Il était une fois, dans un petit village du Toulois, un vigneron très pauvre et qui ne possédait, pour tout bien, que quelques arpents de vigne accrochés à une côte balayée par les vents. Ce pauvre paysan travaillait sans cesse à sa vigne. Du matin au soir, on le voyait bêcher, tailler, chaoutrer ou encore relever les échalas. Il aimait sa petite parcelle avec un amour paternel. Et celle-ci le lui rendait bien, en lui prodiguant un vin fruité et délicat.
Or, il arriva un jour que la récolte s’annonça exceptionnelle. L’été avait laissé mûrir, dans tout le pays, des grappes abondantes et gorgées de sucre. Une telle providence aurait bien sûr dû réjouir notre vigneron, mais voilà qu’il se mit à pleurer, recroquevillé sur le petit banc de pierre qui se trouvait en façade de sa pauvre masure. Il se lamentait ainsi quand un homme de belle prestance s’arrêta devant lui et le questionna sur la raison de ses larmes.
– C’est que ma vigne ploie sous le raisin, dit le vigneron.
– Mais cela devrait vous réjouir, répondit l’étranger
– Certes, mais je suis seul à la vendanger. Et jamais je ne parviendrai à tout récolter. Le gâchis qui s’annonce me fend le cœur.
– Si vous m’y autorisez, je vous prêterai main forte, reprit l’étonnant voyageur. A nous deux, nous arriverons bien à tout vendanger !
Le pauvre vigneron ne se le fit pas dire deux fois. Avec l’aide de ce chemineau, il récolta, en une petite semaine, la totalité de son raisin. Et quand la vendange fut en cuve, les deux hommes allèrent s’asseoir sur le petit banc, afin de partager un repas frugal arrosé d’un peu de vin de Toul. Les hommes devisaient ainsi, heureux du travail qui venait d’être accompli quand, soudain, une petite linotte vint à se poser sur le rebord de la cruche qui contenait le précieux vin.
– Et moi, dit la linotte, n’ai-je pas le droit de prendre part à vos agapes ? C’est pourtant moi qui débarrasse la vigne de tous les pucerons et autres parasites.
– Bois un peu de ce vin, répondit l’étranger.
L’oiseau se pencha dans la cruche, y but quelques gouttes de vin, mais manqua de se noyer dans le vin.
– Oh ! dit la linotte ! Me voici toute souillée !
– Ce n’est rien, répondit l’étranger. Dis-toi que pour être l’aide précieuse du vigneron, tu porteras désormais cette belle livrée rouge, que les autres oiseaux t’envieront.
La linotte se le tint pour dit et s’en alla, à tire-d’aile, toute guillerette. L’étranger aussi finit par prendre congé du pauvre vigneron. Un pauvre vigneron qui jamais ne sut qu’il venait de croiser, ici même, dans les vignes du Toulois, le grand, très grand Saint Vincent, celui qui protège les vignes et assiste toujours les viticulteurs.