Et si Charles le Téméraire n’avait pas été retrouvé mort sur les berges de l’Etang Saint-Jean lors de la Bataille de Nancy en 1477 ? Faisant référence au célèbre manuscrit illustré de Pierre de Blarru intitulé La Nancéide qui relate la victoire écrasante des troupes du Duc René II contre l’envahisseur bourguignon, Aurélie Genêt réinvente par l’uchronie la destinée de la Lorraine et la construction du monde occidental. A travers son roman La Nouvelle Nancéide, elle nous plonge dans somptueuse fresque historique teintée de mystère, de forfaiture et de vengeance.
BLE Lorraine : Qu’est-ce que l’uchronie ? Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait d’interroger l’histoire par la science-fiction ?
Aurélie GENET : « L’uchronie est ce qu’on appelle aussi « histoire alternative ». Le fameux « et si ». Par exemple et si Napoléon avait gagné Waterloo, et si les Romains avaient découvert le moteur à explosion, etc. On part d’un point de divergence pour réinventer l’histoire. C’est un exercice intéressant car il nécessite, pour être crédible, de se pencher sur tous les aspects politiques, économiques, technologiques ou idéologiques, sur les liens des événements entre eux, ainsi que sur l’effet boule de neige d’un détail. Pour les lecteurs, c’est aussi une façon de découvrir l’histoire de façon ludique. D’ailleurs, pour ceux que le côté historique intéresse, mon livre comprend des annexes illustrées qui expliquent le contexte, les implications de l’événement, ce que change le fait qu’il ait lieu ou pas. L’uchronie pose aussi une question un peu philosophique : l’histoire a-t-elle une direction ou non ? Si des événements majeurs n’avaient pas eu lieu, vivrait-on dans le même monde parce que c’est une évolution « naturelle » de notre société, ou serait-ce un monde totalement différent ? Chacun se fera son idée. Ainsi, même si l’uchronie se range dans la science-fiction, tout doit rester dans le domaine du possible, ou au moins sembler l’être. »
BLE Lorraine : Que raconte votre Nouvelle Nancéide ?
AG : « Le roman commence avant le point de divergence, lors du siège en Nancy, fin 1476. Dans la première partie, on y suit un soldat qui appartient aux maigres défenses de la ville, alors que celle-ci manque de tout. On suit également, en dehors des murs, une jeune femme du peuple, pleine de haine pour les Bourguignons, qui attend avec impatience le retour de René II. Puis la bataille. Jusque-là, on est dans l’historique. Survient alors le point de divergence. L’issue de la bataille est différente. On passe ensuite à une partie dans un XVIIIème siècle alternatif, le visage de l’Europe ayant changé, en partie en Angleterre et dans les colonies américaines. Avec une Europe différente, cette colonisation se fait différemment elle aussi. Puis, la troisième partie, de nos jours, où une jeune Nancéienne se penche sur le passé de ses ancêtres et va, de la Lorraine, ou de ce que celle-ci est devenue, à l’Amérique, essayer de dénouer les fils de son histoire familiale. Le fil rouge entre ces différentes parties est la vengeance. A la suite de ce qui a eu lieu lors de la Bataille de Nancy, deux familles s’affrontent à travers les siècles et les continents, l’une traquant l’autre. Le roman se passe à hauteur d’homme, on sait ce que savent et voient les personnages, sans grandes digressions historiques. Le roman peut donc se lire comme une fiction complète, d’où les annexes pour les amateurs d’histoire. »
BLE Lorraine : Pourquoi avoir choisi cet évènement de la Bataille de Nancy ? Que vous inspire-t-il ?
AG : « Voilà longtemps que je voulais me pencher sur l’histoire lorraine dans mes romans. L’uchronie m’a semblé un bon moyen de mettre notre région à l’honneur et de lui conférer une grandeur qu’elle aurait pu avoir. J’avoue qu’au départ, j’avais l’intention de prendre un point de divergence plus anodin, mais j’ai finalement choisi la Bataille de Nancy parce que c’est un événement majeur et symbolique de l’histoire de la Lorraine et parce que le contexte du siège et de la bataille permettait plus de tensions et d’émotions dans le récit. C’est aussi l’occasion d’aborder ce point historique passionnant. Parce que si tous les Lorrains ou presque la connaissent, beaucoup de non Lorrains, s’ils s’intéressent à l’histoire, la connaissent aussi et savent que ce n’est pas qu’une bataille locale sans importance. Et même si, dans le roman, les choses tournent bien différemment de la réalité, je suis une grande admiratrice de notre Duc René II et de tout ce qu’il a fait pour le visage de Nancy et de la Lorraine. »
BLE Lorraine : Projetez-vous d’écrire d’autres uchronies sur l’histoire de la Lorraine ?
AG : « J’ai déjà écrit un roman fantastique qui se passe en Moselle Sud, intitulé Rechingen, ainsi qu’une ou deux nouvelles ayant pour cadre la Lorraine également, mais pour l’instant, je n’ai pas d’autres uchronies de prévues. C’est un énorme travail de documentation et de réflexion, même si ça ne le paraît pas forcément à la lecture. Il faut en effet connaître les situations, les événements, les implications, même de ce dont on n’a pas besoin de parler dans l’intrigue. J’avais déjà des bases sur la période autour de la Bataille de Nancy, ce qui m’a permis de faciliter la direction des recherches. Néanmoins, cela ne veut pas dire que ce ne sera jamais le cas. Que ce soit en historique ou en uchronie, il est possible que je me penche un jour sur l’époque de Léopold ou sur quelque chose de beaucoup plus ancien comme Metz pendant l’Antiquité par exemple. Mais je ne promets rien, cela déprendra du temps dont je dispose et des caprices de l’inspiration. »
