L’inoubliable courant artistique de l’Art Nouveau marque encore de nos jours l’architecture de bon nombre de villes à travers le monde. Il représente, au-delà d’un succès international à son apogée, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, tout ce qu’a de plus oriental, naturaliste et humaniste l’art lorrain.
Il s’inscrit dans le contexte de la rivalité franco-prussienne. La Guerre de 1870-1871 se conclue d’ailleurs sur une défaite française et sur l’annexion de ce qui donnera le Reichsland d’Alsace-Lorraine au profit du tout nouvel Empire allemand fraîchement constitué. Ce déséquilibre politique et social amènera de nombreux « optants », issus des anciennes régions françaises annexées, à s’établir à Nancy, nouvel « avant-poste » de l’Est de la France avec la frontière allemande. Ces afflux migratoires vont faire plus que doubler la population nancéienne, qui va passer de 50 000 à 120 000 habitants entre 1870 et 1914. Parmi ces arrivées, on retrouve des industriels, des investisseurs et des artistes qui permettront d’importants transferts de capitaux, de savoir-faire et de main d’œuvre, allant jusqu’à faire de la (nouvelle) Meurthe-et-Moselle « le département le plus riche de France » grâce à l’essor sidérurgique et à une industrie florissante.
A Nancy, quelques natifs et homologues « optants », vont former un nid d’artistes polyvalents, tous dotés d’une créativité et d’une originalité hors-normes. Ces talents, pris dans la mouvance sociale et culturelle de leur temps, vont former sous la présidence d’Emile Gallé, l’« Alliance provinciale des industries d’art », mieux connue sous le nom d’Ecole de Nancy. Cette alliance rassemble alors des acolytes et associés amoureux du courant naturaliste ambient, qui se traduit notamment par des conceptions d’inspiration florale et végétale. Cette génération de génies de l’art, à l’image de Majorelle, Gallé, Prouvé, Weissenburger, Grüber, Daum ou encore André pour ne citer qu’eux, ont tous émerveillé la culture artistique de l’époque. Leur devise, émise par Gallé, était « n’imitez jamais, innovez toujours ». Ils tiraient leur inspiration de la nature et l’exprimaient au travers de créations qui prirent diverses formes : mobilier, sculpture, architecture, reliure, verrerie, céramique, ferronnerie, vitrail, etc. Ces représentations de végétaux entrelacés, de conceptions florales et d’arabesques ou encore d’insectes et d’animaux mythologiques découlent de leur mode de pensée commun institué sous l’Ecole de Nancy. Comme le disait si bien Majorelle « ma racine est au fond des bois ».
Ce caractère oriental et naturalisant du mouvement tient son origine d’une sorte de japonisme artistique. Cette veine esthétique alimente encore de nos jours une certaine attractivité touristique pour le public japonais. Dans les années 1880, avec l’émergence du courant de l’Art Nouveau, d’autres pays, principalement européens, formèrent un réseau de savoir-faire. Par ses techniques de création, l’Ecole de Nancy voulait être considérée comme une industrie d’art. En effet, ses artistes et industriels réclamaient « l’art dans tout, l’art pour tous ». Ils voulaient offrir une gamme artisanale luxueuse avec des pièces uniques ou limitées, ainsi qu’une production plus industrielle, accessible au plus grand nombre, grâce à des matériaux plus simples et moins onéreux.
Ce côté humaniste, puisé dans l’univers végétal et floral lorrain, comme le chardon, symbole de la région et grande source d’inspiration de l’Ecole de Nancy, succéda au style national de Napoléon III à la fin du Second Empire. Le règne de l’Empereur de France (1852-1871) fut d’ailleurs affilié au style haussmannien, d’influence plus historique et traditionnelle. De nombreux mécènes comme Eugène Corbin, fondateur du magazine Art et Industrie, ont financé et contribué au développement de l’Art Nouveau nancéien. De façon post-mortem, son ancienne propriété a été cédée à la ville en 1955 pour en faire le futur Musée de l’Ecole de Nancy. Aujourd’hui, nombreuses sont les infrastructures héritées des artistes du mouvement. Certaines ont été réhabilitées en banques, commerces ou institutions étatiques. Pour en quelques-unes, on retiendra notamment la brasserie Art Nouveau Excelsior, le grand magasin Vaxelaire, la Chambre de Commerce, la BNP située Rue Saint-Jean, la graineterie Génin ou encore la verrière Gruber au Crédit Lyonnais. D’autres ont conservé leur fonction d’origine tels que le Musée de l’Ecole de Nancy, le Parc de Saurupt, les villas de la Rue Félix Faure, la Villa Majorelle, ainsi que l’hôtel particulier Bergeret. On constate donc que l’Art Nouveau embellit toujours le milieu urbain de Nancy. Au début du XXème siècle, le nombre de bâtiments Art Nouveau y atteint son effectif maximal avec 250 habitations sur un total de 3 500, soit 7 % du parc urbain.
