« Acreignes », parfois prononcé « écreignes », voire tout simplement « creignes », est un mot qui s’emploie presque toujours au pluriel pour désigner les veillées hivernales qui animaient jadis le quotidien des Lorrains.
L’automne s’installe. L’hiver approche lentement. Les journées sont plus fraîches et le crépuscule, chaque jour plus soudain, plonge le pays dans une atmosphère lugubre, humide et désolante. Oui, la nuit tombe vite au mois d’octobre ! Et quand le ciel est bas, elle est encore plus brusque. Le clocher n’a pas encore sonné cinq heures que déjà, dehors, tout semble disparaître dans une pénombre inquiétante. C’est certainement pour conjurer cette ambiance triste et grise que nos ancêtres avaient coutume d’instaurer, dès que revenait la mauvaise saison, les traditionnelles veillées. Elles étaient, dans le petit monde très cérémonieux de nos aïeux, des rendez-vous incontournables, attendus et animés.
A partir de la Toussaint en effet, on prenait l’habitude autrefois de se retrouver chez l’un ou chez l’autre. Blottie autour de la grande cheminée à l’âtre, l’assemblée passait une partie de la nuit à raconter toutes sortes de fiauves, à prendre des nouvelles des uns et des autres mais aussi à reciner, c’est-à-dire grignoter quelques menues friandises comme des noix, du lard ou des biscuits, le tout arrosé de vin de Meuse ou de Moselle. On s’installait, on bavardait. On prenait des nouvelles des uns et on charriait, un peu, les autres. On évoquait les récoltes, désormais engrangées. Et les impôts, toujours trop élevés. Traditionnellement, chacun apportait une bûche pour alimenter la cheminée et contribuer aux frais de chauffage. D’où la coutume de la bûche de Noël qui autrefois, était même décorée de lierre et bénie par le maître de maison.
La saison des veillées s’achevait vers la mi-février, parfois plus tard dans les Hautes-Vosges, et les enfants avaient coutume de laisser voguer sur les ruisseaux un petit lumignon qui symbolisait le fait que désormais, on pourrait se passer de lanternes et de chandelles. Cette tradition perdure dans les Vosges, à Epinal et à Remiremont notamment, avec la tradition des Champs Golots. Appelées lourres dans les Vosges, ces veillées ont fait partie intégrante du patrimoine et du folklore lorrains, et ce pendant des siècles. Elles permettaient aux anciens de transmettre à la jeune génération tout un tas de gestes, de coutumes et de mots en langues régionales.
Nos veillées n’ont pas survécu aux radios et autres télévisions. Aujourd’hui, chacun reste cloîtré chez soi et passe la soirée devant un documentaire mal fagoté ou un sombre navet, et pas celui qu’on met dans la potée … Hélas, c’est tout un patrimoine culturel qui s’en est allé avec nos vieilles veillées. Qui s’en est allé un peu comme ces petits navires, le jour des Champs Golots. Qui aurait l’idée, en ce début de troisième millénaire, de réunir quelques amis autour d’une cruche de vin gris, d’un panier de noix et d’une belle bande de lard ? Qui passerait encore une soirée entière devant une cheminée où crépitent quelques bûches, à écouter un ancien nous conter ses souvenirs ? La mode, pourtant, n’est-elle pas au bio, au local, au retour à la terre et aux valeurs ? Ah, Lorrains, comme il serait doux que de voir nos villages ressusciter le temps d’une soirée d’hiver, une de ces veillées. Juste afin de recréer un peu de lien. Juste pour sourire un peu et pour rêver, beaucoup.