Conservé aux Archives départementales de la Moselle, le manuscrit présenté ci-dessus entend recenser les blasons, armes et devises, ainsi que la généalogie des Ducs de Lorraine. Je note « prétend » car, en vérité, la filiation est loin d’être exacte. En effet, d’après le texte, la Maison ducale de Lorraine descendrait de Godefroy de Bouillon, l’un des neuf Preux, chevalier hors pair qui libéra, en l’an 1099, Jérusalem du joug des Sarrasins, avant de d’abattre d’une seule flèche trois petits aiglons blancs, les fameux Alérions que l’on retrouve sur le blason ducal de Lorraine.
On le sait, la lignée ducale ne descend pas du preux Godefroy, mais d’un certain Gérard d’Alsace qui reçut, au XIème siècle, la tutelle du Duché de Haute Lorraine des mains de l’Empereur germanique. C’est au Moyen-âge que nos ducs vont se réclamer de Godefroy de Bouillon et de son frère, Baudouin, qui fut le premier Roi de Jérusalem, Godefroy ayant refusé, selon la légende, de porter une couronne d’or là où le Christ avait porté une couronne d’épines.
La double page que voici nous montre justement les armes de Baudouin. On y voit les Alérions, couplés à la croix potencée et cantonnée de Croix d’or de Jérusalem. On y remarque également les armes, dans des écus de dames, les écus de dames ont une forme de losange, des trois épouses successives de Baudouin. A savoir, Godehilde de Torny, que le manuscrit présente comme étant la fille du Roi d’Angleterre, Arda d’Arménie et enfin Adelaïde de Montferrat.
On peut s’interroger sur les raisons d’une telle usurpation. Pourquoi les Ducs de Lorraine ont-ils prétendu descendre d’un tel personnage ? Pour la gloire, bien sûr ! Pour accréditer l’origine des Alérions. Pour avoir un preux, un presque saint dans leur lignage. Pour se poser en héritiers du défenseur de la foi chrétienne. Ce n’est qu’au XVIème siècle, lorsque le Duc Charles III fera valoir ses prétentions au trône de France que la supercherie sera en quelque sorte démasquée. Généalogistes et hérauts d’armes devront se rendre à l’évidence : la famille ducale de Lorraine ne descend pas de Godefroy de Bouillon. Mais ses actes, évidemment, n’en demeurent pas moins prestigieux !
Bien sur il y avait beaucoup d’honneur à se dire descendant de Godefroy, mais si les ducs de Lorraine prétendaient une telle chose c’était surtout pour revendiquer l’appartenance à un rang royal. C’est d’ailleurs pour cette raison que les textes parlent souvent de princes et de princesses de Lorraine. Ainsi quand on s’adressait aux ducs de Lorraine, il fallait alors dire « votre majesté », salutation normalement réservé aux empereurs, rois et princes et non celle de « mon seigneur » qui était alors normalement appropriée au rang ducal.