Quand, à la Révolution, on a décidé de remplacer les vieilles provinces du royaume au découpage compliqué par les fameux départements, on a été quelque peu embêté avec le cas de la Meuse. Fallait-il en effet faire de Verdun la préfecture du tout nouveau département ? Ou devait-on lui préférer Bar-le-Duc ? On a fini par trancher : Verdun aurait l’évêque et Bar, le préfet.
C’était un moyen, assez commode au fond, d’éviter les jalousies et les querelles de clocher, tout en redonnant à la jolie ville de Bar-le-Duc un peu du lustre qu’elle avait jadis. Car Bar, on dit Bar-le-Duc pour la distinguer de Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine en Champagne, mais les Lorrains, qui n’ont qu’un seul « Bar », disent rarement « Bar-le-Duc ». Car Bar donc, c’est d’abord et avant tout la vieille capitale d’un duché éponyme. Un petit Etat autonome, né aux alentours de l’An Mil des luttes féodales du Moyen-âge et qui se retrouvera, à partir de 1301 et du Traité de Bruges, à cheval entre la France et l’Empire. En 1420, le mariage de René Ier d’Anjou, héritier du Duché de Bar avec Isabelle de Lorraine unit, pour encore trois siècles, les destinées des deux principautés. Même si, au XVIème siècle, les Ducs de Bar-Lorraine préfèrent séjourner à Nancy, Bar demeure une petite capitale qui, à la Renaissance, va accueillir, de temps en temps, la cour ducale, qui y favorise une vie intellectuelle et artistique foisonnante. D’élégants hôtels particuliers voient alors le jour, des fêtes et des tournois sont organisés. La ville se transforme, s’enrichit et s’embellit.
De ce passé, Bar-le-Duc conserve d’importants vestiges, qu’il faut prendre le temps de débusquer, à pied, au détour d’une pente ou d’une ruelle tortueuse. Le mieux est encore de commencer la flânerie dans la ville basse, sur les rives de l’Ornain, là où s’étaient établis, depuis le Moyen-âge, les artisans tanneurs et les drapiers. Il faut emprunter le Pont Notre-Dame, qui date de 1311 et dont la chapelle oratoire, suspendue au-dessus des eaux grises de la rivière, reste regardée comme un des emblèmes de la cité.
On peut ensuite gagner la ville haute en passant devant les bâtiments du collège que le pieux Gilles de Trèves, doyen de la collégiale Saint-Maxe, a fait ériger en 1573. Ce collège, construit dans un style Renaissance à la fois sobre et élégant, abritait à l’origine une institution destinée à éduquer les enfants de la ville et accessoirement à endiguer les thèses du protestantisme. Il a servi de lieu d’éducation jusqu’en 2002. Une récente campagne de restauration vient de lui redonner son lustre initial.
On peut aussi, pour aller jusqu’au château, monter par les 80 degrés. Il ne s’agit pas de la température bien-sûr, mais d’un escalier de 80 marches, on disait « degrés » autrefois, qu’un certain chevalier de Saint-Georges a fait construire, au début du XVIIIème siècle, pour relier la ville haute à la ville basse. Ou inversement. Car cette ville haute, véritable acropole digne des cités antiques, abrite des trésors insoupçonnés. A commencer par la Tour de l’horloge, rare vestige des remparts médiévaux et qui est devenu, au même titre que le Pont Notre-Dame, un emblème de la ville.
Il y a le château aussi. Ancienne forteresse des Comtes, puis des Ducs de Bar, sans cesse modifiée et agrandie et qui abrite, depuis 1970, un intéressant Musée d’art et d’histoire du Pays Barrois. Là, entre un gisant médiéval et un portrait du Duc Stanislas, on apprend que la ville a donné naissance à un certain Jean Errard, théoricien de la fortification bastionnée, qui inspirera l’architecture de Vauban, mais aussi à Pierre Michaux, inventeur du vélocipède à pédale, la fameuse Michaudine, qui allait évidemment connaître un franc succès.
Mais c’est Place Saint-Pierre qu’il faut finir la visite. Pour admirer les maisons Renaissance, surtout quand le soleil couchant paraît les patiner d’une lumière dorée. Regarder les belles demeures, avant d’entrer, religieusement, dans l’église Saint-Etienne. Là encore, il faut flâner, lever les yeux, regarder les vitraux, les clés de voûtes. Avant de se laisser saisir, effrayer presque, par ce cadavre qui vous toise, là, dans le transept.
Ce cadavre, décharné, aux os rouillés et à la chair décomposée, débout et brandissant dans sa main gauche, son propre cœur, ce Transi, c’est l’œuvre de Ligier Richier, un sculpteur natif de Saint-Mihiel et dont le talent incomparable lui a valu d’être surnommé le « Michel-Ange lorrain ». Sculpté vers 1545-1547, ce cadavre orne le monument funéraire de René de Chalon, Prince d’Orange, favori de Charles Quint et gendre du Duc Antoine de Lorraine, mort le 15 juillet 1544, lors du siège de Saint-Dizier. Selon la légende, le jeune prince agonisant aurait émis le vœu d’être représenté, sur sa sépulture, dans l’état qu’il serait trois ans après son dernier souffle. Ligier Richier se serait alors appliqué à sculpter son œuvre, d’après le cadavre qu’on aurait fait exhumer pour l’occasion.
Les historiens ont prouvé qu’il s’agissait bien là d’une légende. Une légende suscitée par une œuvre saisissante et exceptionnelle. Un monument de l’art lorrain, qui nous renvoie à notre propre humanité, en nous criant combien la vie est brève. Et combien il faut l’aimer !