Vous ne le savez peut-être pas encore, mais non seulement il y a du pétrole en Lorraine et en plus il a déjà été exploité. Pendant vingt ans, entre 1978 et 1998. Les premiers gisements ont été découverts par le célèbre Professeur Maubeuge et son équipe. Retraçons ensemble l’histoire de la recherche et de l’exploitation de l’or noir en Lorraine.
Fer, charbon, cuivre, sel, carrières, etc. le sous-sol lorrain est riche, très riche. Plus connue pour abriter d’importants gisements d’or blanc, qui sont d’ailleurs toujours exploités du côté de Varangéville, la Lorraine a aussi été marquée par l’aventure industrielle de l’or noir, en particulier à Forcelles-Saint-Gorgon, dans le Saintois. Plusieurs indices géologiques pouvaient en effet laisser supposer la présence de pétrole dans la région. A commencer par les fameuses « étoiles de Sion » que l’on peut trouver et ramasser sur les pentes de la Colline inspirée. Ces petites étoiles ne sont pas tombées du ciel. Elles viennent au contraire des entrailles de la Terre. Il s’agit ainsi de fossiles d’encrines ou de crinoïdes, sortes d’anémones de mer qui sont cousines des oursins et des étoiles de mer. Il y a plus de 200 millions d’année, la Lorraine était recouverte par les eaux chaudes, calmes et peu profondes de la Mer de Téthys. Les résurgences d’eau salées dans le Saulnois et la salicorne, plante halophyte que l’on trouve d’ordinaire en bord de mer, en témoignent encore. La présence de charbon en Lorraine constitue un second indice. En effet, le pétrole, tout comme le charbon, est issu de la décomposition de résidus d’organismes vivants marins, essentiellement du plancton, qui se sont accumulés dans des bassins sédimentaires au fond des mers et des océans. Ces derniers se sont transformés en hydrocarbures après des millions d’années de processus chimiques.
L’histoire du pétrole en Lorraine est intimement liée à celle du géologue lorrain Pierre-Louis Maubeuge. Né en 1923 à Saint-Clément, dans le Lunévillois, celui-ci consacre ses premiers travaux au sous-sol de l’Est du Bassin parisien, qui inclue une partie de la Lorraine. Ses travaux continuent d’ailleurs de faire référence aujourd’hui. Autodidacte, Maubeuge est un scientifique passionné et touche-à-touche. Il s’intéresse ainsi également à la botanique, à l’archéologie ou encore à la paléontologie et aux sources dites miraculeuses qui contiennent des sels minéraux et des oligo-éléments. Bref, à tout ce qui touche à la terre et au sous-sol. Il n’hésite pas à partager ses connaissances pour aider les paysans lorrains à puiser de l’eau. C’est même lui qui les mit en garde dès les années 1960 contre les dangers des engrais nitrés pour les sols. En vain. Lorsqu’il commence à sonder le sous-sol lorrain dans les années 1950 pour y déceler des poches de pétrole, Pierre-Louis Maubeuge a conscience qu’il part à la recherche d’une matière sensible qui a rendu dépendantes les sociétés occidentales et qui est la source de nombreux conflits sur la planète.
Maubeuge crée la Société de Recherche et d’Exploitation du Pétrole en Lorraine (REPLOR) après le premier choc pétrolier. Les premiers forages sont effectués dans le Saintois. L’or noir commence à jaillir le 19 avril 1978 au pieds des mirabelliers de Forcelles-Saint-Gorgon. Jusqu’à onze derricks furent installés sur la commune, extrayant jusqu’à 20 000 litres de pétrole par jour. Des pétroliers texans vinrent visiter les installations mises en place par Maubeuge. Au total, l’exploitation de ce gisement permit d’extraire près de 14 000 mètres cubes d’hydrocarbures. La qualité de ce pétrole lorrain était équivalente à celle des bruts légers du Moyen-Orient.
Mais les lourdeurs et la bureaucratie de l’administration française finirent par condamner la société REPLOR. Contrairement à la législation des Etats-Unis ou du Canada, le sous-sol appartient à l’Etat en France. Par ailleurs, les caractéristiques du sol argileux lorrain ne rendaient pas l’exploitation du gisement aisée pour une entreprise qui n’avait pas les moyens financiers d’un grand groupe. Les pontes du secteur pétroliers se méfiaient également de Maubeuge qui était perçu comme un électron libre. Exit REPLOR, le géologue lorrain fonda alors une nouvelle société, PETROLOR, dans l’optique d’exploiter une autre réserve de pétrole de 70 000 mètres cubes. Cependant ce projet ne vit jamais le jour pour les mêmes raisons. Ces difficultés eurent raison de Pierre-Louis Maubeuge qui tomba malade, avant de mourir en janvier 1999, trois semaines à peine après la fermeture du dernier puits de pétrole lorrain. Dans la conclusion de son libre intitulé L’aventure du pétrole en Lorraine, Maubeuge put écrire qu’il avait souvent pu « constater combien l’argent était en soi un simple outil de travail. Et constater aussi combien il est consternant que face au grand capital, les Français restent inertes quant à trouver des ressources et solutions en eux-mêmes. […] Je ne suis pas devenu un milliardaire de l’or noir ! Simplement resté un milliardaire du courage […]. Un de ces chardons lorrains (le Circium), plante superbe, aux dards acérés, dont les racines sont si profondément ancrées dans le sol des friches de Vaudémont qu’il est impossible de les extirper. »
Le monument commémoratif de Forcelles-Saint-Gorgon rappelle cette aventure de l’or noir en Lorraine. Qui n’est peut-être pas terminée. Aujourd’hui encore, du pétrole sommeille toujours dans le sous-sol lorrain. Seulement un quart des réserves de la région auraient en effet été exploitées. Depuis 2008, la concession est de nouveau disponible. Une entreprise pourrait donc reprendre l’extraction. Evidemment, l’exploitation pétrolière en Lorraine n’atteindra jamais les niveaux des pays du Golfe et n’attirera pas les Majors du secteur pétrolier. Cela dit, de plus petites sociétés pourraient s’y intéresser. Ainsi, en 2011 et en 2015, plusieurs entreprises ont tenté de reprendre l’exploitation des concessions de pétrole dans le Saintois.