliser à une douzaine de kilomètres. Des travaux titanesques furent donc entrepris à partir de 1915. L’armée allemande mobilisa 10 000 hommes et engagea des moyens matériels et financiers démesurés. Deux voies de chemin de fer, deux téléphériques, l’un en provenance de la Malcôte, dont on aperçoit encore un pilier, l’autre de Grandfontaine, ainsi que des routes furent construits par des prisonniers russes pour acheminer sur cette ligne de crête des armements, munitions, barbelés, ciment et ferraille. Les cuisines étaient installées au Sandplatz et les repas acheminés jusqu’au Col de Prayé par la voie ferrée. Une station de pompage d’eau fut même aménagée. Une vanne est d’ailleurs encore visible au sommet de la Corbeille.
150 abris sont recensés dans le Massif du Donon. La descente vers l’Est, depuis la Corbeille, permet de découvrir l’artillerie de ligne. Trois impressionnantes batteries fixes de quatre canons y sont toujours fixées, comme figées dans le temps. Elles furent construites sur le même modèle, avec des galeries de liaison et une pièce séparée pour les explosifs et la poudre, assemblés sur place. Leurs fenêtres de tirs sont systématiquement orientées vers l’Est et les positions allemandes. En effet, les attaques frontales étaient rares. Généralement, après une percée, les combats répondaient à des mouvements tournants. Les Allemands étaient ainsi persuadés que les Français arriveraient par derrière. Long de 55 mètres, l’imposant blockhaus du Morveux faisait office de Kommandantur. La chambre du commandant, reconnaissable à ses armoires murales, y est encore visible à l’entrée. A l’image de tant d’autres, cette structure colossale n’essuya aucun combat. Ne jugeant plus le Donon prioritaire, les Allemands stoppèrent les frais en 1916, avant que ce système de fortifications ne retrouve un intérêt, moins de trente ans plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale.
Toujours très documenté, voilà un article qui démontre à l’envie que la « ligne bleue des Vosges » fut aussi une ligne gris acier qui joua un rôle mortifère dans les conflits entre France et Allemagne, dont la Lorraine, parmi d’autres, fit toujours les frais. On reste confondu devant l’ampleur des préparatifs de guerre d’un côté comme de l’autre dont l’inanité ne tarda pas à se révéler. Les « lignes » qu’elles soient Séré de Rivières, Siegfried, Maginot, etc. ont toujours failli sur le plan purement militaire. Peut-être eût-il été plus judicieux de consacrer les efforts et les capitaux engagés dans d’inutiles « ouvrages de défense » dans une diplomatie plus performante. Les conflits ne profitent jamais à personne. Deutsche Qualität, c’est sûr, mais aussi Französische und Preußische Dummheit !