Árpád, fils du premier Grand-prince magyar Álmos, est le fondateur de la Grande-principauté de Hongrie. Cette confédération des sept tribus magyares naquît de la proclamation d’une installation définitive et sédentarisée dans le bassin des Carpates, principale chaîne de montagnes d’Europe centrale, par le conseil politique du peuple magyar, le Hétmagyar, en 895. Cette conquête hongroise est traditionnellement nommée la Honfoglalás. La Hongrie fut jadis une terre arrosée par le sang lorrain lors d’expéditions menées par les chrétiens d’Europe face aux invasions ottomanes. Quelques temps auparavant, ce fut le sang des hongrois avides de pillages en Europe de l’Ouest qui bouillonna en Lorraine, « terre de cheminement et d’affrontement », comme l’indique André Rosambert (1896-1977), magistrat et enseignant lorrain d’origine hongroise à l’Université de Nancy. Ces rapports hungaro-lorrains commencèrent dès le Moyen-âge.
Au cours du Xème siècle, les Hongrois païens menèrent plusieurs expéditions militaires dans toute l’Europe occidentale. Après ces incursions, ils revinrent chargés de butins et de captifs jusque sur leurs terres. Les captifs lorrains étaient considérables selon Auguste Digot (1815-1864), historien nancéien spécialisé dans l’histoire de la Lorraine, qui évoqua : « la troisième incursion des Hongrois eut lieu en 926 ou 927. Ils s’avancèrent jusqu’à Verdun, s’emparèrent de la maison épiscopale et s’approprièrent ou brûlèrent tout ce qu’elle contenait (…). Les Hongrois emmenèrent chaque fois une foule de captifs lorrains en leur pays (…) qui furent les premiers Lorrains qui arrivèrent dans le pays hongrois ». Ces captifs sont devenus des travailleurs au même titre que les autochtones, puisque les plus cultivés et ceux sachant le mieux parler hongrois pouvaient accéder à des fonctions de scribes, de messagers ou d’interprètes, face aux moins aguerris ayant généralement des fonctions de serviteurs. Selon les historiens hongrois Henrik Marczali et Lajos Balics, ces captifs exercèrent une influence certaine sur la conversion des Hongrois païens, surtout par la présence de nombreux ecclésiastiques comme des moines parmi ceux-ci. A partir de 955, avec la défaite cuisante que subirent les Hongrois en Bavière à la Bataille du Lechfeld, la Lorraine ne vit plus de nouvelles incursions hongroises. Cet événement restera dans la mémoire collective grâce à la chanson de geste Garin le Loherain par Jehan de Flaguy qui raconte la soumission des envahisseurs hongrois vaincus par le « vaillant » Hervis de Metz.
Ces expéditions cessèrent pour laisser place sous le règne du Duc Géza à la conversion des Hongrois à la religion chrétienne et à l’organisation du pays. Son fils Etienne poursuivit et acheva l’œuvre de son père en l’an 1000 avec la conversion (quasi) totale des Hongrois au catholicisme. Celui-ci est considéré comme le fondateur de l’Etat hongrois comme royaume et fut le premier Roi de Hongrie canonisé en 1083. Ces actions ouvrirent une nouvelle ère en renforçant les relations entre la Hongrie et l’Occident. Etienne se maria avec la princesse bavaroise Gisèle et se vit remettre la couronne royale en l’an mille par le pape Sylvestre II d’origine auvergnate. C’est ainsi que ces nouveaux rapports entre la Hongrie et l’Occident purent se consolider par l’entremise de Bruno, évêque de Verdun, qui fut à l’initiative des premières relations politiques. Le Duché de Lorraine, de facto rattaché au Saint-Empire, fut chargé d’une commission par l’Empereur Otton II en 972. Il demanda à Bruno d’établir les premiers préparatifs pour « la voie de l’action missionnaire » de Pilgrim, évêque de Passau, en vue de convertir les Hongrois à la religion chrétienne. En 1046, Geoffroi, Duc de Haute-Lotharingie, se souleva contre l’Empereur Henri III, après que les Hongrois eurent chasser le Roi de Hongrie, protégé de l’Empereur. Geoffroi, avec d’autres vassaux en Frise et en Flandre, souhaitait s’affranchir par la force du Saint-Empire. Ces évènements compliquèrent les désirs de vengeance de Henri III, ce qui permit à André Ier, nouveau Roi de Hongrie, de préparer la défense du pays face aux attaques probables de Henri III. En 1047, les révoltes furent réprimées et Geoffroi fut vaincu, ayant pour conséquence la reprise en main de la Haute-Lotharingie par le Saint-Empire. On nomma alors le Comte de Metz, Adalbert d’Alsace, premier Duc officiel du Duché de Lorraine, à la tête du Duché de Haute-Lotharingie qui était désormais dénommé Duché de Lorraine. André Ier ne savait que trop que « l’Empereur ne renoncerait pas à sa résolution de soumettre la Hongrie et d’en faire son fief ». Fort heureusement, selon Astrik Ladislas (1907-2005), chanoine médiéviste hongrois, André eut la « bonne fortune d’avoir pour conseillère la Princesse Richéza, épouse de son frère Béla ». Elevée en Lorraine, elle favorisa, avec l’aide du pape lorrain Léon IX, le rétablissement d’affinités pacifiques entre l’Empereur et le Roi de Hongrie.
