Au cœur du Saulnois, la charmante petite ville de Vic-sur-Seille pourrait facilement être comparée à un bijou discret, miraculeusement posé de part et d’autre d’une rivière paisible et sinueuse, au milieu d’un vallon qui ressemble à un véritable écrin fait de champs dorés et de pâturages verdoyants.
Le promeneur qui arrive du côté de Vic, qu’il vienne de Nancy, de Metz ou de Sarrebourg, ne découvre d’ailleurs pas forcément la bourgade. S’il n’a pas le temps de s’arrêter, il file, se contentant de jeter, du haut de la route de contournement, un rapide regard sur le hameau, bien caché en contrebas de la côte. Un panneau, récemment installé par le Conseil Départemental de la Moselle, lui indique brièvement qu’ici est né le peintre Georges de La Tour. Il s’étonne, tente alors, dans son esprit, de se remémorer quelques tableaux de cet artiste un peu oublié, et se promet, dans le meilleur des cas, de s’arrêter à Vic … La prochaine fois.
Passent alors les jours et les nuits, les mois et parfois même les années, et puis un jour, on revient à Vic. On revient, et on s’arrête. On laisse la voiture sous des grands marronniers, à l’ombre d’une porte monumentale, ornée d’élégants mâchicoulis en accolade et qui marquait, au Moyen-âge, l’entrée du château des évêques de Metz. On flâne, on déambule dans les ruelles étroites et tortueuses de la cité. On découvre l’église Saint-Marien, ses sculptures Renaissance, ses blasons et ses saints, un peu naïfs. On s’étonne de trouver un Office de Tourisme, installé dans l’Hôtel de la Monnaie, une élégante bâtisse construite dans un style gothique tardif, et sur la façade duquel s’étirent des frises végétales dans lesquelles des chiens, des dragons et des chimères paraissent s’adonner à une interminable partie de cache-cache.
Et puis on arrive sur une autre place, devant le Musée Georges de La Tour. C’est un bâtiment récent. Il ne paye franchement pas de mine. Mais on y va, comme ça. A l’improviste. On découvre un peu de l’histoire du Saulnois, ce petit coin de Lorraine qui a fait fortune, autrefois, grâce au sel. On apprend aussi que c’est ici, dans l’église de laquelle on était un quart d’heure auparavant, que Georges de La Tour a été baptisé, le 14 mars 1593. C’était un fils de boulanger. Rien ne le prédestinait à devenir peintre. Et pourtant, à force de voyages et de patience opiniâtre, il finit par imiter et même par égaler ses contemporains, les grands maîtres flamands et italiens que sont alors Terbrugghen et Le Caravage. En 1619, deux ans après son mariage avec Diane Le Nerf, il s’installe à Lunéville et commence une brillante carrière artistique. Nobles et bourgeois lui passent de nombreuses commandes. Il peint les grands passages de la Bible et quelques scènes de genre. Il s’enrichit.
Mais en 1638, il quitte Lunéville, ravagé par les malheurs de la Guerre de Trente Ans. Après un probable passage par Nancy, Georges de La Tour échoue à Paris, où il reçoit le titre prestigieux de « peintre ordinaire du roi ». Installé au Louvre, il exécute alors plusieurs tableaux, dont un Saint Sébastien soigné par Sainte Irène, tableau émouvant qui finira dans les collections personnelles de Louis XIII. Peut-être gagné par le mal du pays, l’artiste rentre en Lorraine en 1641. Sa peinture, dès lors, se consacre presque exclusivement à ses scènes religieuses. C’est à cette époque certainement qu’il peint Les Larmes de Saint Pierre, Le Nouveau-Né et l’émouvant Saint-Joseph charpentier. Vraisemblablement atteint par une de ces épidémies qui ravageaient la Lorraine à cette époque, Georges de La Tour s’éteint le 30 janvier 1652, à Lunéville. Son œuvre tombe rapidement dans l’oubli. Au XIXème siècle, on attribue ses tableaux à Vélasquez, aux frères Le Nain ou à quelque sombre peintre de l’école Caravagiste.
Et puis … Et puis il y a le retour à la lumière. Après trois siècles d’ombre et de ténèbres, Georges de La Tour est redécouvert. On s’extasie alors devant ses Vielleurs, devant le Tricheur à l’as de carreau et devant La Femme à la puce. On admire, avec incrédulité, le talent et la virtuosité de ce maître incontesté du clair-obscur, de cet artiste dont la vie n’aura été qu’ombres profondes et lumières fugaces et qui était capable de peintre la nuit et le silence. Ou, pour mieux dire, capable de peindre le silence de nos nuits. Malraux écrivait « ce n’est pas l’obscurité que peint de La Tour : c’est la nuit ». La nuit profonde, dans laquelle l’artiste a placé, toujours, une bougie. Une flamme. Une chandelle. Juste pour figurer l’espoir de nos vies. Et pour mettre en lumière un peu du ridicule de nos vices. La flamme de la chandelle que cache cet enfant, ou celle qui brûle là, entre un crâne blafard et un mauvais miroir, c’est la flamme qu’on allume, tous, au plus profond de nous, quand on croit, à tort, qu’il n’y a plus d’espoir. C’est la lumière, souvent cachée, vers laquelle nos esprits tendent, depuis l’enfance. Le symbole de la connaissance. Le petit lumignon, qui nous évite d’avoir peur du noir. La flamme est un leitmotiv chez Georges de La Tour puisqu’on la retrouve, dupliquée, dans la Madeleine pénitente. Certainement le plus poétique, le plus philosophique, le plus symbolique de tous les tableaux de Georges de La Tour. C’est un jeu d’ombres. Et de rare lumière(s). Miroir, mon beau miroir … Qui donc est la plus belle ? Le reflet de la flamme, ou bien la flamme elle-même ? L’une est vraie. L’autre n’est qu’un reflet … Un peu comme l’image de cette femme, peut-être pas si repentie que cela. Madeleine au miroir. Qui nous force à réfléchir. Sur ce que nous sommes … Sur le temps qui passe… Sur le fait qu’en vérité, c’est le tableau, l’unique miroir !