Avec, pour devise « je mords derrière comme devant », la Ville de Bitche met en garde ses potentiels assaillants. Le blason de la cité, d’ailleurs, qui représente une sorte de serpent à deux têtes, semble le confirmer. La ville sait se défendre, quel que soit le côté par lequel vient l’ennemi.
Il faut dire qu’étant dominée par la fière silhouette de sa citadelle, posée au sommet d’un éperon rocheux étroit et acéré, Bitche paraît invincible. Imprenable. Impossible à investir en somme. Pourtant, la cité reste placée sur la route des invasions. Aux confins de la Lorraine, de l’Alsace et du Palatinat, elle a toujours été une place forte stratégique, une sorte de verrou placé au Nord-Est de la région, de la province, et de la France !
C’est au Moyen-âge que la localité commence à prendre une relative importance sur le plan stratégique, lorsque Ferry, le fils cadet du défunt Duc de Lorraine Matthieu Ier reçoit la terre de Bitche à titre d’apanage. Nous sommes alors en 1176 et c’est probablement dès cette époque que va s’ériger, au sommet de l’éperon rocheux, un premier château qui passera, en 1286, à la puissante Maison de Deux-Ponts. Sans cesse améliorée et réaménagée, la forteresse subit un premier siège important durant la Guerre de Trente Ans. Mais les troupes suédoises de Gustave-Adolphe, ne parvenant pas à s’emparer du fort, devront se contenter d’incendier la ville.
La reconstruction de la ville est laborieuse. En 1680, la France parvient à mettre la main sur ce petit coin de Lorraine. Immédiatement, Louis XIV charge son fidèle ingénieur, le Marquis de Vauban, de réaménager la forteresse de Bitche. D’impressionnants travaux de terrassements sont alors mis en place. L’éperon rocheux est bastionné et la ville elle-même fait l’objet d’un système défensif réputé imprenable. Rendue au Duché de Lorraine pendant un petit siècle (1697-1766), la Ville de Bitche devient, au XIXème siècle, un véritable verrou français sur les frontières de l’Est.
Aussi, quand éclate la Guerre de 1870 la ville se trouve être aux premières loges du conflit. Dès le 8 août 1870, un escadron du 5ème Régiment de Dragons allemand s’approche de la citadelle, où il est accueilli par un tir de bienvenue qui fera quatre morts. Le même jour, les artilleurs de la forteresse parviennent à réduire au silence une batterie de canons du 2ème Régiment d’Artillerie bavarois. Décidément, les choses commencent plutôt mal pour les Allemands, qui vont s’appliquer à assiéger la citadelle en bonne et due forme.
D’un côté, enfermé dans la forteresse, le Commandant Teyssier, avec un peu moins de 3 000 hommes, 53 canons, 4 700 fusils et 120 tonnes de poudre. De l’autre, le Colonel Kohlermann, qui dispose quant à lui d’environ 20 000 hommes. Les véritables hostilités commencent le 23 août. A cinq heures du matin, Kohlermann débute le pilonnage de la citadelle en envoyant 77 obus sur les remparts. Malgré ce feu nourri, Teyssier refuse de livrer la place. Les Allemands se rendent à l’évidence : il faudra des canons plus puissants.
Après quelques sorties et escarmouches, Teyssier est informé de la débâcle qui vient d’avoir lieu à Sedan, le 2 septembre, et de la capture de l’Empereur Napoléon III. Pour ne pas saper le moral de la troupe, il ne dit rien de la nouvelle.
Les Bavarois, de leur côté, ont ramené du renfort. Ils installent 24 pièces d’artillerie autour de la citadelle et font abattre, le 11 septembre, un véritable déluge de feu sur les remparts. Les Français répliquent avec leurs pièces d’artillerie. Le lendemain, las de bombarder une citadelle qui ne paraît même pas s’effriter, les Allemands reçoivent l’ordre d’envoyer leurs projectiles sur la ville, en contrebas. Ce bombardement provoque la fuite de la population bitchoise, qui part trouver refuge loin de la zone de combats.
Pour les assiégés, la situation devient critique. Un incendie s’est déclaré à proximité de la poudrière, heureusement maîtrisé à temps. Le 20 septembre, un parlementaire allemand annonce à Teyssier que la République vient d’être proclamée à Paris et qu’il est temps d’abandonner la place. Il se fait éconduire, Teyssier exigeant des preuves. Après dix jours de bombardement intensif, les Allemands choisissent de transformer le siège en blocus. Les Français, totalement encerclés, vont dès lors se borner à harceler les troupes allemandes, tout en essayant de tuer le temps. En janvier 1871, la nouvelle de l’armistice arrive aux assiégés. Qu’à cela ne tienne, ils continuent à résister !
Le 12 mars, un parlementaire allemand présente au Commandant Teyssier une lettre de Jules Favre lui ordonnant de se rendre. Mais Teyssier refuse toujours, n’ayant pas la garantie de ne pas finir prisonnier de guerre. Ce n’est que le 25 mars que Louis-Casimir Teyssier accepte d’évacuer la ville, avec armes et bagages. Le lendemain, il remet officiellement les clés de Bitche au Colonel Kohlermann. Après avoir été lorraine, puis française, Bitche entrait désormais dans le giron de l’Empire allemand.
Bien que n’étant pas Lorrain, il était né à Albi en 1821, Louis-Casimir Teyssier aura fait preuve, au cours du siège de Bitche, d’un entêtement et d’une détermination qu’on reconnaît volontiers aux personnes qui peuplent les rives de la Meuse et de la Moselle. Il aura surtout permis, en définitive, de confirmer que la Citadelle de Bitche est bel et bien imprenable !