Un vieux moulin était bâti entre les villages de Berviller, Merten, Rémering et Villing, le long de la rivière qui prend sa source près de la frontière sarroise non loin de la chapelle Sainte-Oranne à Berus. Ce moulin figurait taillé dans la pierre de voûte de la porte de la grange une manille qui représentait une pièce de fer scellée dans une meule pour la renforcer. C’était le signe distinctif de la corporation des meuniers. La date de 1737 était gravée de part et d’autre de la manille, ce qui laisse présager l’année de construction du bâtiment annexe au moulin lui-même.
Bien avant les minoteries actuelles qui sont devenues des usines à traiter les grains, il y avait des moulins et le Moulin de Felschling, où j’ai résidé pendant plus de trente ans, était un moulin à aubes alimenté par les eaux retenues dans un canal d’une centaine de mètre de long. On peut encore voir de nos jours le déversoir de l’écluse qui canalisait les eaux. Naturellement, le bief en amont qui était situé en haut du déversoir a disparu.
Il me reste deux vieilles photos jaunies de la roue de cet ancien moulin sur laquelle on peut distinguer la roue à aube avec un chenal en bois qui déversait l’eau sur les augets avant que l’eau ne passe par un tunnel pour rejoindre le lit de la rivière. Il faut savoir qu’il y a des siècles, bien avant l’ère de l’anthropocène, les trois principaux socles des sociétés étaient les moulins, qui fournissaient le pain quotidien, l’église qui offrait le salut de l’âme et les châteaux, qui donnaient un abri en cas de conflit en contrepartie de la servitude des habitants.
Le meunier était constamment en alerte grâce à une petite ouverture entre sa chambre à coucher et le local qui abritait les meules car le moulin tournait jour et nuit. Grace à des godets, la farine était remontée jusqu’à l’étage supérieur. Elle retombait ensuite d’un tamis à l’autre. Le moulin comportait un jeu de deux meules, la meule dite dormante qui était fixe et la meule supérieure, aussi appelée meule tournante, qui sélectionnait la finesse de la mouture selon le réglage. Bien entendu quand les meules étaient devenues encombrantes et qu’il a fallu rénover ce vieux moulin, je les ai démontées puis exposées à l’extérieur pour attirer l’attention des passants. D’après les anciens, la roue à aube aurait été démolie pendant la Guerre de 1939-1945 et jeté dans la rivière pour permettre le passage des troupes. A l’époque, on ne connaissait pas encore l’obsolescence programmée et les mécanismes du moulin étaient d’une solidité vouée à toute épreuve.
Tout passe, tout lasse, tout casse
Je peux dire que j’ai vécu heureux pendant une bonne partie de ma vie dans ce vieux moulin en l’entourant de l’amour que j’avais pour les vieilles pierres et en essayant d’embellir cette niche écologique par des tas d’espèces différentes de plantes, dont un tulipier de Virginie, des érables, tilleuls, arbres de Judée, paulownias, cerisiers du Japon, ainsi que par plusieurs espèces de conifères et un séquoia géant qui doit bien avoir grandi depuis mon départ. Je ne m’étendrai néanmoins pas davantage sur toutes les espèces de plantes que j’ai mises en terre autour de ce bâtiment qui m’a abrité avec ma famille.
Ainsi, après avoir vécu et essayé de maintenir dans l’état les bâtiments du moulin pendant plus d’une trentaine d’années, arrivé à l’âge de la retraite, j’avais le choix entre rester et passer le restant de ma vie dans ce vieux moulin en consacrant toute ma retraite à refaire entièrement les toitures, où à revendre le moulin pour ne plus avoir à me soucier de la restauration des souvenirs d’un passé lointain. Cela fait à présent plus de dix ans que je me suis exilé définitivement sous les tropiques en essayant de recréer une biodiversité autour de ma nouvelle résidence à un jet de pierre de l’Océan Indien. Celui-ci m’offre un air plus riche en oxygène avec beaucoup moins de polluants et de risques liés à ces centrales nucléaires et autres stress oxydatifs.
Nouvelles de mon vieux moulin en Lorraine
On ne peut vraiment pas dire que le nouveau propriétaire se soit arraché un bras pour essayer de maintenir en état ce joyaux du passé car les photos que mes proches m’ont adressées me laissent pantois face à l’indifférence affichée des occupants actuels du moulin. On peut distinguer nettement qu’en très peu d’années, après avoir bravé des siècles, ce vieux bâtiment a été laissé à l’abandon. L’annexe est devenue une ruine simplement en laissant le gel et le dégel dégrader en peu de temps ce qui aurait pu être aujourd’hui encore un témoin de la vie des habitants de ces lieux. Le moulin aura connu ses heures de gloire et d’indifférence, mais il reste des souvenirs.
