A la frontière de la Lorraine et de l’Allemagne et à un jet de pierre du Grand-duché de Luxembourg, le Château de Malbrouck est un lieu connu de tous les Lorrains et, a fortiori, de tous les jeunes Mosellans, pour qui le site fait souvent l’objet d’une sortie culturelle ou d’un voyage de fin d’année. La bâtisse, qui coiffe fièrement la Colline de Meinsberg, située comme qui dirait en contre-haut du petit village de Manderen, est riche d’une histoire mouvementée, qu’il faut retracer, en quelque sorte, par à-coups. Par petites touches successives.
L’histoire du château commence au début du XVème siècle. La Lorraine, à cette époque, comme à presque toutes les époques d’ailleurs, connaît des troubles et des guerres intestines. Pour s’en prémunir, le seigneur local Arnold VI de Sierck, un descendant d’une des branches cadettes de la Maison ducale de Lorraine, choisit de faire édifier, sur une colline située à deux lieues à peine à l’Est de sa forteresse de Sierck, un nouveau château censé pouvoir soutenir un siège moderne. Le chantier débute en 1419. Il durera quinze ans. De plan quadrangulaire et flanqué de larges tours elles-mêmes aménagées de meurtrières et de bouches-à-feu, le château est à la pointe de l’ingénierie militaire de l’époque. Ultime bastion au Sud de l’Archevêché de Trèves, il doit défendre celui-ci contre les velléités des Ducs de Lorraine et de Luxembourg. Mais Arnold VI, hélas, finit par mourir sans descendance. Le château, dès lors, passe de main en main, de la fin du XVème siècle au début du XVIIème siècle.
Le 3 juin 1705, en pleine guerre de succession d’Espagne, le château est investi par les troupes de John Churchill de Marlborough, un duc anglais qui n’est autre qu’un lointain ancêtre du premier ministre britannique Winston Churchill ! Mais John n’a ni les nerfs ni le sens tactique de Winston. Maître d’une armée de coalition qui regroupe 100 000 soldats anglais, hollandais, allemands et espagnols, John Churchill de Marlborough entend alors envahir la France depuis la Vallée de la Moselle. Mais c’est sans compter sur la farouche détermination du Maréchal de Villars, fidèle homme de main de Louis XIV et qui, avec ses 50 000 hommes, est prêt à tout pour défendre la frontière. Le combat pourrait avoir lieu. Mais Marlborough attend encore les renforts promis par le Prince de Bade. Il tente malgré tout d’obliger le Maréchal de Villars à sortir de ses positions. En vain. Dans le clan des coalisés, l’attente commence à se faire longue. Les vivres viennent à manquer et, partant, les désertions se font de plus en plus nombreuses. Si nombreuses même que John Churchill de Marlborough finit par se rendre à l’évidence : il n’est plus en mesure d’opposer suffisamment d’hommes au Maréchal de Villars pour espérer gagner la partie. Du coup, le 17 juin, profitant d’une nuit pleine de brouillard, le voilà qui part, le Duc de Marlborough. Il abandonne le château. Il laisse tout ! C’est la débandade !
Alors forcément, côté français, on ne se gêne pas pour le singer. On invente une chanson, dans laquelle on transforme le trop imprononçable Marlborough en Malbrouck. Et voilà comment, l’air populaire « Malbrouck s’en va t’en guerre » est né. Une chanson mignonne, qui parle d’un duc qui ne revient pas de guerre. Ou du moins, pas vivant. Il paraît que la mélodie était particulièrement prisée du futur Louis XV qui, pendant un temps, ne pouvait pas s’endormir sans que sa femme de chambre ne la lui chante. Le rythme, pourtant, donne moins envie de s’endormir que de charger, baïonnette au canon et tricorne sur le front ! Mais bon …
Vendu comme bien national pendant la révolution française, le château va servir, un temps, de carrière de pierre, avant d’être finalement abandonné. Le lierre commence à recouvrir les murs. Les tours s’effritent les unes après les autres. La forteresse n’est plus que l’ombre d’elle-même. Jusqu’en 1975, date à laquelle le Conseil Général de la Moselle la rachète à la famille Weiter. L’idée est alors de réhabiliter le site pour en faire un lieu de vie et d’exposition, idéalement placé au cœur du Pays des Trois Frontières. Le chantier de reconstruction s’étend de 1991 à 1998. C’est alors l’un des plus importants de France. Pour un coût total de quinze millions d’euros, il aura permis la sauvegarde et la mise en valeur d’un site incontournable dans l’histoire lorraine et européenne.
Véritable musée vivant, il accueille chaque année des expositions originales, sur des thèmes à la fois riches et variés : les dragons, Tintin, les fastes de l’empire napoléonien, etc.
A n’en pas douter, ce n’est plus à Malbrouck d’aller en guerre. Mais bien à nous, curieux et visiteurs, d’aller à Malbrouck !