Quatrième et dernier épisode de l’histoire du Lorrain Louis Ladurelle. A son retour du Guyane, Louis Ladurelle entend retrouver une vie normale en Lorraine. Mais celui qui était devenu le bourreau du bagne de Cayenne doit faire face aux amalgames de la presse à scandale et à la vengeance de ses anciens camarades …
Même si la tournure de mes propos en fin du chapitre précédent laissait apparaître une certaine compassion, cela n’excuse en rien l’acte impardonnable de Louis Ladurelle. C’est à dire l’assassinat de Marie Muller. Pour ce qui est de sa tâche au bagne, c’était une mission de justice républicaine. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à la réaliser pendant les 170 ans de présence des guillotines. Les multiples bourreaux qui ont œuvrés, ont-ils été assaillis et traqués de la sorte ? Quand les journalistes dépassent les limites de l’acceptable, il faut réagir et le dénoncer.
Les fausses informations
Marius Larique, dans la revue Détective écrit : « Il était vaguement ouvrier d’usine et contrebandier. La nuit, il escaladait les Ballons d’Alsace avec son chien féroce et noir. Sur le versant de France, il entendait les mugissements de la Meurthe, l’Il coulait, avec fracas, de l’autre côté de la frontière. Jamais il ne fut pris par les douaniers français ou allemands, ni lui ni sa maîtresse. »
Mais d’où peuvent bien sortir ces imbécilités et cette méconnaissance historique et géographique ? D’où provient la mention « son chien féroce et noir » ? A ma connaissance, Louis Ladurelle n’a jamais vécu avec sa maîtresse dans les Vosges. La Meurthe, qui prend sa source près du Donon, est un tout petit ruisseau qui ne fait pas de mugissements. L’Il est une rivière qui n’a jamais fait de fracas, coulant à plus de soixante kilomètres de la Meurthe de façon sinueuse dans une paisible Plaine d’Alsace. Marius Larique a dû lire quelque part que Louis faisait de la contrebande avec sa maitresse et son chien, en passant par la forêt, entre la France et l’Allemagne. Louis et sa maitresse, tous deux nés allemands dans une zone de patois roman en Moselle Nord, ont dû faire des allées et venues entre Moyeuvre-Petite et Avril ou entre Moyeuvre-Grande et Homécourt, c’est-à-dire entre la France d’alors et la Moselle annexée. Le journaliste renchérit ensuite dans l’absurde et écrit : « Ladurelle fait une crise de jalousie probablement injustifiée. Il lui reprochait de faire les doux yeux à un jeune douanier, pour obtenir un condé », c’est-à-dire une autorisation de passer la frontière sans être contrôlé. Il se trompe cette fois-ci de période car la contrebande date d’avant la guerre soit dix ans plus tôt que son acte d’assassinat. Et d’en remettre une couche : « Au bagne, il a souvent pleuré la belle fille qu’il abattit et n’a cessé de regretter ses Vosges froides aux cimes neigeuses et les grands bois de pins aux senteurs balsamiques. » Marius Larrigue use donc même de poésie pour se disculper de ses mensonges.
Exemple d’erreurs et de déclarations douteuses
Le Guigou indique dans la même revue que Louis Ladurelle fut condamné le 16 mars 1911, ce qui est totalement faux. C’est méconnaitre l’histoire locale de notre région car Metz en 1911 était sous l’Empire allemand, alors que Louis fut condamné par la justice française en 1921.
Le même Le Guigou définit Louis Ladurelle en se moquant de son statut de « justicier officiel de la France en Guyane ».
Les amalgames
Les rumeurs et les ragots ont accompagnés les écrits des journalistes. Sur la seule gravure du Chacal, on peut lire : « Hespel dit le Chacal assassin de sa maîtresse ». Le Chacal n’a jamais assassiné de maîtresse ! « Louis Ladurelle assoiffé de sang » constitue de la même manière une accusation facile sur un homme sans défense. Dans ces deux cas, il y a amalgame, c’est-à-dire une confusion volontaire visant à discréditer le sujet. Il eût été plus honnête de démontrer le contraste entre le Chacal et Louis Ladurelle qui n’a pas fait parler de lui pendant ses quinze ans de bagne. Mais les journalistes ont transféré les abominables agissements du Chacal sur son successeur.
Comme annoncé dans le précédent épisode, Louis Ladurelle est libéré le 22 avril 1937 et rentre en France sur un bateau appelé « Le Flandre ». Réceptionné par l’Armée du Salut à son arrivée à Saint-Nazaire, il laisse filtrer qu’il souhaiterait reprendre une vie normale dans son pays et travailler dans les forges de Hayange. Et puis plus de traces. Les rumeurs laissent à penser qu’il fut assassiné ou porté disparu à Saint-Nazaire ou dans sa région en 1937. Il a en tout cas su disparaitre de la circulation en laissant des doutes qui subsistent encore aujourd’hui.
