La Saint-Jean-Baptiste est certainement l’une des fêtes les plus curieuses du calendrier lorrain. Car elle revêt, dans nos contrées, une ferveur toute particulière. Un étonnant résidu de paganisme, à peine teinté de religion.
Située, comme par magie, à proximité du jour le plus long de l’année, la Saint-Jean-Baptiste, que l’on se contente souvent d’appeler Saint-Jean, voire Saint-Jean d’été, est l’occasion d’allumer, dans toute la Lorraine, d’immenses brasiers que la culture populaire désigne encore sous le nom de « bûles » en Lorrain roman. La tradition est d’ailleurs bien ancrée. On la trouve mentionnée dès le XVIème siècle et elle continue d’être populaire auprès des communautés villageoises, depuis l’Argonne jusqu’aux Vosges. Mais au fait, d’où vient cette tradition ? Et pourquoi, à Sierck-les-Bains et dans quelques lieux des Vosges, les gens ne font-ils pas comme tout le monde ?
Comprendre les origines des feux de la Saint-Jean, c’est remonter, en quelque sorte, au plus profond de nos propres origines. Bien avant la naissance du Christ, les Celtes avaient déjà coutume de célébrer le solstice d’été en allumant de grands feux. Ces immenses brasiers, qu’ils dédiaient aux dieux de la lumière et de la fertilité, étaient censés illuminer la nuit la plus courte de l’année. Certaines sources affirment qu’une fois que le bûcher était consumé, on le divisait en deux tas de braises entre lesquels on faisait défiler le troupeau de la communauté. Ce rite, païen par excellence, était censé protéger les animaux. Il semblerait qu’il ait été pratiqué en Lorraine jusqu’à des périodes relativement récentes.
Autrefois appelée « Litha », la fête du solstice, que la tradition germano-scandinave continue de désigner sous le nom de « Midsommar » (littéralement « milieu de l’été ») était considérée comme l’apothéose du règne de la nature. D’après Bède le Vénérable, auteur médiéval d’un ouvrage intitulé De temporum ratione, cette fête était propice à l’amour, à la guérison et à la protection.
Avec ses bûchers, ses danses et ses rites païens, la fête du solstice s’est très vite attirée la méfiance de l’Eglise. Dès les premiers siècles du christianisme, prêtres et évêques tentèrent de faire interdire l’ensemble des cultes en rapport avec le Soleil et le cycle des saisons. En vain, car les peuples paysans, à noter d’ailleurs que « paganus », en latin, signifie aussi bien « paysan » que « païen », continuèrent de célébrer, à leur manière, le jour le plus long de l’année …
Face à ce constat d’échec, l’Eglise s’appliqua alors à christianiser la fête, en choisissant de célébrer, chaque 24 juin, la Saint Jean-Baptiste. Le choix n’est pas anodin. Jean-Baptiste était le cousin du Christ. C’est lui qui l’aurait baptisé, dans les eaux du Jourdain, et l’aurait désigné comme étant l’incarnation de Dieu sur Terre. Emprisonné, il fut finalement décapité sur les ordres du Roi Hérode, afin de satisfaire Salomé qui, en récompense d’une danse qu’elle venait d’exécuter devant le monarque, avait précisément demandé la tête de Jean-Baptiste …
En tant que cousin du Christ et dernier prophète à avoir annoncé sa venue, Jean-Baptiste occupe une place de choix dans la tradition catholique. Il est celui qui a baptisé Jésus, celui qui l’a annoncé et établi dans son ministère. Pour toutes ces raisons, on a choisi de le fêter à une date symbolique, étonnamment placée aux antipodes de Noël, qui, est-il besoin de le rappeler, célèbre la naissance du Christ. L’Eglise médiévale pensait alors que le charisme et la personnalité de Jean-Baptiste suffiraient à effacer, peu à peu, les vieux rites païens. Il n’en fut rien.
Car les bûles de la Saint-Jean continuent de flamber, chaque 24 juin, dans toutes les contrées d’Occident. En Lorraine notamment, elles font l’objet d’une incroyable popularité, peut-être parce qu’elles sont aussi l’occasion de réunir le village, la famille. Même à Metz, on dressait autrefois un imposant bûcher, sur la Place de l’Esplanade. Les jeunes gens avaient l’habitude de s’y retrouver et d’y danser toute la nuit. Et d’y brûler quelques chats ! Cette tradition, qui remonterait au Moyen-âge, trouverait son explication dans le fait qu’en 1344, la ville, qui aurait été frappée d’une épidémie choréique, aurait éloigné le mal en sacrifiant des chats, animaux réputés pour incarner le Diable. Depuis, les Messins enfermaient, chaque 24 juin, une demi-douzaine de chats dans une cage. Laquelle cage était suspendue au-dessus de la bûle. La coutume fut abolie, visiblement, qu’en 1773, à la faveur de Madame d’Armentières, femme du gouverneur militaire qui jugeait cette pratique barbare et révolue.
On le voit, les Lorrains d’autrefois associaient à la Saint-Jean de nombreuses superstitions. Dans certaines vallées vosgiennes par exemple, on avait coutume d’orner, chaque 24 juin, la plus belle vache du troupeau de tout un tas de rubans colorés. A Lunéville, on disait que si l’on ne chantait pas à la messe de la Saint-Jean, on risquait de voir quelques fées apparaître … En Meuse et dans quelques coins de Moselle, on recommandait, pour se prémunir du mauvais sort, de cueillir, pendant la nuit de la Saint-Jean, quelques herbes spéciales et de les placer sous son lit … A Saint-Dié, on avait coutume d’organiser une sorte de bal populaire, destiné à la jeunesse. Certaines façades de maisons étaient, pour l’occasion, ornées de guirlandes de fleurs et de rubans.