Des Wallons, Français et Lorrains s’établirent massivement en Hongrie au XIème siècle. Cette immigration serait due à l’oppression et aux souffrances « du peuple des vassaux rebelles », amenant à la création de nouveaux villages aux toponymes d’origine lorraine par des Wallons et des Lorrains de langue romane. Ces afflux humains furent à l’origine de nombreux progrès dans divers domaines comme l’agriculture, le commerce, l’industrie ou l’urbanisme. Au même moment commencèrent les premières installations d’ordres religieux en Hongrie. Ces établissements furent initiés par la fondation de l’abbaye de Somogyvár en 1091 et du premier monastère des Prémontrés à Garáb en 1170. Ce monastère fut peuplé de moines provenant de Riéval en Lorraine, tout comme au couvent fondé peu de temps après à Szentkereszt. Les ordres religieux d’origine française et lorraine influencèrent considérablement la société hongroise en cultivant eux-mêmes la terre et en semant la bonne parole. Les moines lorrains instruisirent tout particulièrement le peuple hongrois, tout en propageant la foi dans leurs foyers. Les monastères de Hongrie et leurs maisons-mères gardèrent des rapports permanents permettant d’entretenir des liens culturels profonds entre Lorrains et Hongrois. Au XIème et au XIIème siècles, Godefroi de Bouillon, Duc de Basse-Lotharingie, traversa la Hongrie comme chef de la première croisade avec son armée composée de Lorrains et d’Allemands. Au XIIIème siècle, des architectes lorrains comme Jean de Saint-Dié, maître lorrain qui restaura en 1287 la cathédrale de Gyulafehérvár ou le très célèbre Villard de Honnecourt, eurent un impact conséquent dans la construction de la Hongrie. En 1457, dans La Chronique de Lorraine, on commémora les Hongrois qui firent un court séjour à Nancy, alors qu’ils étaient en voyage pour Paris. Ils festoyèrent pour célébrer la bonne entente qui régnait à présent entres les peuples hongrois et d’Occident. D’un point de vue héraldique, un des quartiers des armoiries ducales lorraines rappelle les prétentions sur la couronne royale de Hongrie de René Ier, Duc d’Anjou, de Bar et de Lorraine, ayant des droits sur le royaume hérité de la Reine de Naples Jeanne II, seconde épouse de René d’Anjou, succédant à Isabelle Ière de Lorraine. D’ailleurs, la Croix de Lorraine présente sur les armoiries de Hongrie, au même titre que les armes de Slovaquie et de Lituanie, est due aux affiliations de sang entre la famille royale hongroise et la noble famille d’Anjou. Ce qui renforça le caractère chrétien et archiépiscopal du pays.
