A rebours du roman national français, Jean-François Thull, historien et auteur lorrain né à Metz, aujourd’hui responsable de la Cité Royale de Loches, livre dans son dernier ouvrage intitulé Charles IV de Lorraine (1604-1675) – Le duc insoumis le point de vue lorrain sur le parcours épique du souverain. Dédié à la mémoire des combattants lorrains de La Mothe, le manuscrit nous plonge dans l’histoire tourmentée de la Lorraine indépendante.
BLE Lorraine : Pourquoi avoir décidé d’écrire un ouvrage sur Charles IV de Lorraine ? En quoi votre ouvrage apporte-t-il un point de vue différent au regard de l’historiographie existante ?
Jean-François Thull : « L’année 2020 est celle du quatrième centenaire de la Bataille de la Montagne Blanche, qui s’est déroulée le 8 novembre 1620. Il s’agit de la première bataille majeure de la Guerre de Trente Ans, où Charles de Vaudémont, le futur Charles IV, connaît son baptême du feu. Le temps semblait donc venu de porter un nouveau regard sur ce souverain et chef de guerre qui incarne la Lorraine indépendante, avant que celle-ci ne soit mise à la raison par son belliqueux voisin, le Roi de France.
Il est assez significatif que tous les auteurs, à quelques exceptions près, qui ont évoqué le parcours tumultueux de ce singulier personnage, l’ont fait à charge, souvent en des termes identiques et ont ainsi bâti une véritable vulgate qui brasse autant de forgeries que de partis-pris. C’est toujours du même point de vue, celui du vainqueur, qu’est perçu ledit duc.
Le propos de cet ouvrage est précisément de s’affranchir de tout ce prêt-à-penser, afin d’aborder les différents moments clefs de l’itinéraire de Charles IV vus sous l’angle de leur logique propre et non d’un dessein unitaire gallo-centré contre lequel toute résistance est interprétée comme une forme de déraison coupable. »
BLE Lorraine : Méconnu et souvent honni, qui était véritablement Charles IV de Lorraine ? Pourquoi le qualifiez-vous de « duc insoumis » ?
JFT : « Charles IV est d’abord et surtout le paladin infortuné de l’indépendance lorraine dont le règne est percuté par l’onde de choc de la Guerre de Trente Ans qui touche les Duchés de Lorraine et de Bar à partir des année 1630 et apporte dans son sillage l’occupation étrangère, une violence de guerre débridée, ainsi qu’une crise démographique et économique sans précédent. A un siècle de distance, les effets cumulés de ce conflit aboutiront à la perte de souveraineté de la Lorraine ducale, qui sera annexée de jure par le Roi de France.
J’ai qualifié Charles IV d’« insoumis » car toute son action s’inscrit dans la volonté de contrecarrer la volonté de conquête des Rois de France, de Louis XIII puis de Louis XIV, auxquels il est confronté, et son refus de se soumettre à des traités qui sont autant de tentatives de le dépouiller de sa souveraineté et de rendre ses duchés ingouvernables. Duc à la légitimité contestée puis souverain en exil, Charles IV témoigne d’une extraordinaire combativité dans l’adversité. Son règne jalonne l’histoire tourmentée des relations franco-lorraines pendant tout le XVIIème siècle.
A la charnière des années 1620-1630, on observe la mise en place progressive par les historiographes du Roi de France d’un argumentaire orienté contre le Duc de Lorraine qui tourne principalement autour de l’illégitimité supposée de Charles IV, lequel est de surcroît dépeint sous les traits les plus sombres : parjure, vénal, débauché, etc. C’est cet argumentaire outrageusement partial, destiné à justifier la conquête des duchés par le Roi de France, qui sera ensuite recyclé jusqu’à l’époque contemporaine dans la vulgate historique mise en place par la IIIème République et dans laquelle la Lorraine est, « depuis la nuit des temps », prédestinée à devenir française. D’où la nécessité de dévaloriser et de stigmatiser ce duc rebelle qui ne cadre pas avec cette vision déterministe de l’histoire de la Lorraine. »
BLE Lorraine : Quel rôle Charles IV a-t-il joué face au Cardinal de Richelieu et au cours de la Guerre de Trente Ans ? Pourquoi s’est-il tant opposé à la France ?
JFT : « L’antagonisme entre Charles IV et Richelieu se cristallise autour de visions qui sont aux antipodes l’une de l’autre. Le premier défend l’Europe impériale et catholique, et donc prend fait et cause pour les Habsbourg, tandis que le second a une vision nationale et laïque (gallicane) de l’Europe, sous-tendue par la suprématie française et au service de laquelle il développe des alliances de revers avec les princes protestants en révolte contre l’Empire.
L’opposition de Charles IV vis-à-vis de la France découle du fait que le Duc de Lorraine a conscience qu’à travers le procès en illégitimité mené contre sa personne, il en va de l’intégrité de ses Etats face à la volonté de conquête du Roi Louis XIII aiguillonné par son principal ministre, Richelieu. C’est en ce sens qu’il dit combattre, afin d’empêcher la perte de ses Etats, de sa Maison, de tous ses biens, mais aussi de son honneur et de tout ce qui porte le nom de Lorraine. »
BLE Lorraine : L’histoire est écrite par le vainqueur. Mais en quoi le personnage de Charles IV et les évènements de la Guerre de Trente Ans en Lorraine peuvent-ils être aussi dérangeants pour la France ? Quel regard portez-vous sur cette période ?
JFT : « Le règne de Charles IV, et la popularité constante dont celui-ci bénéficie, y compris lorsqu’il est en exil, de la part de ses sujets, s’inscrit en faux contre l’idée de la fatalité d’une intégration de la Lorraine à la France. Cela signifie que cette « intégration » s’est faite non par les cœurs mais par la force des armes contre l’assentiment de la population marquée au fer rouge par la guerre française menée en Lorraine au cours des années 1630-1650.
J’ai le sentiment que cette période charnière pour l’histoire lorraine a aujourd’hui été largement frappée d’oubli et qu’il importe donc de réapprendre cette histoire particulière aux Lorrains du XXIème qui ont droit, eux aussi, à la continuité historique, et cela d’autant plus que la Lorraine, au sens administratif du terme, est aujourd’hui diluée dans une entité d’essence jacobine, le Grand Est, qui est un outrage à la géographie singulière et à la longue histoire du pays lorrain. »