Haut lieu de la Lorraine, la petite ville de Saint-Nicolas-de-Port mériterait un livre à part entière, pour en retracer l’histoire et pour décrire les richesses de son patrimoine. Il faut dire qu’avec sa basilique de style gothique flamboyant et ses musées de la bière et du cinéma, la bourgade, située à un jet de pierre au Sud de Nancy, en rive gauche de la Meurthe, a de quoi attirer les touristes.
Mais ces touristes savent-ils toujours qu’ici bat le cœur de la Lorraine ? Que la ville, dans le passé, était un carrefour commercial et un lieu de pèlerinage important ? Et que la basilique qui hérisse, depuis 500 ans maintenant, ses pinacles et ses gargouilles dans le ciel de la province a été édifiée au lendemain de la victoire que les Lorrains ont remporté contre les Bourguignons, en 1477 ?
L’histoire est complexe, mais elle peut être facilement résumée. A la fin du XVème siècle, en vertu de mariages et d’héritages, les Ducs de Bourgogne se sont retrouvés à la tête d’un Etat puissant, qui s’étendait sur l’actuelle Bourgogne-Franche-Comté d’une part, et grosso modo, sur l’actuel Benelux d’autre part. Entre ces deux morceaux de choix se trouvait la Lorraine, Etat indépendant dirigé par le tout jeune Duc René II. Autant dire que pour le puissant Duc bourguignon Charles le Téméraire, ce petit Duché de Lorraine devait tôt ou tard tomber dans son escarcelle. Après deux années de guerres intenses, faites de fulgurants succès et de quelques revers, Charles le Téméraire parvient quasiment à s’emparer de la Lorraine. A l’hiver 1476, il assiège Nancy, dont il avait déjà fait, momentanément, la capitale d’un Etat qui se voulait être l’héritier de l’ancienne Lotharingie. Mais René II n’a pas dit son dernier mot. En Alsace, en Suisse, le voilà qui recrute des mercenaires rompus à l’art de la guerre. A marches forcées, l’armée ducale parvient, au soir du 4 janvier 1477, dans la petite ville de Saint-Nicolas-de-Port. Nous sommes à la veille d’une bataille décisive. René II en a bien conscience et il se tourne alors vers Saint Nicolas, protecteur du sanctuaire, en promettant de faire ériger, si la victoire venait à lui échoir, une basilique somptueuse en lieu et place de la petite église qui servait alors aux pèlerinages.
Le lendemain, le choc est terrible. Malgré la neige et le froid, les Suisses parviennent à contourner l’armée bourguignonne par le Bois de Saurupt. Les Lorrains chargent sous les murs de Nancy. Une partie des Bourguignons fuit vers le Nord, où ils sont massacrés au pont de Bouxières. Dans l’après-midi, la mêlée devient confuse. Charles le Téméraire tente lui-même de prendre la fuite quand un chevalier lorrain du nom de Claude de Bauzemont lui assène, sans prendre le temps de l’identifier, un violent coup de lance.
Le soir venu, René II fait son entrée dans la bonne ville de Nancy. Mais il en est un qui manque à l’appel. Qu’est-il advenu en effet du Duc de Bourgogne ? Est-il mort, ou vivant ? On lance des recherches, qui finissent par retrouver le corps du Téméraire, dépouillé de ses vêtements par des brigands et à moitié dévoré par les loups, dans la glace, sur les rives de l’étang Saint-Jean. Selon les règles de la chevalerie, René II fera donner de grandioses funérailles à son ennemi et honorera sa promesse d’édifier, à Saint-Nicolas-de-Port, une basilique somptueuse.
Les travaux, confiés à l’architecte Simon Moycet, dureront de 1481 à 1545. Ils aboutiront à la construction d’un édifice remarquable, de style gothique flamboyant, où des joueurs de cornemuses côtoient, dans quelques écoinçons, des bouffons à marottes et où les vitraux annoncent déjà, par certains aspects, l’art et la manière de la Renaissance lorraine.
Mais le 5 novembre 1635, en pleine Guerre de Trente Ans, la cité de Saint-Nicolas-de-Port est saccagée et incendiée par les troupes de la reine Christine de Suède. La basilique a perdu sa charpente. Elle n’est plus qu’une coquille vide. Reconstruite, classée Monument Historique dès 1840, la basilique subit de nouveaux dégâts lors des bombardements du printemps 1940. Mais un miracle intervient lorsqu’en 1983, Camille Coué Friedman, une riche américaine originaire de Saint-Nicolas-de-Port décide d’allouer une forte somme d’argent pour la reconstruction de la basilique, après qu’elle venait d’échapper à un naufrage en priant Saint Nicolas, patron des marins en périls, des enfants sages et aussi et surtout, des Lorrains !
Car bien plus qu’un simple ex-voto érigé au lendemain de la victoire de Nancy, la basilique de Saint-Nicolas-de-Port est le véritable sanctuaire des Lorrains. C’est là, dans cet édifice cinq fois centenaire que repose une phalange de Saint Nicolas, précieuse relique que le moine Aubert de Varangéville aurait ramené de Bari, en Italie, à la fin du XIème siècle et qui continue de susciter, depuis plus de sept siècles, un important pèlerinage. Chaque année en effet, à l’occasion de la Saint-Nicolas le 6 décembre, de nombreux Lorrains, venus des quatre coins de la province, processionnent à la lueur des cierges, dans cette basilique érigée au lendemain de la victoire de Nancy. Et tandis que tous les enfants sages de Lorraine préparent leurs souliers pour recevoir quelques menus cadeaux, les fidèles pèlerins chantent en chœur, sous la voûte gothique :
Saint Nicolas, ton crédit d’âge en âge
A fait pleuvoir tes bienfaits souverains.
Viens, couvre encor’ de ton doux patronage
Tes vieux amis les enfants des Lorrains.