L’église et son prieuré ont quelque chose de mystérieux. Sur le mont de Châtenois, ce bel ensemble parait figé dans le temps et l’histoire. Dans le ciel, les oiseaux qui tournoient sans cesse rajoutent du mystère au site. De nuit, éclairé de toutes parts, le mont sacré se révèle à des kilomètres à la ronde. L’envie de le visiter devient de plus en plus forte au fur et à mesure que nous nous rapprochons. Empruntant le chemin de derrière l’église, le promeneur peut admirer du regard les belles murailles et les grandes fenêtres du prieuré. Après avoir marché quelques mètres sur les vieux escaliers, fait de morceaux de bois, un magnifique paysage s’offre à nous, telle une récompense.
On aurait pu croire Châtenois tristement plat et sans saveur, mais depuis l’esplanade de l’église, c’est tout le contraire que nos yeux écarquillés découvrent. Une jolie vallée aux courbes généreuses nous rappelle avec plaisir que nous sommes bien dans les Vosges. Le bruit de la ville monte jusqu’à nous, contrastant avec la quiétude de la place où nous nous trouvons. Sur un mur extérieur de l’église, une belle plaque nous parle d’histoire, de légendes et de fantômes. Non loin de là, une très vieille tombe esseulée semble veiller pour l’éternité. La grande porte de l’église entrouverte aiguise notre curiosité et nous invite à franchir les quelques mettre du parvis pour nous retrouver à l’intérieur du prestigieux bâtiment. Dès l’entrée, statues, reliefs, fragment de retable, reliquaires et tableaux rappellent aux visiteurs le passé mouvementé de la petite cité castinienne. Pour nous le moment est venu de découvrir le vitrail historique qui est l’une des fiertés des habitants de la ville.
Ce vitrail rappelle l’un des faits les plus importants du passé de Châtenois, à savoir la fondation du prieuré bénédictin en 1069 par Hadwide de Namur, épouse de Gérard de Châtenois, premier Duc Héréditaire de Lorraine. Plus de huit siècles plus tard, en 1926, un de leurs descendants, le Prince d’Hénin-Liétard, commémore cet évènement en offrant une riche verrière. Le peintre Pierre-Dié Mallet composa le vitrail qui fut réalisé par les Ateliers Benoît de Nancy.
En son centre, on remarque trois personnages au visage très fin et aux habits somptueux. Gérard d’Alsace, Hadwide de Namur et leur fils Thierry sont en effet à genoux devant un autel. Gérard et Hadwide ont déposé à leurs pieds leurs couronnes d’or sur un coussin de velours rouge, et Hadwide offre à Saint Pierre, patron de la paroisse, un prieuré en miniature, celui qu’elle vient de fonder. Au-dessus de l’autel, on aperçoit un Saint Pierre assis, tenant les clefs, à gauche, le vieux château féodal du Haut-Bourg, et à droite, l’église actuelle de Châtenois et le prieuré. Cette scène principale fait l’admiration des connaisseurs. L’encadrement est tout aussi admirable. C’est une belle page de l’histoire de Lorraine.
L’inscription Laus Deo, soit « louange à Dieu », se lit en archivolte. Cette devise en haut du vitrail convient bien à une ancienne église bénédictine. Plusieurs blasons sont représentés sur le vitrail. Se trouvent ainsi de gauche à droite le blason de Metz, berceau de la famille du Duc Gérard, le blason traditionnel de Châtenois, résidence habituelle du Duc Gérard, le blason de Remiremont, cité où il mourut et où il fut enterré en 1070 et le blason de Nancy, ville qu’il fonda et qui devînt la capitale du Duché de Lorraine. Au fond du demi-cercle, on remarque, sur un fond rouge, des feuilles et des fruits de châtaigniers. Cette composition renvoie à l’étymologie de Châtenois, à savoir Castinetum, qui signifie « lieu planté de châtaigniers ». Le sceau du Prieuré de Châtenois, tel qu’il figurait au XVIIème siècle, se dessine quant à lui au milieu. Conservé aux Archives départementales des Vosges, il représente Saint Benoit avec le livre de la règle et la crosse abbatiale, avec en exergue la mention Sigillum S. Petri de Castineto.
On peut observer d’autres blasons sur les côtés gauche et droit de l’encadrement. A gauche de celui-ci, on remarque ainsi le blason de Saint Léon IX, Comte d’Eguisheim et de Dabo, Evêque de Toul, élu et couronné pape en 1049. Léon IX était un proche parent, un ami, un conseiller et un bienfaiteur du Duc Gérard. Figurent également le blason de Sicile, un des quatre royaumes sur lequel la famille ducale avais acquis des droits soit par alliance, soit par conquête, mais aussi le blason de Jérusalem, le plus glorieux de ces quatre royaumes et celui dont le célèbre Godefroy de Bouillon ne voulait pas porter le diadème, car, disait-il, « comment porter une couronne d’or ou le fils de Dieu a porté une couronne d’épines ? » Le blason de Namur, titre d’Hadwide, fondatrice du prieuré, et le blason complet du donateur du vitrail, à savoir Monsieur le Comte d’Alsace, Prince d’Hénin et sénateur des Vosges, apparaissent de la même manière. A droite, le blason de la bienheureuse Marguerite de Lorraine, Duchesse d’Alençon, a été réalisé, tout comme les blasons d’Aragon et de Toscane, les deux autres des quatre royaumes sur lesquels la couronne de Lorraine avait des prétentions. Rappelons qu’à la suite de la politique européenne du XVIIIème siècle, le dernier Duc de Lorraine héréditaire dut abandonner son Duché pour celui de la Toscane en échange de son mariage avec Marie-Thérèse pour devenir Empereur du Saint Empire. Deux autres blasons apparaissent enfin. Celui de Vaudémont, apanage du frère cadet de Thierry, Gérard, et le blason de Bar, duché d’abord ennemi de celui de Lorraine, avant d’être unis à ce dernier par René Ier d’Anjou. Le Duché de Bar fut d’ailleurs sans doute l’un des plus beaux fleurons de la couronne ducale.
Le blason en couleurs de la famille ducale de Lorraine se retrouve dans le centre inférieur du vitrail. Il arbore les armoiries des quatre royaumes et des quatre duchés revendiqués par la Maison de Lorraine. Celles-ci entourent l’écu primitif aux trois Alérions couronné et arborant le cri de guerre et le devise de la Lorraine. Une inscription dédicatoire figure dans le coin inférieur droit : « Offert Anno Domini 1926 par Mr le Comte d’Alsace, Prince d’Hénin-Liétard, en souvenir de ses ancêtres, Gérard d’Alsace, premier Duc héréditaire de Lorraine, Hadwide de Namur, leur fils Thierry, fondateurs du Prieuré Saint Pierre de Châtenois en 1069 ». Une mention en latin nous fait enfin connaître les auteurs de ce chef d’œuvre : « PIERRE-DIE MALLET INV. ET DELIN J. BENOIT FECIT ». A noter que le vitrail est d’autant plus remarquable lorsque les rayons du Soleil viennent l’éclairer. Il constitue un témoin indéfectible du lien qui nous unis à la plus grande famille royale et impériale d’Europe, les Habsbourg-Lorraine.