Depuis le début de l’année, l’actualité se fait l’écho de nombreuses interrogations sur la place des religions dans notre société : projet de loi confortant le respect des principes de la république (dit projet de loi sur les séparatismes), polémique à propos de la nouvelle mosquée de Strasbourg, décision du Premier Ministre de supprimer l’Observatoire de la laïcité, lancement des Etats Généraux de la laïcité, création de la « Vigie de la laïcité », etc.
En Alsace et en Moselle, ces débats suscitent un intérêt particulier avec en toile de fond le Concordat et le Droit Local. Sollicité par nos soins, Nicolas Cadene, Rapporteur Général de l’Observatoire de la laïcité, a répondu à trois questions qui concernent des problématiques locales.
Première question
Bernard ZAHRA pour BLE Lorraine : Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 février 2013, a donné un contenu précis à la notion de laïcité. Il a souligné aussi que le régime des cultes d’Alsace et de Moselle, bien que contraire au principe de laïcité au regard de deux de ses composantes, à savoir la non-reconnaissance des cultes et l’interdiction de salarier le personnel religieux, n’est pas jugé contraire à la Constitution. Peut-on dire à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel que le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle sont des départements non laïques ?
Réponse
Nicolas Cadene : « Dans sa décision du 21 février 2013, à la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) posée par l’association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’Article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) relative à l’organisation des cultes, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article – qui prévoit la prise en charge par l’Etat du traitement des pasteurs des églises consistoriales – conforme à la Constitution.
Si la QPC est ici relative à une disposition législative concernant les seuls cultes protestants, la portée de la présente décision concerne en outre les deux autres cultes reconnus au sein du régime dérogatoire d’Alsace et de Moselle.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu’en prévoyant que la France « est une République laïque », la Constitution n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes. La décision du Conseil constitutionnel rappelle qu’aucun débat n’a porté sur la remise en cause du droit des cultes alsacien et mosellan au cours des travaux préparatoires du projet de Constitution soumis à référendum le 28 septembre 1958.
Dès lors, pour répondre précisément à votre question, si le Conseil constitutionnel juge que le régime dérogatoire propre aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle n’est pas contraire à la Constitution qui n’a pas entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République, il reste que ce régime dérogatoire est contraire à la loi du 9 décembre 1905, qui n’y est pas en vigueur, une des composantes du système laïque français. »
Seconde question
Bernard ZAHRA pour BLE Lorraine : En Alsace et en Moselle, les écoles primaires publiques sont confessionnelles en droit avec cours de religion obligatoires pris en charge par l’Etat même si la dispense existe, les cours peuvent être donnés par des enseignants congréganistes. Les collèges et les lycées publics sont non confessionnels en droit mais les cours de religion pris en charge par l’Etat sont obligatoires même si la dispense existe. Au vu de ces constatations, peut-on dire que le statut scolaire d’Alsace et de Moselle est un statut laïque ?
Réponse
NC : « Le statut scolaire et le régime de séparation de l’Alsace et de la Moselle sont dérogatoires à la loi du 9 décembre 1905 et aux lois laïques de la fin du XIXème siècle. Les trois départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, étant allemands lors de l’adoption des lois Ferry de 1881 et 1882, la loi Falloux du 15 mars 1850 (Art. 23 et 36), qui prévoit que l’enseignement primaire comprend l’instruction religieuse, continue à s’appliquer dans ces départements. L’Article 10 A de l’Ordonnance du 10 juillet 1873 du Chancelier d’Empire modifiée par l’Ordonnance du 16 novembre 1887 du Reichsstatthalter, selon lequel dans toutes les écoles, l’enseignement et l’éducation doivent tendre à développer la religion, continue également d’être appliqué. Dans sa décision au syndicat national des enseignants du second degré du 6 avril 2001, le Conseil d’Etat a ainsi jugé que l’obligation d’assurer un enseignement religieux dans toutes les écoles et les établissements d’enseignement du second degré de ces territoires constituait une règle de valeur législative. Il a précisé à cette occasion que « l’obligation en cause est celle, pour les pouvoirs publics, d’organiser un enseignement de la religion, pour chacun des quatre cultes reconnus en Alsace et en Moselle », et non l’obligation pour les élèves de suivre cet enseignement. L’obligation d’organiser un enseignement religieux à l’école publique a été codifiée à l’Article D. 481-2 du Code de l’Education selon lequel « la durée hebdomadaire de la scolarité des élèves dans les écoles élémentaires (…) comprend obligatoirement une heure d’enseignement religieux. » Une faculté de dispense dans le premier degré est prévue à l’Article D. 481-5 du Code de l’Education. Dans le second degré, cette faculté existe également mais elle n’est pas codifiée. Elle est organisée par voie de circulaire.