Il en est de même d’un moulin encore plus ancien qui était situé plus près du lit du ruisseau Weissbach. En désherbant, à l’époque, je suis en effet tombé sur des fondations qui ne peuvent que provenir de ce moulin qui était d’ailleurs recensé sur un inventaire de 1572 des biens ayant appartenu à Anna von Isenburg-Grenzau (1521-1581). Les environs de Berviller étaient déjà habités à plusieurs endroits dans le passé car à moins de trois kilomètres du Moulin de Felschling, à Merten dans le Eichenwald, il m’a été permis de trouver un bracelet en bronze sur un tumulus entre les racines d’un arbre mort. Ce bracelet daterait de la Culture de la Tène, autrement dit du second Age du Fer, c’est-à-dire entre 450 et 25 avant notre ère.
A deux cents mètres environs du Moulin de Felschling, j’ai également pu découvrir des fondations d’une villa rustica, avec de nombreux fragments de poteries anciennes et de tegulae, les tuiles de la Gaule romaine, et d’imbrices, c’est-à-dire les tuiles creuses semi cylindriques qui recouvraient les rebords des tegulae. J’ai aussi retrouvé de nombreux morceaux de poteries le long du chemin entre Berviller et Berus dans les champs fraîchement labourés. Tout cela fait état d’un peuplement le long de la frontière entre la Lorraine et la Sarre, à quelques centaines de mètres du village de Berviller.
J’ai enfin mis à jour un grattoir en silex. Que pouvait bien faire ce dernier parmi les débris datant de la Gaule romaine ? Selon des spécialistes en archéologie de la Direction Régionale des Affaires Culturelles, il s’agirait d’un grattoir en silex du Néolithique. Je me suis longtemps posé la question de savoir ce que faisait ce silex sur un site gallo-romain. Un jour, j’ai lu qu’en ces temps-là on vénérait de nombreuses divinités et que pour se protéger par exemple de la foudre on plaçait des pierres taillées sous le toit en pensant que ces pierres taillées provenaient des dieux.
Bonjour, très interessant; je me suis bien souvent demandé ce que devenait ce moulin en passant sur la route, dans cet écrin de verdure.
Je pense que ces moulins trop souvent laissés à l’abandon devrait profieter du soutien public pour les garder en les transformant en production hydro-électrique.
Luc , moulin de ham
Bonjour,
Et merci pour votre commentaire. En fait, j’ai été déçu moi-même que la page de Gaston n’ait pas connu de suite, c’est pourquoi j’ai décidé de faire un blog et d’y relater jour après jour pendant presque deux ans mes découvertes dans ma nouvelle niche écologique située entre le canal des Pangalanes et la côte Est de Madagascar près du fougueux océan indien où je me suis exilé après avoir obtenu une retraite bien méritée. Vous pouvez si vous le désirez, suivre de nombreuses publication effectuées dans le paradis de Madagascar par Madagaston. Pour l’instant, j’ai d’autres préoccupations car je me suis lancé dans de grands travaux de consolidation en réalisant des plafonds anticycloniques dans ma gentilhommière de 400 mètres carrés au sol avec des plafonds en béton armé car dans ma cervelle de Mickey un jour sans lune, ayant certainement quelques gènes issu de descendants gaulois j’ai peur que le ciel me tombe sur la tête un de ces jours.
Bien à vous.
Gaston
Bonjour Monsieur Thiel
Je suis Alain Eyquem de la Fédération Des Moulins de France (FDMF), association de bénévoles. Nous avons lu avec attention et émotion votre article sur le moulin de Felschling sur Facebook… Nous publions une revue trimestrielle consacrée aux moulins et nous serions ravi de publier votre texte. Qu’en pensez-vous?
Bien cordialement
Alain Eyquem eyquem.alain@orange.fr
Bonjour Monsieur,
Merci de votre message. Vu avec Monsieur THIEL, c’est ok pour republier le texte dans votre revue trimestrielle en précisant la source (Groupe BLE Lorraine), le lien internet, ainsi que le nom de l’auteur, à savoir Gaston THIEL.
Bien à vous,
Thomas RIBOULET,
Rédacteur en Chef
Enfin une suite des souvenirs de l’auteur du passé de Berviller ,que j’ai pus suivre sur le site de votre village dans la page de Gaston. Dommage que cette page c’est arrêtée,j’attendais chaque nouvel épisode avec le même plaisir que le Journal de Mickey que mon père, pour me faire tenir tranquille, m’achetais chez le coiffeur de Rosbruck ,au temps que les jeunes ne peuvent pas connaitre. J’imagine très bien ces pages réunies dans un bouquin souvenir, bien que bientôt nous ne serons plus nombreux a avoir connus ces personnages qui faisaient
la vie de nos villages à cette époque.
Merci a vous.