Verdun. Le 21 février 1916, au soir. La journée a été épouvantable. Un orage de feu et d’acier. Un déluge incessant d’obus, de bombes et de mitraille. Le Trommelfeuer, comme disent les Allemands. Pétarade d’obus qui ressemble à un roulement de tambour qui n’en finit plus …
Tout a commencé dans la nuit, bien avant l’aube. A quatre heures du matin, un obus s’est écrasé dans la cour du Palais épiscopal. Tir de réglage. Prélude sordide qui devait annoncer l’une des pires danses macabres de l’histoire. A 7h15, c’est un obus de 420 mm qui s’écrase sur le front, en rive droite de la Meuse. Puis un deuxième. Les détonations se suivent et gagnent en intensité. La terre est retournée. Labourée à grands coups d’explosions. Les Allemands viennent de lancer l’opération Gericht (mot qui signifie « jugement » ou « verdict ») et entendent s’emparer de Verdun, cette hernie mal défendue qui s’avance sur le front de l’Ouest et que le Général Erich von Falkenhayn entend réduire facilement.
Mais nos Poilus, dans leurs misérables tranchées, s’accrochent tant bien que mal. Eux qui ont d’abord cru à un « marmitage » de plus se sont vite rendu compte qu’ils étaient là face à un déferlement de violence exceptionnel. Le bombardement ralentit par moments, puis finit par reprendre ! C’est interminable. En deux jours, plus de deux millions d’obus sont sauvagement projetés sur quelques kilomètres de front, au Nord et à l’Est de Verdun ! Soit un obus toutes les trois secondes. On prétend que le vacarme est entendu jusque dans les Vosges ! Un véritable cauchemar. Un enfer, qui va pourtant permettre à 60 000 soldats allemands d’enfoncer le front sur quelques kilomètres. L’état-major allemand exulte. Le plan paraît fonctionner à merveille. Quel soldat aura bien pu survivre sous un tel déluge de feu ? La porte est désormais enfoncée. Chacun est convaincu que bientôt, les troupes du Kaiser défileront au pied des tours de la cathédrale de Verdun.
Mais voilà. La réalité finit souvent par déjouer les scénarii les mieux rodés. Contre toute attente, une poignée de soldats français remue encore, au milieu d’un paysage lunaire, effroyable de tristesse et de désolation. Ils résistent, en attendant les renforts.
Au même moment, à Paris, le Général Philippe Pétain, qui venait de passer la journée en galante compagnie, est mis au courant qu’une attaque d’une ampleur inégalée est en train de se jouer à Verdun. L’affaire est sérieuse. Le général a tout juste le temps de reboutonner sa vareuse et le voilà qui part pour le front. Il installe son QG à Souilly, un petit village situé à une quinzaine de kilomètres au Sud de Verdun. C’est de là qu’il va organiser la suite des opérations. La résistance, en somme, l’idée, impérative et nécessaire selon laquelle ici, à Verdun, on ne passe pas !
Mais pour résister face aux assauts allemands, il faut des hommes, des munitions et du ravitaillement. En stratège avisé, Pétain instaure la relève systématique des soldats. Tous les cinq jours environ, les troupes qui viennent de combattre sont remplacées par de nouveaux contingents, censés être moins éprouvés. Cette mesure, qualifiée de « tourniquet », aura pour conséquence de faire passer, à Verdun, la quasi-totalité des régiments de l’armée française. Dès l’été 1916 en effet, près d’un million cinq-cents mille Poilus ont été plongés dans l’enfer de Verdun.
Sur le plan logistique, les choses sont un peu plus compliquées. Une seule route, à travers l’Argonne, permet d’acheminer les vivres et les munitions. Mais elle est étroite et en mauvais état. Pétain choisit pourtant d’en faire la colonne vertébrale de son dispositif défensif, le trait d’union entre le champ de bataille et l’arrière-front. Il ordonne l’élargissement de la route. Des camions, par centaines, vont dès lors se relayer entre Bar-le-Duc et Verdun, afin d’approvisionner les soldats. C’est une véritable noria qui se met ainsi en place. Un camion toutes les quinze secondes. Et ce, de jour comme de nuit.
Cette route, véritable fer de lance de la stratégie mise en place par Pétain, fait rapidement l’objet d’une sorte de mythification. C’est l’écrivain Maurice Barrès qui, en avril 1916, baptise la route du nom de « Voie Sacrée ». La référence est double : elle rappelle, d’une part, l’artère du forum romain le long de laquelle les généraux victorieux organisaient leurs triomphes et, d’autre part, elle renvoie à l’effort suprême, presque mystique, que représente la défense de la patrie et le sacrifice surhumain que chacun doit être prêt à consentir pour le maintien de la liberté et la reconquête des provinces perdues d’Alsace et de Lorraine.
C’est donc en grande partie grâce à cette Voie Sacrée couplée, bien-sûr, à la farouche détermination des Poilus à défendre, coûte que coûte et dans des conditions dantesques le précieux sol français que la France va pouvoir, au terme de 300 jours d’une bataille épouvantable, anéantir à Verdun les plans de l’état-major allemand. C’est bien la Voie Sacrée, et plus encore la noria de camions qu’elle a accueillie, qui a permis à la France de tenir et de résister. Aussi, rien d’étonnant à ce qu’après la Grande Guerre, la Voie Sacrée ait fait l’objet d’une sorte de personnification. Inaugurée le 21 août 1922 par le président, d’origine lorraine, Raymond Poincaré, la Voie Sacrée est célèbre pour être ponctuée de bornes kilométriques monumentales, toutes surmontées du fameux casque Adrian. Lequel casque, d’ailleurs, a été mis au point par un autre lorrain, Louis-Auguste Adrian, ingénieur militaire né à Metz en 1859.
Un siècle après l’affrontement, la Voie Sacrée continue à susciter respect et curiosité. Et pourtant, elle a fait l’objet d’un déclassement en 2006 … Qu’importe ! La Voie sacrée reste une route à remonter le temps. Un chemin qui s’achève sur un champ de bataille aux noms évocateurs : Douaumont, Fleury, Côte au Poivre, Mort-Homme … Champs de croix blanches … Et tranchées, que la nature peine encore à refermer. Espace à jamais meurtri, où gisent des cadavres sans nom ni sépulture et où résonne, plus que n’importe où ailleurs, ce cri lugubre et déchirant qui nous rappelle combien la guerre est terriblement vaine. Qui nous appelle à la paix, tout simplement !
Merci, merci beaucoup!