Durant les siècles qui suivirent, de nombreux états européens luttèrent contre les vagues successives d’envahisseurs ottomans. La Hongrie fut un réel théâtre de guerre, ayant une position stratégique dans le maintien de la souveraineté chrétienne de l’Europe. Les pays balkaniques et la Hongrie, très exposés aux attaques ottomanes, luttèrent héroïquement contre les conquérants. Beaucoup de troupes françaises et lorraines passèrent par la Hongrie pour réprimer les envahisseurs. En 1599, Philippe-Emmanuel de Vaudémont, Duc de Mercœur né à Nomeny, combattit les Turcs au titre de Commandant en chef de l’armée impériale et repris par des sièges quelques places fortes de Hongrie. François de Bassompierre, natif du château de Haroué, arriva en Hongrie en compagnie du Prince de Joinville avec une armée conséquente, afin de reprendre, en 1603, la ville de Hatvan. La relance de la guerre en 1683 par les Turcs contre l’Autriche, réanima le désir commun des Européens de conserver leur souveraineté chrétienne. De nombreux Lorrains sous l’Empereur Léopold vinrent secourir les Autrichiens, qui vainquirent les Turcs à Vienne et poursuivirent une véritable croisade contre les conquérants. Le Duc Charles V de Lorraine, au commandement des armées impériales, battit à plusieurs reprises les Turcs sur le sol hongrois, notamment lors des batailles de Mohacs et de Saint-Gothard ou lors de la reconquête de la ville de Bude. L’héroïsme des Lorrains, qui alla jusqu’au sacrifice de leur vie pour certains, fut retranscrit par l’historien Auguste Digot, qui leur rendit hommage en dressant une liste assez exhaustive des nombreux princes et ducs de Lorraine ayant, avec leurs troupes, participé à des batailles en Hongrie face aux incursions ottomanes.
Au XVIIIème siècle, de nombreux conflits géopolitiques se succédèrent au Banat, région historique de Hongrie qui aujourd’hui, à la suite des rectifications territoriales dues à de nombreux traités militaires, est divisée entre la Hongrie, la Roumanie et la Serbie. Cette région qui a été impactée par des litiges austro-hongrois, la libération du joug ottoman ou encore la guerre de succession d’Autriche en 1740, a bénéficié d’une politique de repeuplement sous Marie-Thérèse de Habsbourg, Impératrice du Saint Empire, Reine de Hongrie et épouse de François Ier du Saint-Empire, ancien Duc de Lorraine. Un brevet de colonisation fut édité en vue de repeupler le Banat le 25 novembre 1763. Seules les populations de confession catholique romaine pouvaient prétendre à s’installer au Banat. Entre 1770 et 1771, des habitants de Lorraine, le Duché est officiellement devenu français en 1766, et du Sud-Ouest de l’Allemagne vinrent « coloniser » le Banat et y fondèrent trois villages : Sankt Hubert, Charleville et Seultour. Avec l’apparition de ces villages germanophones, on parla ensuite de Souabes du Banat. Après la Seconde Guerre mondiale et la redéfinition des frontières de l’Allemagne, on expulsa de force toutes les populations considérées comme « allemandes » des pays européens en dehors de l’Allemagne. Aujourd’hui, les trois villages cités précédemment ne forment plus qu’un : Banatsko Veliko Selo, qui signifie littéralement « grand village Banat » en serbe, puisque que cette commune est à présent située en Serbie.
A partir de 1731, la ville hongroise de Szeged a accueilli une garnison de régiments impériaux lorrains. Celle-ci fut dénommée Regimen Lotharingianum (Régiment Lotharingien) et composée de nombreux officiers lorrains des régiments Alt-Lothringen et Jung-Lothringen siégeant à la forteresse de Szeged. Parmi ces commandants de forteresses, il y avait Joseph de Lorraine, fils du Duc Charles V. Populaire et reconnu comme un soldat brillant, Joseph avait également pour loisir de pratiquer la pomologie, branche de l’arboriculture fruitière. Il a ainsi répertorié et identifié des fruits permettant à Szeged et à ses alentours de développer très considérablement sa culture fruitière. Aujourd’hui encore, grâce aux introductions arboricoles de Joseph de Lorraine, toute la région de Csongrád-Csanád est reconnue comme étant propice à l’arboriculture avec notamment une culture florissante de la pêche et d’autres espèces nobles de fruits. La présence de Joseph de Lorraine en Hongrie fut justifiée par le fait que de nombreux militaires lorrains anciennement sous les ordres de la famille ducale et du Saint-Empire ne voulurent en