Située à 910 mètres d’altitude en plein cœur du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges, la tourbière du Lac de Lispach, à La Bresse, offre le spectacle saisissant d’un paysage boréal témoin du passé glaciaire du massif montagneux lorrain.
Ici, le sol est mouvant et la tourbière flotte. Les températures annuelles moyennes n’excèdent pas 5°C. Le climat et les précipitations sont similaires au Sud de l’Islande. En quittant cette dépression il y a 10 000 ans, le glacier a laissé place à un tapis végétal jouant le rôle d’amortisseur hydrique. Au fil des millénaires, la végétation s’est refermée sur le lac glaciaire, au point de le faire complètement disparaître. Plusieurs mètres de hauteur de tourbe, résultant des mousses mortes accumulées à raison d’une croissance d’un millimètre par an, avaient alors recouvert le sol. Ces mousses, appelées feignes, fagnes, faignes ou encore sphaignes, peuvent renfermer jusqu’à 36 fois leur masse en eau.
Ce cycle naturel s’est brusquement arrêté au XXème siècle avec la création d’un barrage destiné à alimenter l’industrie textile. Cet aménagement a rétabli artificiellement et de manière spectaculaire un verrou glaciaire, c’est-à-dire une barre rocheuse bloquant l’écoulement de l’eau. Si bien qu’en l’espace de quelques années, le paysage de la tourbière a rajeuni de plusieurs milliers d’années ! De quoi raviver les croyances autour de Cula, lutin ou feu-follet légendaire des lieux.
Ces paysages de landes tourbeuses et spongieuses forment des îlots de nature boréale acidophile. Ces espaces ouverts au milieu des sapinières et des hêtraies d’altitude abritent une flore et une faune caractéristiques et fragiles. Le Grand Tétras ou coq de bruyère s’en sert comme places de chant de choix sur lesquelles il vient parader à la saison des amours. Le Nacré de la canneberge constitue un autre exemple emblématique de l’écosystème de la tourbière. Les chenilles de ce papillon se nourrissent exclusivement de canneberge, plante également familière de ces milieux humides. 250 espèces végétales sont recensées dans cette zone classée Natura 2000, dont trois variétés de droséra. Carencée en azote dans ce milieu acide, ces plantes carnivores se sont adaptées en se délectant de petits insectes, de papillons et de libellules.
Au centre, l’œil de la tourbière est complètement isolé par la barrière végétale sur laquelle tentent de survivre quelques bouleaux chétifs. La remise en eau du site les a piégés. La plupart ont dépéri faute de pouvoir s’enraciner dans ce milieu trop humide.
A noter enfin que la tourbière voisine de Machais, située aussi à La Bresse, est quant à elle classée réserve naturelle.