On retrouva pourtant sa trace à la cantine Elsen à Cattenom le 14 aout 1937. Plusieurs témoins ont également affirmé l’avoir vu à Ranguevaux avant la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il était venu voir sa sœur. A Ranguevaux, comme dans tous les villages de France, les légendes eurent vite fait le tour de la place. Les regards derrière les persiennes, les faux fuyants, les chuchotements et les évitements ont persuadé Louis de ne plus revenir dans son village et à ne pas travailler dans les forges de Hayange. La situation d’épiage lui était insupportable.
Le 13 septembre 1938, il est domicilié chez Petricik à Villerupt. Le 9 septembre 1939, il est remobilisé et affecté à la Seconde Compagnie de Tirailleurs. Il repart servir la France. Le 17 juin 1940, il est fait prisonnier lors du repli de sa compagnie au Camp de Nevers. Le 25 juin 1940, il est libéré par l’armée allemande en tant qu’Alsacien-Lorrain. Un grand vide apparait ensuite. Il aurait été apparemment ouvrier fondeur à l’usine d’Aubrives de Villerupt.
Extrait d’un article trouvé dans un journal bordelais
« Bordeaux le 9 mai 1951.
Arrivés dans la nuit à Bordeaux, les 156 forçats sont rassemblés, frileux, dans le matin blafard, sur la plage arrière de l’Ile de Noirmoutier. Il y en a de toutes les tailles, mais presque tous ont le même âge : l’âge du bagne. Car le bagne ne fait point de différence : il creuse des rides profondes, burine les visages et blanchit les cheveux. Il vole aussi la santé. Ça se voit dans les yeux fiévreux de tous ces hommes. Ah ! ces yeux ! Eux seuls disent toute la détresse physique de ces corps maigres. Celui-là tuberculeux. Celui-ci syphilitique. Cet autre paludéen. Et ce grand au nez crochu : scorbut.
Maintenant il faut les faire parler. Il y a bien des Marseillais, mais ils ne sont pas bavards. Les autres non plus d’ailleurs.
Cigarette ! Coup classique qui ne prend plus. Pendant la traversée, un journaliste un peu trop curieux a failli être jeté par-dessus bord. Enfin allons-y quand même !
J’aborde un grand gaillard coiffé d’un chapeau noir.
– Alors, content de revenir ?
– Oui.
– Beaucoup de souvenirs ?
– Oui beaucoup de mauvais …
– Par exemple ?
– Ça serait trop long à raconter. Un meurtre à Colmar. J’étais grillé. Peine de mort, commuée en travaux forcés à perpétuité. Et puis en 1921, départ pour la Guyane. Trente ans en tout c’est long.
Une question me brûle les lèvres, ma foi, car celui-là n’est pas complètement muet.
– La vie là-bas ?
– La chiourme, le Soleil, les requins et l’administration, et, pour maintenir l’ordre, l’exécuteur des hautes œuvres « Mouche à bœufs ». « Mouche à bœufs » c’était un petit maigre, pas intéressant. Un romanichel condamné pour cambriolage et meurtres. Il habitait une case tout seul en dehors du camp et, pour cent francs, il coupait une tête, quand le gouverneur lui en donnait l’ordre.
– Reviendra-t-il en France ?
– Possible, mais il ne restera pas longtemps vivant.
– Pourquoi ?
Un rire étranglé, presque cruel, secouant sa grande carcasse maigre, et très bas, presque confidentiellement, il ajoute : « Un jour, dans la région parisienne, je crois, on a retrouvé Ladurelle avec un poignard dans les reins. C’était en 1938 ou 1939, il n’y a rien d’impossible que l’on retrouve un jour Mesnot, c’était le vrai nom de « Mouche à bœufs », mort de la même façon. Vous comprenez. Il y a des choses que l’on n’oublie pas. Ladurelle, lui, a payé les têtes qu’il a coupées.
Le tour de Mesnot viendra peut-être … »
Décès à l’hôpital de Mont-Saint-Martin le 24 juillet 1966
Encore une surprise, l’acte de décès stipule qu’il est veuf en secondes noces de Nathalie Ludwig. J’apprends aussi qu’il fut enterré dans les tombes des indigents à Mont-Saint-Martin.
En conclusion
Je trouve déplorable qu’à aucun moment il fut noté que Louis Ladurelle était né allemand et qu’il a bien dû déserter l’Allemagne pour rejoindre la France. Et encore, reconnu allemand de naissance, il ne pouvait intégrer qu’un régiment étranger, comme la légion étrangère. Je trouve aussi étonnant que son procès n’ait duré que soixante jours.
Contrairement à d’autres forçats qui sont revenus aisés du bagne, grâce à des activités plus ou moins louches, lui, comme l’a écrit Le Guigou est rentré en France sans le sou et abandonné à lui-même.
Tout ce travail, je l’ai fait pour répondre à une question que je me posais sur sa légende : « Si tu n’es pas gentil je te donne au Ladurelle ». Mais ce que je retiens, c’est l’attachement à sa terre et une rage de vivre hors du commun.