aucun cas trahir leurs engagements et leur attachement patriotique à leur duché, dorénavant dirigé par le Duc Stanislas Leszczynski, ancien Roi de Pologne déchu, à la botte du Roi de France Louis XV, son gendre. Nombre de ces anciens soldats impériaux sont ensuite devenus des mercenaires au service de différents pays en Europe comme en Autriche ou plus majoritairement en Hongrie, ce qui fit de ce dernier pays un carrefour de retrouvailles pour ces expatriés lorrains (soldats, religieux, nobles, etc.). En 1732, François III de Lorraine, marié à la future Impératrice Marie-Thérèse, se vit remettre le titre de Vice-roi de Hongrie par son beau-père, Charles VI. Lors de son premier passage en Hongrie pour « connaître l’étendue de son gouvernement », il fit une excellente impression auprès du peuple hongrois. Dans les années 1790 et pendant les campagnes napoléoniennes, certains prisonniers de guerres retenus en Hongrie étaient des Alsaciens et des Lorrains germanophones, ce qui facilita les relations avec les autorités militaires et les infirmiers. Si la majorité des captifs mourraient pendant leur incarcération, une faible partie repartait dans son pays d’origine, tandis que d’autres s’établirent définitivement en Hongrie. A la phase finale de la guerre contre Napoléon, la Lorraine fut envahie par les Austro-hongrois qui occupèrent le territoire. Ces troupes ennemies ne laissèrent pas un mauvais souvenir, voire un sentiment de popularité envers ces occupants considérés comme « braves ».
La deuxième moitié du XIXème siècle est caractérisée par la guerre franco-prussienne faisant de la Lorraine et de l’Alsace deux zones tampons, lieux de batailles inédites. A la suite de la défaite française et de la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, le peuple hongrois se mobilisa pour collecter des fonds en faveur des prisonniers de guerre captifs en Allemagne, des sinistrés, des pupilles de la nation et des blessés français. Les dons furent estimés à hauteur de 300 000 francs. Sans arrière-pensée politique, cet élan de sympathie souhaitait soutenir matériellement et moralement les « malheureuses victimes françaises ». Le publiciste hongrois Dániel Irányi, accompagné d’ouvriers de tout le pays, protesta contre la guerre le 24 juillet 1870 en interpellant le Premier ministre de Hongrie le 28 janvier 1871 sur le sort de l’« Alsatia » et de la « Lotharingia », et son devenir au sein du nouvel Empire allemand. En 1879, une terrible inondation se produisit à Szeged. Les médias français relayèrent cette information, afin de faire appel à la charité du peuple pour venir en aide à leur tour à leurs amis hongrois. Les dons envoyés à l’Ambassade de Hongrie s’élevèrent à 60 000 francs.
Vers la fin de la Première Guerre mondiale, des troupes françaises occupèrent une partie de la Hongrie. Parmi les gouverneurs de la ville occupée de Szeged, il y avait le Général vosgien Henri de Gondrecourt et le Lieutenant-colonel meusien Jean-Baptiste Fournié. Durant la Seconde Guerre mondiale, on comptait dans les rangs de la résistance quelques membres hongrois ayant mené la lutte pour la libération de la France. Certains de ces résistants hongrois faisaient probablement partie des maquisards de la Brigade Indépendante Alsace-Lorraine. Depuis 1961, les relations entre la Hongrie et la Lorraine continuent de s’entremêler avec par exemple le partage de travaux de recherches et de données archéologiques entre la Société d’Archéologique de Lorraine et le Móra Ferenc Múzeum de Szeged. Cette initiative a été mise en place par Paul Schutz, secrétaire administratif de l’Académie de Stanislas et de la Société d’Archéologie de Lorraine.
Cette chronologie et ce travail de recensement a été grandement permis par l’historien hongrois Ladislas Palásti et les travaux des auteurs de la revue régionale Le Pays lorrain. La christianisation de la Hongrie, les actions militaires mutuelles, la mise en culture fruitière au Sud du pays, les partages scientifiques et les peuplements du Banat résonnent encore comme des actes de commémoration morale et historique dans les peuples hongrois et lorrains.
Sources :
Frédérique Braconnot, Quand les Lorrains s’exilaient par milliers au Banat, Est Républicain, 7 novembre 2019.
Ladislas Palásti, La Hongrie et la Lorraine, mille ans de rapports hungaro-lorrains 910-1900.
Les Habsbourg et la Lorraine, Presse Universitaire de Nancy, 1988.