La sociologie, et plus généralement le domaine des sciences sociales, émergent vers la fin du Siècle des Lumières. C’est autour de la compréhension des interactions sociales individuelles et collectives de l’Homme en tant qu’être social que ces disciplines se constituent dans un contexte fortement marqué par la révolution française et la révolution industrielle.
Le renversement des mentalités européennes et des différents systèmes de gouvernances sociopolitiques du continent appelle à un nouveau genre de sciences. Ce sont des sciences appliquées et expérimentales qui visent à décomplexifier notre compréhension des actions des groupes sociaux et à favoriser le progrès social. La Lorraine a elle aussi été le témoin de l’émergence de ces nouvelles disciplines qui ont su séduire certains grands penseurs du XIXème siècle. On pense alors naturellement au réputé Emile Durkheim (1858-1917), natif d’Epinal et considéré comme le « père de la sociologie moderne ». Ce normalien affilié au positivisme, courant philosophique qui veut que l’acquisition des connaissances se fasse par l’épreuve des faits, va être à l’initiative de concepts remarquables comme le « fait social », l’« anomie » ou encore la « conscience collective » qui vont donner leur lettre de noblesse à la sociologie. Marcel Mauss (1872-1950), également natif d’Epinal et neveu de Durkheim, va de son côté être considéré comme le « père de l’anthropologie française ». Ces deux éléments régionaux ne vont pas être les seuls à s’impliquer pour promouvoir les sciences et les arts humanistes. Le Festival International de Sociologie (FISO) s’inscrit d’ailleurs dans cette lignée. Coorganisé par la Société d’Emulation des Vosges (SEV), présidée par Charles Kraemer, ingénieur de recherche en archéologie à l’Université de Lorraine, et par le Laboratoire Lorrain des Sciences Sociales (2L2S), dirigé par Lionel Jacquot, professeur de sociologie à l’Université de Lorraine, ce festival se déroule tous les deux ans depuis 2015 dans le but d’ouvrir au grand public les débats scientifiques en sciences sociales et notamment en sociologie.
Comme point de départ, il y a eu un premier colloque international organisé en 2008, intitulé Emile Durkheim, une jeunesse lorraine, qui a donné lieu à l’ouvrage Durkheim avant Durkheim. Une jeunesse vosgienne publié en 2015, co-dirigé par Charles Kraemer et Marcel Fournier, sociologue québécois, Officier des Arts et des Lettres, qui a écrit deux biographies remarquées de Durkheim et de Mauss. A la suite de ce colloque, le 2L2S et la SEV ont décidé de poursuivre leur collaboration en organisant des biennales Durkheim-Mauss à Epinal. Les premières biennales se sont déroulées en juin 2010 en posant la question du travail et du don, et les secondes en octobre 2012 en interrogeant le triptyque « société, cultures et religion ». C’est en 2015 que la formule du festival s’est finalement imposée aux organisateurs, le premier du genre pour la discipline, afin de sortir d’un certain entre soi et d’œuvrer en quelque sorte pour une sociologie publique, de mettre la discipline au cœur de la cité et non pas la réduire à un simple champ académique éloigné du commun des mortels. L’objectif recherché est de rendre accessible les travaux sociologiques et de diffuser le savoir à un large public. Le festival de sociologie cherche donc à adjoindre au colloque scientifique classique d’autres supports et des événements culturels. L’idée est ainsi de concilier en une semaine de festival, au mois d’octobre, un colloque sérieux et studieux avec d’autres manifestations culturelles pour attirer le grand public. Parmi ces activités, on retrouve des pièces de théâtre, des expositions, des cycles de conférences plénières et gesticulées, des documentaires et des films, des tables rondes sur des sujets précis ou encore des ateliers pédagogiques. Bien entendu, l’ensemble des activités extra-colloque est régi autour d’un seul et même thème, celui abordé par le festival.
En plus des débats organisés, le festival donne suite à la publication d’ouvrages commercialisés en lien direct avec les interventions effectuées. Parmi les thèmes abordés, on retrouve « Les figures de l’engagement et l’engagement en temps de crise » en 2015, « La fabrication des corps au XXIème siècle » en 2017 ou encore « L’éducation dans et hors la classe » en 2019. Le festival s’adresse à un public principalement étudiant ou faisant partie du corps enseignant, mais sont aussi les bienvenus tous ceux qui souhaitent accroître leurs connaissances vis-à-vis du sujet abordé. En mettant à nu les travaux de recherches des scientifiques, les fondateurs du festival visent à transmettre leur savoir par un travail de communication sur un même lieu de rencontre. Si ce festival se déroule à Epinal, c’est en référence à Emile Durkheim et surtout à son neveu qui éprouvait un plus grand attachement à la Cité des Images que son oncle, étant lui-même membre de la Société d’Emulation des Vosges. Il s’agit d’une véritable volonté locale de valoriser le territoire par les travaux de Durkheim qui ont considérablement contribué au fondement de la sociologie moderne en France et à l’international. Cet élément historique, ainsi que la présence des laboratoires de sciences sociales de Nancy et de Metz, ont fait de la Lorraine un territoire très ancré dans un réseau de recherche de haut niveau. La région est en quelque sorte le berceau de la sociologie moderne et Durkheim reste incontestablement un symbole fort. Bien que tout le monde ne soit pas d’accord avec sa vision des choses.
Le Festival International de Sociologie accueille différentes disciplines des sciences sociales. On retrouve en particulier des intervenants spécialisés en psychologie, histoire, philosophie, etc. qui ont tous un regard humaniste sur notre société et qui proposent des grilles de lecture complémentaires sur son fonctionnement et ses évolutions. Si le festival peut avoir lieu, c’est grâce au soutien de la Ville d’Epinal, des collectivités territoriales, de l’Université de Lorraine et de nombreux autres partenaires locaux qui soutiennent tous les deux ans l’événement. Ces aides permettent l’accès libre au FISO et la gratuité pour la quasi-totalité du programme des manifestations culturelles. Des appels d’offre provenant de différents ministères pour des projets de recherche et des commandes d’étude viennent alimenter l’engagement du festival en tant que source de savoir. Toujours afin de diffuser ses travaux au-delà des murs académiques, le FISO s’est rapproché de l’association Euro-Festilive, qui organise depuis 2005, le festival « Là-haut sur la colline ». Ce festival propose des thèmes en lien avec l’écologie, la culture, la jeunesse, la société dans toute sa complexité sociale et économique, l’intergénérationnel et la solidarité, le tout dans un environnement européen. Située initialement sur la Colline de Sion, en Meurthe-et-Moselle, l’évènement s’installera au parc du château d’Epinal en septembre 2022. Les collaborations du FISO et d’Euro-Festilive pourraient conduire à terme à fusionner les deux organisations. Cette fusion, qui reste hypothétique, ferait de la Lorraine un centre encore plus imposant de rencontres entre des intervenants-experts, des célébrités et le grand public international au travers des sciences et des arts.
A noter enfin que si FISO est organisé tous les deux ans, excepté en 2021 car décalé en 2022 en raison de la situation sanitaire, de nombreux colloques beaucoup moins médiatisés se déroulent néanmoins tout au long de l’année partout en Lorraine pour aborder les défis sociétaux de notre époque.