Pour la plupart des Lorrains, Thionville (Diddenuewen) est une cité qui n’a pas d’autre histoire que celle des usines et des hauts-fourneaux qui cernaient jadis la place, avant que celle-ci n’ait su tirer son épingle du jeu de la reconversion industrielle en se plaçant dans l’orbite du très attractif Luxembourg. Ce dernier fait, d’ailleurs, assure au Thionville d’aujourd’hui une relative prospérité, qui se paye toutefois assez cher. Essayez, par exemple de prendre l’A31, le matin, à huit heures, en direction du Luxembourg … De Thionville à la frontière, ce ne sont qu’embouteillages et ralentissements. Il faut dire que, chaque jour, ce ne sont pas moins de 100 000 Lorrains qui vont « bosser au Lux’ » pour recevoir un salaire un peu plus confortable, il est vrai, que ce qui est ordinairement perçu en France. Voilà une application assez nette, au fond, de ce que permet l’Europe. L’Europe actuelle du moins. Celle des accords de Schengen et du Traité de Maastricht.
Car si on remonte un peu le cours de l’histoire, on se rend compte que Thionville, il y a 1 200 ans, jouait un autre rôle au cœur de l’Europe. Et franchement, non des moindres. Cité pour la première fois en 707 sous la forme germanique Dietenhoven puis, en 753 sous la forme latine Theodonis villa, Thionville s’est développé, dès le Haut Moyen-âge, sur la rive gauche de la Moselle, le long de l’importante voie romaine qui, depuis des siècles, reliait le bassin méditerranéen à l’Europe septentrionale. Le « domaine de Theudo », comme le désignent les actes anciens, va connaître, à l’époque carolingienne, une certaine fortune, puisque plusieurs souverains vont faire de Thionville l’une de leurs résidences favorites.
On sait, par les chroniques anciennes, que les rois carolingiens, Charlemagne en tête, appréciaient de se retirer dans leur palais de Thionville. Les immenses forêts qui entouraient la bourgade leur permettaient de s’adonner à la chasse à courre, activité royale par excellence et qui restait sans conteste leur occupation préférée. A la Noël de l’an 805, c’est à Thionville que Charlemagne fait rédiger son testament politique, la fameuse Divisio regnorum, dans laquelle il prévoit un premier partage de son empire.
Seize ans plus tard, en 821, c’est à Thionville que Lothaire, l’aîné des petits-fils de Charlemagne épouse, en grande pompe, la belle Ermengarde de Tours.
En février 835, c’est encore à Thionville que se tient le célèbre concile qui va réhabiliter l’Empereur Louis le Pieux, héritier de Charlemagne, dans ses droits et ses prérogatives impériales. Celui-ci, qui avait été condamné deux ans auparavant par l’Archevêque de Reims Ebbon, se serait alors exclamé « l’Eglise m’a condamné, c’est à l’Eglise de m’absoudre maintenant ! L’Eglise m’a privé de mon épée, c’est à l’Eglise de me la rendre maintenant ». Pour cela, Louis fait réunir à Thionville les archevêques de Trèves, Mayence, Tours et Rouen, les évêques de Bourges, Noyon, Toul, Soissons, Meaux, Verdun ou encore Amiens. Tous viennent à Thionville recevoir une véritable soufflante de la part de l’Empereur. Ce dernier va ainsi, à Thionville, redorer son blason et réaffirmer, aux yeux de l’Eglise, le caractère sacré et suprême de la dignité impériale.