Je suis né dans la première partie du XXème siècle entre la terre lourde qui colle aux sabots par temps de pluie qu’on appelait le Gau Boden et le sol sablonneux avec des carrières de grès qu’on appelait le Gréis ou le Griis. Ainsi, à Berviller-en-Moselle, on peut observer les différentes strates qui débutent dans la vallée par des carrières de grès rouge, puis quelques mètres en amont, on trouve d’anciennes carrières de Hauptbundsandstein, un grès plus dur. Plus haut encore sur le ban de la commune, on peut trouver une couche de calcaire coquillier avec de nombreux vestiges du temps lointain où la Lorraine était une suite de lagunes.
Je me souviens encore du temps que les jeunes de trois fois vingt ans ne peuvent plus connaître. C’était le temps ou les engins à moteurs étaient très rares dans les agglomérations, au milieu desquelles se dressaient les clochers qui dictaient leurs lois, leurs us et leurs coutumes. Ainsi, les déplacements des gentilés étaient plutôt réduits et se limitaient à se rendre dans les villages voisins, à pied, à vélo ou en charrette tirée par des chevaux. Et naturellement quand on se déplaçait dans un village voisin on était considéré comme un étranger à qui on trouvait généralement des défauts. C’est de cette manière que commença la guerre des clochers qui étaient généralement composée de railleries et de moqueries. Tout naturellement on collait un sobriquet sur le dos de l’étranger.
Il me vient à l’esprit certains sobriquets des villages environnants, en commençant naturellement par le village où je suis né et où on attribuait aux habitants le sobriquet de « Essiglächer » (trous à vinaigre) car on cultivait la vigne dans ce village. Comme le vin produit n’était pas soufré, il tournait assez rapidement en vinaigre que certaines personnes allaient vendre dans les villages environnants. Les habitants du village voisin de Rémering, où était né mon père, avaient hérité du sobriquet de « Eichatten ». On pourrait s’imaginer que cela correspond à des écureuils, mais pour ma part je pencherais plutôt pour une version totalement différente. En effet, quand des habitants veulent se donner de l’importance, ils commencent souvent leur phrase par « eich » c’est-à-dire « moi ». Par exemple, moi j’ai beaucoup d’argent, moi je suis allé là-bas, moi je, etc.
Il y a d’autres sobriquets, dont je n’ai pas encore trouvé de signification comme pour les « Lenzenschéisser » (chieurs de lentilles) de Creutzwald et les « Moken fresser » (bouffeurs de crapauds) de Falk. En revanche, je pense avoir trouvé la signification des « Hoar ropper » (arracheurs de cheveux) de Merten. En effet, quand j’étais apprenti à partir de l’âge de quinze ans je devais me rendre à vélo jusqu’à Creutzwald en passant par Merten et il n’était pas rare que des jeunes en manque de savoir-vivre me fassent des difficultés lors de mon passage dans ce village. Même si je n’ai jamais eu de vrais problèmes pendant mes trois années de passage obligé par ce village, j’étais habité par une appréhension qui me faisait appuyer plus fort sur les pédales de mon vélo quand je passais par Merten.
De nos jours, ces sobriquets ont perdu leur dimension axiologique et tombent dans l’oubli car de plus en plus « d’étrangers » se mêlent aux populations locales. Ce qui est certainement un bien, ne serait-ce que pour prévenir les consanguinités.