Etant située sur les communes d’Outremécourt et de Soulaucourt-sur-Mouzon, donc dans le département de la Haute-Marne, la forteresse de La Mothe n’est pas à proprement parler lorraine. Ou plutôt devrions-nous dire qu’elle n’est plus lorraine … Car à l’époque où elle s’est illustrée dans la grande histoire, cette citadelle, que l’on disait imprenable, dépendait bel et bien du Duché de Lorraine. Elle défendait même, depuis le Moyen-âge, les limites occidentales du pays, dans ce Bassigny où les frontières sont toujours restées un peu floues et où la France a mené, au cours du XVIIème siècle, une guerre cruelle et sans merci.
Car La Mothe, c’est avant tout le symbole de la résistance lorraine face à l’oppresseur. Erigée au sommet d’une colline abrupte, à quelques 190 mètres au-dessus de la Vallée du Mouzon, la forteresse, avec ses remparts, ses bastions et ses demi-lunes, finit par gêner les vues impérialistes du Royaume de France. Profitant du marasme suscité par la Guerre de Trente Ans, le Cardinal de Richelieu décide de faire le siège de la place-forte au printemps 1634. Le gouverneur lorrain de la citadelle, Antoine de Choiseul d’Isches, résiste vaillamment et tente plusieurs sorties, dont une assez cocasse puisque ses hommes ont eu l’idée de se travestir en jolies courtisanes, afin d’aller séduire les soldats français … pour mieux les massacrer ! L’épisode, repris par les pamphlétaires de l’époque, semble donner l’avantage aux Lorrains. Mais le 21 juin, Choiseul d’Isches est malheureusement tué par un éclat de bombe. Ses funérailles se font discrètement, afin de ne pas alerter l’ennemi sur ce qu’il pourrait prendre pour un début de victoire. Son lieutenant, Jean Sarrazin de Germainvillers, le remplace alors, mais il ne parvient pas à empêcher l’explosion du Bastion Saint-Nicolas et la création d’une brèche, par laquelle les Français parviennent à investir la forteresse. La capitulation, signée le 26 juillet, permet à Richelieu de s’emparer des archives ducales, lesquelles n’ont d’ailleurs jamais été restituées à la Lorraine. Plusieurs documents de ces archives serviront au cardinal à justifier l’annexion d’une partie de la Lorraine à la France. La forteresse est finalement évacuée avec armes et bagages, puis rapidement remise en état. En 1641, les traités internationaux accordent au Duc de Lorraine Charles IV, la rétrocession de La Mothe. Le premier siège n’aura donc servi à rien.
Mais Charles IV de Lorraine, trop souvent présenté comme belliqueux et piètre politique, reprend les hostilités contre la France dès l’année suivante ! La Mothe subit alors un nouveau siège, du 25 juillet au 31 août 1642. Ce deuxième siège se solde par un cuisant échec pour les troupes françaises, qui sont battues par l’armée lorraine devant la petite ville de Liffol-le-Grand. Les Lorrains exultent. Pour un court moment seulement.
Car le royaume des lys n’a pas dit son dernier mot ! Dès le mois de décembre 1642, les Français reprennent le siège de La Mothe. La mort de Richelieu, ni même celle de Louis XIII, survenue en mai 1643, n’arrête les assaillants. Le Cardinal de Mazarin ordonne la poursuite du siège. Il confie les opérations à Pierre Magalotti, un stratège passé maître dans l’art de réduire les forteresses. Les travaux de sape et de retranchements continuent donc sur les flancs de la colline … jusqu’au jour où Magalotti est abattu par un coup de mousquet tiré par le chanoine Lorrain Héraudel. Jour de gloire pour les Lorrains. Mais la joie, comme toujours, est de courte durée. Les Français veulent La Mothe. Et ils finiront par l’avoir.
Après 205 jours d’une résistance héroïque, les quelques 3 000 Lorrains qui s’étaient retranchés entre les remparts de La Mothe décident de se rendre au Cardinal de Mazarin. Contrairement à ce qui avait été convenu lors des préliminaires de paix, le ministre du tout jeune Louis XIV fera démanteler la forteresse, pierre après pierre. Si bien qu’aujourd’hui, La Mothe n’est plus qu’une colline perdue, au sommet de laquelle se dresse un bois étrange, hanté de fantômes et dans lequel subsistent quelques morceaux de remparts, vagues débris d’une citadelle qui aura pourtant résisté à l’oppresseur français.
Il nous est impossible d’achever cette notice sans rappeler qu’en 1790, au moment où la Convention délimitera les 83 départements censés remplacer les provinces aux contours biscornus, La Mothe sera attribuée à la Haute-Marne, afin d’éviter toute résurgence du sentiment national lorrain. Ultime camouflet jeté à la figure des Lorrains qui, malgré tout, n’ont jamais oublié qu’au sommet de cette colline perdue aux marges de leur ancien duché s’est jouée l’une des pages les plus glorieuses et les plus tragiques de leur histoire. N’est-ce pas pour entretenir la mémoire de leurs ancêtres que ces braves Lorrains ont érigé, en 1897, un monument sobre et austère, à l’emplacement même où s’élevait, quelque 250 ans plus tôt, la jolie place de la citadelle ? Et n’est-ce pas encore pour perpétuer le souvenir de ces tragiques événements que les écrivains, depuis Du Boys de Riocour à Gilles Laporte, ont écrit et magnifié les trois sièges de La Mothe ?
Colline désertée, aux confins de la Lorraine et de la Champagne, La Mothe prouve surtout qu’il a existé, à une époque aussi troublée que fastueuse, un sentiment national lorrain. Un sentiment qui donnait du sens à la vieille devise ducale : qui s’y frotte, s’y pique !