On distingue quatre grands quartiers Art Nouveau à Nancy. Le quartier des affaires, qui va de la gare au point central, le Parc de Saurupt au Sud de la ville, les abords du centre thermal et un espace qui va de la gare à la Villa Majorelle. Néanmoins, l’ensemble de la cité ducale et de ses alentours regorge d’édifices un peu éparpillés. Daum y produit encore avec sa manufacture. Le Musée des Beaux-arts, situé Place Stanislas, présente d’ailleurs en son sous-sol une importante collection de vases et de cristal Daum. Reste à savoir si le courant artistique de l’Ecole de Nancy continuera de rayonner culturellement. L’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Design de Nancy a été créée en 1702 sous le règne du Duc de Lorraine Léopold Ier. Cette Ecole acquit une influence internationale grâce à l’« Alliance provinciale des industries d’art » dans les années 1920 et 1930. C’est Victor Prouvé, figure de proue du mouvement d’Art Nouveau nancéien, qui dirigea l’établissement de 1919 à 1940. Pour rester dans la même lignée familiale, son fils Jean Prouvé est décrit par le journal Le Républicain Lorrain comme un « visionnaire humaniste », aussi polyvalent que ses « aïeux » de l’Ecole de Nancy, puisqu’il était architecte, ingénieur et designer à la fois. Cet avant-gardiste fut illuminé par l’humanisme du mouvement naturaliste nancéien. Baignant dans cette éducation, il fera preuve de beaucoup de bonté tout au long de sa vie. Il cherchait à créer pour tout le monde et visait le bonheur de tous avec une certaine bienveillance envers ses salariés qu’il considérait comme ses compagnons. Selon Jean Prouvé, « l’homme est sur Terre pour créer ». Par ces mots, celui-ci mit en évidence son attachement pour le monde ouvrier et son souhait de vouloir unifier dans le travail, industriels, artistes et artisans sous un même objectif, à savoir humaniser le secteur industriel et de l’architecture. Il est encore aujourd’hui considéré comme un précurseur par sa simplicité.
La Manufacture Daum a récemment présenté un vase baptisé Origine, fruit de sa collaboration avec le chanteur Gims. Celui-ci sera produit en seulement huit exemplaires qui seront commercialisés à partir de mi-avril 2021. D’une valeur de 20 000 euros l’unité, ce vase a été confectionné avec soin par la cristallerie lorraine qui a su allier son style authentique avec une touche d’originalité pour figurer les racines africaines de l’artiste.
Il faut également savoir que l’un des peintes fondateurs de l’Ecole de Nancy, Louis Guingot, voulait changer l’uniforme militaire français à tunique bleue et képi rouge visible à des centaines de mètres, afin de rendre les fantassins beaucoup plus discrets. Il est ainsi à l’origine du premier prototype de tenue de camouflage. Selon L’Est Républicain, Louis Guingot aurait expérimenté cette tenue dans le camp retranché de Toul avec un franc succès. Mais le service des armées ne retiendra pas son invention. L’avenir en sera tout autre, puisque l’habillement camouflé est devenu usuel, jusqu’à être aujourd’hui un incontournable dans les garde-robes.
Finalement, au-delà de l’importance que connut l’Art Nouveau en Lorraine dans sa période phare, c’est-à-dire de la fin du XIXème au début du XXème siècle, celui-ci cultive encore de nos jours un précieux héritage architectural. Nous pouvons l’admirer lorsque nous sillonnons les rues de Nancy, visitons le Musée des Beaux-arts ou celui de l’Ecole de Nancy, ou encore lorsque nous découvrons les œuvres de jeunes talents sortant des écoles de design et d’art de la ville. Nul ne saura jamais ce qu’il serait advenu de la culture artistique de Nancy s’il n’y avait pas eu le Traité de Francfort en 1871. Aurions-nous connu les époustouflantes peintures, gravures et sculptures naturalistes d’Emile Friand ou bien les travaux de la grande lignée d’artistes de la famille Majorelle, rayonnant avec exotisme jusqu’au Maroc avec le Jardin Majorelle devenu Musée d’Yves Saint-Laurent de Marrakech ? Par son âme humanisante, primordiale au maintien de notre société, l’Art Nouveau n’a pas fini d’inspirer les créateurs et les penseurs de ce monde.