Bouleversée par la destruction de l’ancienne mairie-école de Guéblange-lès-Dieuze, dans le Saulnois, pour faire place nette à un bâtiment contemporain fade et insipide, dont l’architecture minimaliste offre au regard un mur de béton sans fenêtre sur la rue principale du village, Marie-Noële Stéphan a rédigé un impressionnant tome pour collecter et transmettre les savoirs du monde rural d’autrefois en Lorraine. De l’organisation d’un village-rue au bon sens paysan, en passant par les techniques de constructions, son travail rappelle la nécessité de préserver ce patrimoine fragile et cet héritage ô combien précieux qui tendent pourtant à disparaître en silence dans nos campagnes.
BLE Lorraine : D’où vous est venue l’idée de rédiger cet ouvrage ? Comment votre projet a-t-il évolué au fil du temps ?
Marie-Noële Stéphan : « Au début, ce fut une colère irrépressible, oui, c’est le mot, qui m’a emmenée vers une recherche tous azimuts, durant deux mois. Je ne comprenais pas cette décision de raser un bâtiment témoin de l’histoire d’un village. Depuis, j’ai vu plein d’autres destructions, que je documente. Je me suis rendue aux Archives départementales de la Moselle à Saint-Julien-lès-Metz pour chercher des preuves de l’histoire de cette bâtisse, ancienne mairie-école. J’ai rassemblé plein de documents. J’ai continué à chercher, et puis, je me suis dit que cela ne pouvait être perdu, qu’il fallait mettre tout ensemble, et le transmettre. »
BLE Lorraine : Pour quelles raisons, la sauvegarde et la transmission de ce bâti rural sont-elles importantes ?
MNS : « Beaucoup d’habitants du village en ignore tout, ce qui a été mon cas. J’en veux encore à un système scolaire de ne pas m’avoir enseigné l’histoire de la région, la mienne, et celle d’adoption. D’ailleurs, on a fait table rase du passé dans plein d’endroits et maintenant, certains se rendent compte que ce fut une erreur. Et, en parallèle, une grande partie de la jeunesse est en recherche de ce savoir, de ces savoir-faire du monde rural. »
BLE Lorraine : Que vous ont appris vos recherches sur l’organisation du village lorrain et la vie d’autrefois dans le monde rural en Lorraine ? Qu’avons-nous perdu en moins d’un siècle ?
MNS : « Dans les petits villages, il y avait une organisation individuelle, familiale mais aussi collective. On se réunissait plusieurs fois par an, en famille élargie, ou entre voisins, pour partager des moments, comme aller couper du bois, pour les veillées, tuer le cochon, les moissons ou encore à l’occasion des fêtes de village. Ce n’était pas forcément « le bon vieux temps », mais ce furent des siècles de « faire ensemble », peut-être en raison d’une adversité commune (climat, guerre, etc.), peut-être aussi d’une envie commune, d’un besoin commun. »
BLE Lorraine : Quelles pistes peuvent être explorées pour nous reconnecter à notre environnement et préserver l’héritage encore debout laissé par nos anciens ?
MNS : « Je pense que les solutions sont toujours les mêmes qu’autrefois. Se rattacher à son voisin, à ses proches, ne pas rester seul, partager ce qu’on sait, ce qu’on nous a transmis. Des quantités de vidéos, d’articles expliquent comment faire de la lactofermentation, un potager, de la lessive à la cendre, faire baisser la fièvre avec des bandelettes trempées dans l’eau froide sur les poignets et le front, etc. La génération qu’on appelle « les boomers » a été la première et la plus confrontée à la séduisante offensive capitaliste, du facile, rapide, pratique et pas cher, qui n’a pas su résister, comme les nouvelles générations ne savent toujours pas résister à d’autres tentations. Le numérique à tout va, ce qu’on appelle les nouvelles techniques, le « appuyer sur un bouton », tellement dépendantes d’infrastructures énergivores et gargantuesques d’écosystèmes, n’est freiné que par quelques-uns. C’est donc à l’échelle d’un village, d’un quartier, en se donnant du temps, en faisant des choix, que l’on arrivera à ne pas tout perdre. Car ce qu’on a perdu, il faut le réinventer et c’est vraiment dommage car cela a mis des siècles à se construire. C’est autant de temps et d’énergie perdus que de devoir s’y réinvestir, le moment venu. Si l’on en revient à l’origine de cet ouvrage, il s’agit par exemple du savoir-faire de la construction en Lorraine, c’est-à-dire peu de fondations, des murs en pierres calcaires maçonnées à la chaux et issues des environs proches, les grandes et larges charpentes, le puits dans la cave, etc. Des bâtisses qui tiennent debout depuis deux, voire trois siècles, pas plus car la Guerre de Trente Ans est passée par là. Très peu de personnes maîtrisent encore ces techniques. Elles étaient pourtant si ingénieuses, comme toutes les constructions traditionnelles. Quelques maisons subsistent et des associations veillent heureusement à les préserver.
Je continue à creuser le sujet du monde rural. Un autre livre est en préparation. Lorsque j’entends le président français dire que l’agriculture sera « robotique, numérique, génétique », en gardant la chimie, je me dis qu’il est « à côté de la plaque ». Je crois qu’il se trompe. On n’arrête pas de courir après des arlésiennes, alors qu’il suffit de s’arrêter et de reprendre à zéro. Ce n’est pas l’agriculture qui a failli, ce sont les collatéraux, c’est-à-dire les guerres, les engrais, les pesticides, le bétonnage, le gigantisme des machines et maintenant les nanotechnologies, les OGM, etc., qui la détruisent.
Je pense que l’on pourrait également réintroduire au niveau scolaire certains apprentissages. Nous les avions au collège et ils me sont restés. Quelques enseignants s’y attellent encore, comme savoir-faire de la pâte, un jardin, avoir un poulailler, de savoir manier une aiguille et du fil, de bricoler avec des personnes du village. Il existe aussi des associations, mais tous les enfants n’y vont pas, pris par d’autres passe-temps. Il est essentiel de créer des relations intergénérationnelles, d’oser. »
Pour se procurer l’ouvrage publié en autoédition, écrire par mail à Marie-Noële Stéphan à l’adresse suivante : kasstep79@laposte.net. Le livre est disponible au tarif de 47,50 euros. Le montant comprend les frais de port. Compter un délai d’impression.