C’est l’histoire d’une rencontre assez inattendue entre la cathédrale de Metz qui a fêté ses 800 ans en 2020 et le peintre anglo-français Wayne Sleeth, installé depuis 2001 dans la région et qui a voulu immortaliser ce monument grâce à sa palette.
Mais cet artiste, non content de traduire cette grande dame du gothique sur la toile, a voulu également l’inscrire dans la lignée des Cathédrales de Rouen de Claude Monet. D’aucuns pourraient penser qu’il s’agit d’une tâche difficile voire impossible à réaliser ? Pourtant l’artiste ne manque ni d’audace ni de talent car le fait de s’inspirer du travail impressionniste de Monet va au contraire lui ouvrir de nouvelles voies. Nous verrons effectivement, grâce à l’influence de ce grand artiste de Giverny, que Wayne va nous révéler des choses étonnantes. En se libérant notamment d’une certaine réalité objective, il réussira à nous faire partager des sensations. Car la cathédrale qu’il nous montre devient celle qu’il perçoit à travers le prisme de sa propre sensibilité.
Fidèle à l’école impressionniste de Monet, et aussi de Manet, qui avait déclaré : « Je peins ce que je vois, et non ce qu’il plaît aux autres de voir », Wayne va donc débuter sa série des vues de la cathédrale de Metz, en s’inspirant principalement de ce mouvement pictural de la seconde moitié du XIXème siècle, pour traduire tout particulièrement certaines sensations visuelles. Mais très vite aussi, il s’échappera de ce traitement particulier grâce à des procédés dits de « déconstruction », pour faire émerger alors une toute autre réalité. C’est l’occasion également de découvrir ce peintre qui se révèle être beaucoup plus qu’un élève ou un copiste !
Les effets de la lumière et du temps
En présentant chaque fois des vues nouvelles de la cathédrale de Metz selon des orientations géographiques différentes (Ouest et Nord principalement), l’artiste veut dans un premier temps capter les effets de la lumière et du temps suivant en cela Monet avec ses célèbres Cathédrales de Rouen.
Et tout comme son mentor, ce travail le conduit à nous montrer ce monument comme étant proche du vivant à travers différents essais d’anthropomorphisme. Ainsi sur une toile de la face Ouest, le peintre nous montre la cathédrale depuis la Place Jean-Paul II qui est située juste en face. Elle est très belle car auréolée d’une architecture tout en dentelle, richement décorée par de nombreux pinacles. Et dans sa superstructure, elle est surmontée au sommet par la flèche de la Mutte qui s’élance fièrement à 93 mètres ! Dans cette représentation de la cathédrale de la façade Ouest, il y a comme un parfum d’éternité et une quête effrénée vers le durable et le permanent. Retrouvant, en quelque sorte, les couleurs des premiers instants du jour, de la vie et de la création du monde. Cela passerait ainsi par l’exaltation de la fraîcheur matinale car ici la pierre n’est plus jaune-ocre mais blanchie comme s’il s’agissait d’une roche calcaire extraite des couches géologiques du sous-sol. L’artiste a utilisé l’acrylique mais aussi la bombe et les cendres pour rendre encore plus réel cet aspect minéral.
Dans certaines toiles, l’artiste réussit plus fortement encore à révéler un certain mimétisme avec des attitudes humaines.
Par exemple, comme dans la toile ci-dessus, où la façade de la cathédrale semble bouger. On a l’impression, en effet, qu’elle se déhanche ou comme le signalait déjà Monet pour sa cathédrale de Rouen, qu’elle secoue sa tête.
Le ravage des sensations
Parfois, l’artiste en traduisant trop violemment les effets du Soleil sur la structure, libère des pulsions incontrôlées. Le ravage des sensations conduit alors à un ravage pictural de même nature ! Ce spectacle, on le découvre notamment dans la toile ci-dessus de la face Nord qui donne sur la Place de Chambre. La couleur jaune-ocre semble avoir réussi à dominer le dessin à tel point qu’on ne distingue pratiquement plus les contours de l’édifice et ni d’ailleurs la cathédrale elle-même. A la place on ne découvre plus qu’une masse jaunie. Cela résulte peut-être aussi du tempérament de l’artiste et de ses pulsions incontrôlées ? En effet, cet état se ressent dans cette toile du fait de la massivité et de la violence des touches. La couleur épaissie est volontairement mal contenue dans les limites de la forme de l’édifice. Tout déborde et rien ne semble être contrôlé. C’est pourquoi aussi cette même agressivité conduit à des déformations anatomiques volontaires. En subordonnant ainsi le dessin à la couleur, le peintre semble se livrer au chaos des sensations. Mais en définitive on en revient toujours à la violence elle-même des éléments naturels, avec notamment le Soleil du couchant qui irradie excessivement la structure.
