Quand on évoque le rôle des Américains durant la Seconde Guerre mondiale, on songe généralement au débarquement du 6 juin 1944 et aux images que certains films, comme Le jour le plus long ou Il faut sauver le soldat Ryan ont pu imprimer dans notre esprit. Certes, le débarquement de Normandie fut loin d’être une mince affaire, au même titre que la libération de la France qui l’a immédiatement suivie. Et pourtant, on oublie souvent que ces mêmes libérateurs ont mis plus de temps à chasser les Allemands de Lorraine qu’ils en ont mis pour aller des côtes de la Manche jusqu’aux rives de la Moselle !
Il faut dire que, pour les Nazis, cette rivière était sacrée. Elle marquait la limite occidentale du Reich. Le seuil de la patrie, ce sol sacré, cet « espace vital » longtemps vanté par le Führer. En outre, la Vallée de la Moselle, et plus particulièrement le secteur de Metz, est défendu par une ceinture de forts qui, bien que datant du précédent conflit, demeure particulièrement redoutable pour les troupes américaines. Ainsi, à l’automne 1944, les combats qui se déroulent autour de Metz infligent de lourdes pertes aux Américains. Malgré tout, la ville est libérée le 22 novembre, par les soldats de la IIIème Armée du Général Patton. Moins d’une semaine plus tard, la 80ème DI américaine, commandée par le Général Mc Bride libère Saint-Avold et l’essentiel du Warndt. Il faudra toutefois attendre la mi-mars 1945 pour que l’ensemble de la région Lorraine soit libéré du joug nazi. Les opérations, désormais, se déroulent le long du Rhin, avec le franchissement de la Ligne Siegfried, puis vers la Bavière et l’Allemagne centrale. En Lorraine comme ailleurs, les Américains auront subi d’importantes pertes.
Conscients que l’oubli est la pire des morts, ces derniers vont d’abord faire ériger, sur le territoire français, plusieurs cimetières provisoires, notamment à Andilly, Limey, Hochfelden et Saint-Avold. Mais dès le printemps 1945, c’est ce dernier lieu qui, étant idéalement placé au carrefour des principaux axes de communications et non loin des zones de combats, reçoit la préférence des autorités américaines. L’Etat français fait alors don d’un terrain de manœuvres d’une superficie de 46 hectares. Sans le savoir, il contribue à l’érection de la plus vaste nécropole militaire d’Europe.
Un article, paru dans le journal Le Messin en 1946, rapporte que le cimetière de Saint-Avold est « vaste, simple et clair. Aucun monument majeur ne domine. Les croix, petites et blanches, renforcent l’émotion particulière qui imprègne l’endroit. » Il y est également question de la chapelle et des trois mâts où flottent les couleurs des Etats-Unis. Les travaux de terrassement et d’aménagement vont cependant s’étendre sur quatre ans, si bien que la nécropole ne sera inaugurée que le 18 mai 1950, jour du Memorial Day. Une nouvelle inauguration, plus officielle peut-être, aura lieu dix ans plus tard, dans le cadre d’une vaste campagne mémorielle qui visait à mettre en valeur l’ensemble des nécropoles américaines d’Europe.
Conçu par le cabinet d’architectes Murphy et Locraft, établi à Washington, le cimetière finit par accueillir 10 489 tombes ! Parmi les sépultures, on notera la présence de onze femmes et de 151 soldats inconnus. Quatre tombes sont quant à elles décorées de la médaille d’honneur américaine.
Dans le cimetière, deux monuments sont venus s’ajouter à la solennité des lieux : la chapelle et le mur des disparus. Ce dernier, construit en pierre de Massangis, est gravé des 444 noms de soldats et d’aviateurs dont les corps n’ont jamais été retrouvés. La chapelle quant à elle se présente sous la forme d’un cube de vingt mètres de haut. Construite en pierre d’Euville, elle est ornée de trois anges étoilés dus au talent du sculpteur Walter Kirkland Hancock. A l’intérieur même de la chapelle, on est surpris de trouver, dans un décor d’une grande sobriété, la représentation d’un homme juché sur un nuage et entouré d’étoiles. A ses côtés se tiennent, austères et hiératiques, les figurations du Roi David, de l’Empereur romain Constantin, du Roi Arthur et de George Washington, premier président des Etats-Unis d’Amérique.
Par son silence et la solennité de l’endroit, le cimetière américain de Saint-Avold continue d’impressionner les visiteurs qui en franchissent les lourdes portes de bronze. Il est là, caché au beau milieu des sombres forêts du Warndt, pour rappeler aux plus jeunes toute l’absurdité et la vanité de la guerre. Pour témoigner, aussi, de l’indéfectible amitié qui unit la Lorraine aux Etats-Unis. Car en effet, avant que les GI’s ne viennent nous libérer en 1944-1945, n’est-ce pas à Metz, au cours d’un fameux souper, que le jeune capitaine La Fayette va prendre la décision d’aller porter secours aux Insurgés américains ?
Comme chantait Sardou, si les Ricains n’étaient pas là, nous serions tous en Germanie. Lesquels Ricains seraient encore en Britannie, si La Fayette, n’avait pas non plus été là.
Depuis quelques semaines et pour encore quelques mois, la Lorraine est en train de célébrer le 80ème anniversaire de sa Libération. Ici et là, expositions, conférences et autres reconstitutions permettent de faire connaître au grand public la réalité d’une période où la liesse de la liberté retrouvée se mêle aux abominations de l’épuration et du retour des déportés. Il y a quelques années de cela, j’avais eu l’occasion de recueillir plusieurs témoignages de personnes ayant vécu la Seconde Guerre mondiale en Lorraine. Les uns m’avaient parlé de la faim et des tickets de rationnement. Les autres avaient évoqué leur engagement dans la résistance. D’autres encore m’avaient parlé de collaborateurs. Un rescapé des camps m’avait raconté l’horreur du Struthof et de Dora. Et une dame, originaire de Charly, près de Metz, m’avait confié comment elle et sa famille avaient fini par échouer, en 1940, à deux kilomètres d’Oradour-sur-Glane. Parce que sa fratrie était trop nombreuse, elle n’avait pas pu être logée dans le village. C’est ce qui leur a permis d’échapper au massacre du 10 juin 1944. Parce que le devoir de mémoire commence toujours par un devoir de savoir, il m’a paru utile, pour ne pas dire nécessaire, de noter leurs paroles et de les transmettre aux plus jeunes. Car comme le notait Churchill : un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.
Trois fresques peintes par des soldats américains en 1944 ont été découvertes en 2022 à Dieulouard, près de Nancy, dans un ancien bâtiment industriel désaffecté datant du XIXème siècle voué à la démolition. Elles ont été sauvées in extremis. Exposées aux intempéries et à l’humidité, elles étaient très dégradées. L’une d’entre elle, représentant un GI embrassant une jeune femme, a été restaurée et doit rejoindre les collections du Musée Lorrain à Nancy. Les deux autres sont en cours de restauration. Mesurant deux à trois mètres de haut et de large, les fresques murales représentent des scènes de la vie quotidienne des soldats américains. On peut y apercevoir des GI’s, des pin-up ou encore un joueur de jazz. Ces peintures constituent un des très rares témoignages de la présence des Américains en Lorraine. Les soldats de 80ème Division d’Infanterie américaine de l’armée de Patton ont en effet séjourné à Dieulouard en septembre 1944. Des GI’s ont peint ces scènes directement sur les enduits des murs. Pour sauver ces fresques, il a fallu les découper avec leur support en béton puis les restaurer.
A la mémoire de tout ceux qui sont tombés pour notre liberté.