Dans son ouvrage intitulé L’Ours des Vosges, sur les traces d’un animal disparu, Jean-Michaël CHOSEROT, Président de l’association BERIAN, multiplie les analyses pour proposer une étude minutieuse de l’ours dans les Vosges. En croisant les regards du naturaliste et de l’historien et en abordant des thèmes comme la toponymie, la linguistique, les légendes et les traditions populaires, il offre un récit complet et inédit de l’ours dans le massif vosgien.
BLE Lorraine : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cet animal emblématique ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la présence et la disparition de l’ours dans les Vosges ?
Jean-Michaël CHOSEROT : « L’ours est un animal qui fascine car comme nous il est omnivore, super-prédateur et adopte des postures humaines comme pour s’assoir, se mettre debout ou autre. Autrefois, on le pensait même être l’ancêtre de l’Homme. Il est aussi un symbole du sauvage perdu en Europe occidentale. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous l’avons adopté comme logo pour notre association car sa nature animale rappelle la discipline naturaliste de notre structure et le fait qu’il ait disparu rappelle quant à lui le coté historique de l’association.
Aujourd’hui, beaucoup ignorent qu’il y a eu autrefois des ours dans les Vosges. Pourtant, la période de sa présence est bien plus importante que celle de son absence. Dans mon livre, je fais remonter le lecteur à 3,6 millions d’années, époque à laquelle semble apparaître dans nos régions l’ours étrusque. Je termine par la date d’extinction officielle de l’ours dans le massif vosgien en 1786, bien qu’il existe des témoignages de présences relictuelles du plantigrade encore au début du XIXème siècle. Ainsi, après avoir vécu pendant plusieurs millions d’années dans les Vosges, l’animal n’est absent que depuis à peine plus de 200 ans !
Bien que l’ouvrage soit centré sur l’histoire de l’ours brun en des temps historiques, en plus de l’ours étrusque, je cite d’autres ours préhistoriques comme l’ours de Deninger et le célèbre ours des cavernes. Aux temps anciens, plusieurs espèces d’ours se sont par conséquent côtoyées dans les Vosges. »
BLE Lorraine : Quels indices et quelles traces existe-t-il encore de la présence passée de l’ours dans les Vosges ?
JMC : « Il y a de très nombreux vestiges de l’animal dans le massif vosgien. Certains auteurs le disaient être aussi commun que le chevreuil. Tout le monde savait à quoi ressemblait un ours car tout le monde en avait déjà vu un comme c’est toujours le cas en Roumanie au bord des autoroutes ou aux Etats-Unis au milieu des habitations. C’est normal, comme ça l’était chez nous. Ainsi, en plus des témoignages écrits, l’ours figure parmi les animaux les plus représentés dans l’art comme le prouve des sculptures d’églises, de fontaines ou des enluminures, à l’image de celles du Graduel de Saint-Dié. On trouve également des vestiges osseux de l’animal dans des failles, des grottes et même parfois à peine enterrés comme ces ossements retrouvés par un scientifique dans la région de Nancy. Il y a aussi la toponymie comme la Basse de l’Ours à Gérardmer, le Trou de l’Oche (l’ours en Lorrain) à La Bresse, sans parler des nombreux Berenberg, « montagne de l’ours » en allemand, et bien d’autres encore. Dans mon livre, je dresse une liste non exhaustive de ces toponymes. J’en ai recensé plus de soixante, alors que pour le chevreuil, animal très commun, j’en ai recensé à peine plus d’une dizaine. L’ours a donc marqué les esprits ! Je rappelle également dans mon ouvrage les légendes, comme celles en Lorrain, qui nous racontent comment sont venus au monde les ours. Je parle aussi de médecine populaire traditionnelle. La graisse d’ours était par exemple utilisée pour faire repousser les cheveux ou soulager des rhumatismes. »
BLE Lorraine : Quelle symbolique porte et véhicule l’ours ?
JMC : « Roi des animaux, l’ours était autrefois un animal vénéré, comme le prouve Artio, la déesse-ourse chez les Celtes. Avec son hivernation puis son retour au printemps, l’ours était un symbole d’immortalité, de fécondité et de lumière. Même bien après sa disparition, des dictons en Lorrain parlaient encore de l’ours et du retour de la lumière à la chandeleur. Diabolisé au Moyen-âge, il est remplacé par le lion et devient alors la bête de foire que l’on ridiculise. Il sera un symbole des péchés humains comme la paresse, la balourdise, la brutalité, etc. Aujourd’hui, l’ours est devenu un symbole très ambivalent. C’est un animal que l’on craint, surtout dans les régions où il a disparu, mais qui est pourtant aussi une figure rassurante, avec l’ours en peluche par exemple. Il conserve ainsi une très bonne image dans l’univers enfantin. L’ours est un animal qui représente la nature sauvage et indomptée que l’on recherche avec inquiétude, passion et émotion. »
BLE Lorraine : Une réintroduction de l’ours dans les Vosges est-elle possible et souhaitable ?
JMC : « C’est un questionnement auquel je réponds justement avec un peu plus de détails à la fin de mon livre. Un projet existe pour reconnecter les populations ursines entre elles, surtout pour celles qui sont isolées comme dans les Pyrénées ou le Trentin. Dans une étude commandée par l’Union Européenne, une équipe de scientifiques allemands a pu réaliser un inventaire des milieux naturels où le biotope peut encore accueillir l’ours. Cela va peut-être en surprendre plus d’un, mais les Vosges font parties de ce recensement potentiel. Ainsi, le massif vosgien, sur le plan purement biologique, peut encore accueillir l’ours ! Il a d’ailleurs toute sa place dans l’équilibre naturel. Il manque partout où il a été exterminé. Il est un prédateur et un équarisseur, évitant ainsi la pollution des sols et les épidémies, tout en permettant le maintien d’un équilibre naturel des populations animales qu’ils régulent. Mais, sur le plan social, c’est une autre histoire … Il suffit pour ça de voir quelle place on laisse aux quelques loups et lynx dans le massif, entre tirs illégaux, conférences censurées, débats parfois houleux entre les acteurs du massif. Sa réintroduction dans les Vosges sera donc bien difficile. »