Ainsi dans son avis du 21 mai 2015 l’Observatoire de la laïcité a émis plusieurs recommandations :
-
Inverser les modalités du choix pour l’enseignement religieux : l’Observatoire de la laïcité rappelle que l’obligation d’organiser l’enseignement religieux pèse sur l’Etat. Elle n’est pas une obligation pour les élèves de le suivre. Alors qu’aujourd’hui les représentants légaux des élèves qui ne veulent pas suivre l’enseignement religieux doivent demander une dispense, l’Observatoire de la laïcité a recommandé que désormais l’élève ou son représentant légal, en début d’année scolaire, exprime le choix de suivre l’enseignement religieux pour l’année. Cette recommandation a été adoptée par le gouvernement et est effective depuis une circulaire de 2016.
-
Assurer la possibilité pour tout élève de modifier son choix concernant l’enseignement religieux au cours de sa scolarité :l’Observatoire de la laïcité a recommandé la rédaction d’une circulaire rectorale précisant la possibilité pour tout élève de modifier son choix d’enseignement au cours de sa scolarité sur simple demande de son représentant légal. Cette recommandation a également été adoptée par le gouvernement et est effective depuis une circulaire de 2016.
-
Placer l’enseignement religieux en supplément du temps de l’enseignement scolaire commun : l’Observatoire de la laïcité a recommandé une modification de l’Article D. 481-2 du Code de l’Education, afin de ne pas priver les élèves des écoles primaires d’Alsace et de Moselle d’une heure d’enseignement hebdomadaire par rapport aux élèves du même degré d’enseignement scolarisés dans le reste du territoire français. Il est également proposé de supprimer le second alinéa de l’Article D. 481-2, qui prévoit la possibilité, pour le recteur d’académie, de porter à vingt-cinq heures, dont deux heures d’enseignement religieux, la durée hebdomadaire de la scolarité des élèves des trois dernières années des écoles élémentaires d’Alsace et de Moselle, dès lors que cette faculté n’est en pratique jamais mise en œuvre et est tombée en désuétude. Cette recommandation n’a pas encore été pleinement suivie d’effet. Les élèves du primaire continuent d’avoir leur heure d’enseignement religieux sur le « tronc commun ».
Supprimer l’obligation de recevoir un « complément d’enseignement moral » pour les élèves ne suivant pas l’enseignement religieux à la suite de l’instauration de l’enseignement moral et civique dans les programmes nationaux : compte tenu de l’instauration, à compter de la rentrée 2015, de l’enseignement moral et civique dans les programmes prévue par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, l’Observatoire de la laïcité a recommandé la suppression de l’obligation faite aux élèves de l’enseignement primaire ne suivant pas l’enseignement religieux de recevoir, aux lieu et place de l’enseignement religieux, un « complément d’enseignement moral » (Article D. 481-6 du Code de l’Education). Cette recommandation n’a pas encore été suivie d’effet. »
Troisième question
Bernard ZAHRA pour BLE Lorraine : En Alsace et en Moselle, la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ne s’applique pas. Une commune peut-elle dès lors subventionner la construction d’un édifice d’un culte non reconnu comme la construction d’une mosquée ?
Réponse
NC : « Les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle disposent d’un régime local des cultes largement fondé sur le Concordat et les articles organiques de 1801 et de 1802. Le service du culte y est un service public, distinguant toutefois les cultes statuaires reconnus et les cultes non reconnus par ce régime dérogatoire.
Localement, les collectivités territoriales d’Alsace et de Moselle sont ainsi tenues, dans certaines situations, de participer au financement des cultes statuaires, comme le salariat de certains ministres du culte, à savoir les cultes catholique, réformé, luthérien et juif. Les collectivités territoriales peuvent subventionner les cultes statutaires au-delà des strictes nécessités de l’équilibre financier. Ce régime autorise donc le subventionnement de la construction d’édifices cultuels.
Quant aux autres cultes non reconnus par ce régime, notamment les cultes musulman, protestant évangélique et bouddhiste, ils relèvent du Droit Local alsacien et mosellan et s’organisent sous la forme d’association à objet cultuel, selon le statut prévu par le Code Civil Local. La loi de 1905 ne s’appliquant pas en Alsace et en Moselle, les collectivités territoriales sont libres en matière de financement des édifices des cultes non statutaires. Elles doivent toutefois agir dans le respect de l’égalité entre les cultes et dans les conditions prévues à l’Article L. 2541-12 (10°) du Code Général des collectivités territoriales, c’est-à-dire dès lors que la subvention répond à une finalité réelle d’intérêt général ou de bienfaisance. Les collectivités territoriales ont, en ce sens, une possibilité, sous certaines conditions, de participer au financement de la construction d’édifices religieux, notamment une mosquée. »
Retrouvez d’autres sujets sur le Droit Local en Moselle sur BLE Fondation.