Comme toutes les fêtes, celle de Lachaussée se prépare bien en amont. Dès le début du mois d’octobre, les vannes de l’immense étang sont ouvertes. La petite rivière d’Yron, qui sort de l’étang pour gagner le Jarnisy en serpentant au milieu de grasses prairies, est alors subitement gonflée et sort fréquemment de son lit. Environ deux semaines plus tard, l’étang n’est plus qu’un vaste bourbier, une sorte d’estran duquel la mer se serait retirée.
C’est alors que commence la fête. Tous les poissons s’étant réfugiés dans l’unique chenal encore en eau, il suffit de les rabattre, avec un large filet, vers l’endroit de la pêche. Une douzaine de fiers gaillards, chaussés de cuissardes cirées et coiffés de bonnets râpés descendent dans l’eau et tirent lentement, très lentement, ce filet devant lequel frétillent déjà quelques poissons. Minutieusement, le filet est rabattu jusqu’à la pêcherie. Le public, venu de toute la Woëvre et même au-delà, attend stoïquement l’arrivée des pêcheurs. Dans l’eau trouble, chacun croit deviner un brochet, une carpe ou un énorme silure. Quand le filet est rabattu, quand le poisson est pris au piège et frétille dans seulement quelques mètres cube d’eau, c’est là que commencent véritablement les opérations
J’emprunte à l’un de mes ouvrages un petit passage, afin de décrire au mieux ce moment unique où les poissons sortent de l’eau et subissent l’impitoyable tri qu’ici, on appelle « évolage » :
« Puis une sorte de grue, petite mais robuste, se met en marche. A son extrémité pend un baquet que l’on remplit de poissons. La grue relève le seau, pivote d’un quart de tour et vide son contenu sur une sorte de tamis. Là encore, goujons et pilotes rousses passent à travers les mailles. Les gosses, excités, les récupèrent et les jettent dans des seaux remplis d’une eau sale et boueuse. « Ça f’ra des vifs pour aller au brochet ! », crient-ils joyeusement. Mais les plus gros poissons s’affalent sur la grille. Silures démesurément longs à la gueule monstrueuse, brochets aux dents acérés, carpes grasses comme des truies et perches armées de piques et de hallebardes : tout y passait. A chaque poisson un peu plus grand, on entend des exclamations et des sifflements. »
Les poissons, évidemment, sont proposés à la vente. Chacun peut donc repartir avec une carpe, un brochet ou même de la friture. Ou tout autre produit du terroir. Car la fête du poisson est aussi une manière de célébrer les délices de la cuisine lorraine. Les marchands de terrines et de pâtés côtoient les vignerons de Combres et de Vigneulles. Les vendeurs de gaufres et de beugnés rivalisent avec les charcutiers dont les jambons, fuseaux et autres délices ne manquent jamais d’attirer quelques clients un peu gourmands. L’ambiance est simple, franchouillarde, poétique même. Elle se renouvelle, un peu comme par magie, chaque année, quand les jours deviennent plus gris et la saison un peu plus triste.