Vers un travail de déconstruction et d’abstraction
En réalité, avec le travail de déformation auquel on vient d’assister, se profile déjà le nouveau parcours de l’artiste. Si Wayne s’inscrit dans la continuité de Claude Monet, il n’hésitera pas non plus à remettre en cause la représentation traditionnelle de la cathédrale.
C’est la raison pour laquelle, on découvre de plus en plus des formes métamorphosées, voire totalement abstraites sous l’action de son pinceau. Le cheminement pictural de ce peintre passe donc par des phases de « déconstructions » successives avant d’aboutir parfois véritablement à l’abstraction. Ainsi, les effets destructifs sont particulièrement visibles dans la toile ci-dessous. Tout est ici volontairement flou. Dans un monde irréel et inhabituel puisque le monument lui-même se reflète dans un espace liquide situé à proximité immédiate.
Les traits du dessin tremblent et la structure d’une manière générale échappe à une vision claire et ordonnée. En agissant de la sorte, l’artiste veut rendre visible ce qui ne l’est pas encore. Dans une vision quasi hallucinée, il nous montre cette cathédrale comme fantomatique, émergeant dans une peinture froide, comme si elle avait été enveloppée d’un vernis ou d’un glacis de couleurs bleutées et violettes. De la sorte, on a l’impression de réveiller cette belle endormie. Pour cela, le peintre a su révéler l’être en la réveillant ! Or, toujours pour arriver à ce résultat, il a fallu d’abord passer par un travail de déconstruction. Celle-ci est d’abord une méthode d’analyse des textes littéraires et philosophiques mis en place par le philosophe Jacques Derrida.
Elle n’est pas une démarche négative, mais productive. Elle engage une affirmation. Elle veut inventer l’impossible. Appliquée à l’art et à la peinture en particulier cela conduit à accepter dans un premier temps une forme de destruction, afin de faire advenir dans un deuxième temps l’émergence d’une autre réalité. Dans le cas des vues sur la cathédrale de Metz, l’artiste opère différentes destructions pour permettre justement l’arrivée de la partie non-visible. C’est pourquoi son travail peut être qualifié de métaphysique.
Cette dernière toile nous montre une autre forme de déconstruction où la cathédrale est tellement métamorphosée qu’on ne la distingue pratiquement plus. Seule apparait une matière picturale granuleuse, rugueuse, épaisse et dense. Comme si celle-ci provenait d’une éruption volcanique, et le jaillissement d’une coulée de lave ? Ce qui expliquerait cette couleur gris bleu, vert pâle avec l’apparition çà et là de taches rougeoyantes. Mais en réalité, derrière ce déchaînement de la matière, ce tableau nous donne à voir autre chose. Selon la formule du poète Henri Michaux, il s’agit de « crever la peau des choses » pour montrer comment les choses se font choses et le monde se fait monde. Ce qui expliquerait pourquoi le peintre joue sciemment de la violence pour contraindre la nature à se dévoiler. Et pour ce faire, il n’hésitera pas également à utiliser les techniques les plus actuelles du mouvement street-art, avec la bombe, le collage, les marqueurs, etc. pour bousculer encore plus fortement la représentation, afin de pénétrer la vie.
En fait, ce peintre est en quête d’Absolu, tout comme Cézanne qui peignait sans cesse la Montagne Sainte-Victoire pour exhaler un parfum d’éternité, lui cherche l’équivalent avec sa cathédrale de pierre. Son travail n’est plus de révéler des sensations mais s’inscrit dans la science du faire apparaître. A la recherche d’une autre réalité, il expérimente donc par la peinture une sensation de portée métaphysique. C’est pourquoi aussi, on éprouve au contact de ses toiles à la fois une sensation de profondeur et d’élévation. Et avec toujours une ivresse esthétique qui semble chez lui inséparable d’une ivresse métaphysique.
Merci beaucoup pour vos remarques, Renée !
Merci de nous faire découvrir notre chère Cathédrale par le biais de cet étonnant artiste.
J’adooooooore, quel talent.
Grand merci à Wayne Sleeth