C’est la dernière mine de charbon à avoir été exploitée en France. Un site emblématique, au cœur du Warndt, cette vaste dépression géologique qui s’étire, autour de Saint-Avold et de Creutzwald avant de se poursuivre dans le Land allemand de Sarre, tout proche. Là, dans cette Moselle-Est où les gens vous sortent des « Oyé » à chaque début de phrase, on se sent, en quelque sorte, au cœur du pays noir. C’est le pays du charbon. Pays de mines et d’usines. Peuplé d’anciens mineurs qui continuent à être appelés « Gueules Noires », pour les distinguer des « Gueules Jaunes » qui, elles, désignent les mineurs de fer.
L’exploitation du charbon en Lorraine est une véritable épopée qui commence en 1810, lorsque deux ingénieurs du Corps impérial des mines dressent le premier atlas du bassin houiller lorrain. Ce dernier, d’une superficie d’un peu moins de 50 000 hectares, regroupera jusqu’à 70 communes, toutes situées entre Stiring-Wendel, Villing et Faulquemont. Dans ce « triangle noir » on foncera, entre 1818 et 1987, pas moins de 58 puits destinés à exploiter la houille, combustible indispensable à la révolution industrielle qui est alors en train de se préparer.
En 1815, la rectification de la frontière franco-allemande inhérente à la perte de la Sarre accélère les prospections du côté français. Trois ans plus tard, le premier puits de charbon est foncé à Schoeneck, près de Forbach. La société d’exploitation, dirigée par MM. Gargan, Rupied et Thieret, connaît, dans les premières années, quelques difficultés. Mais les profits qu’elle génère, couplés à la demande croissance en charbon, suffisent à décider d’autres entrepreneurs à tenter l’aventure. Entre 1852 et 1857, 32 sondages sont effectués, qui aboutissent à la création d’une dizaine de concessions, dont celle du Hochwald, qui couvrira une surface de plus de 2 400 hectares. Peu à peu, les prospections se déplacent vers l’Ouest. A la Houve, près de Creutzwald, le premier puits, appelé Puits Marie, est foncé en 1895. Il est complété, cinq ans plus tard, par le Puits Jules. Mais la découverte d’une nouvelle veine de charbon en 1907 suscite l’abandon progressif de ces deux puits au profit d’un nouveau siège qui lui, comptera jusqu’à cinq puits, tantôt destinés à l’exploitation de la houille (Puits Barrois) ou à l’aérage des galeries (Puits de Vernejoul et Puits 5).
Véritable or noir de ce petit coin de Lorraine, le charbon fait l’objet d’une sorte d’Eldorado, vers lequel convergent des milliers d’ouvriers. Des Italiens, des Polonais, puis des Maghrébins se pressent autour des mines pour recevoir un salaire qu’on leur a promis comme étant plus que confortable. L’afflux de travailleurs bouleverse vite le paysage. Partout, des cités ouvrières voient le jour, auxquelles on donne des noms plus ou moins exotiques à l’image de la Cité de Sainte-fontaine à Freyming-Merlebach ou de la Cité Maroc à Creutzwald. Les patrons, dans une politique qu’ils qualifient de « paternaliste », font construire chapelles, hôpitaux et économats, si bien que le paysage se transforme à toute vitesse.
Si c’est bien la perspective d’une vie meilleure qui a attiré les ouvriers dans ce petit coin de Lorraine, il faut bien garder à l’esprit que le travail du mineur, et a fortiori celui du mineur de charbon, est particulièrement pénible et dangereux. Dans le noir, seulement éclairé par sa fameuse lampe, celui-ci respire la poussière de charbon, au risque de développer la silicose, terrible maladie qui encombre les voies respiratoires. Pire, il craint, à tout moment, le coup de grisou, l’explosion imprévisible de ce gaz hautement inflammable et qui reste emprisonné dans les couches de houille.
Le 25 février 1985 justement, au Puits Simon, à Forbach, une énorme détonation alerte l’ensemble des habitants. Coup de grisou. Bilan : vingt-deux mineurs décédés et plus d’une centaine de blessés. La société des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) sera tenue responsable de l’accident, qui sera d’ailleurs la dernière catastrophe minière de France.
Car déjà, l’heure est au déclin. Alors qu’elles employaient 46 748 mineurs en 1957, et qu’elles iront jusqu’à extraire 15,6 millions de tonnes de charbon en 1964 (chiffre record) les Houillères de Lorraine vont devoir fermer les unes après les autres. La faute à la concurrence étrangère, qui produit un charbon à moindre coût, grâce à une main d’œuvre bon marché. Et puis le charbon, à la fin du XXème siècle, ne fait plus franchement l’unanimité. A l’ère du développement durable et de la transition énergétique, on préfère se tourner vers des énergies propres, et surtout, renouvelables. Conséquence de tout cela : la dernière mine de charbon, sur le site de La Houve, arrête sa production le 23 avril 2004. C’est la fin de l’épopée du charbon en France. Sur place cependant, à la Houve et dans tout le bassin minier, l’émotion est grande. Une page se tourne. Les chevalements sont abattus.
Quelques sites sont transformés en musée, comme La Mine, musée implanté sur le Carreau Wendel, à Petite-Rosselle. Un spectacle, intitulé Les Enfants du Charbon est même créé et mis en scène par Sylvie Dervaux, pour rendre hommage aux gueules noires.
Le charbon lorrain aura vécu. Noir, c’était noir. Et il n’y avait plus d’espoir.