A une douzaine de kilomètres au Sud de Metz, au fond d’un étroit vallon où coule une rivière, le village de Gorze mérite qu’on s’y arrête. La localité est en effet riche d’un passé qui consiste, surtout, en une vaste église, un palais abbatial, quelques belles maisons lorraines et un petit musée, un peu désuet, mais dans lequel on vous explique comment le chant grégorien est né … à Gorze !
C’est une histoire à la fois surprenante et fascinante. Une histoire qui commence à l’aube de l’époque carolingienne. Nous sommes au milieu du VIIIème siècle. En l’An de l’Incarnation 749. Chrodegang est alors évêque de Metz, l’une des cités les plus riches et prospères d’Occident. Le prélat, désireux de remettre un peu plus d’ordre dans les affaires de l’Eglise, décide de fonder, dans la solitude boisée d’un vallon perdu sur la rive gauche de la Moselle, un petit monastère. L’Abbaye de Gorze voit ainsi le jour. Elle se développe rapidement, attire des moines zélés et soucieux de donner un nouvel éclat à la liturgie romaine. De retour d’un voyage à Rome, vers l’an 755, l’évêque Chrodegang demande aux prêtres de son diocèse de célébrer l’office selon le rituel du chant vieux-romain. Basé sur la monodie, avec, comme le faisaient les Byzantins, des fioritures ornementales au début et à la fin des mots, ce type de chant était certes assez esthétique, mais présentait le défaut de rendre la liturgie inintelligible. Chrodegang choisit donc de le modifier. Tout en gardant le rituel romain, il décide, avec l’aide des moines de Gorze, de développer une nouvelle manière de chanter, a cappella et à l’unisson. Le résultat est peut-être un peu moins ornemental, il est vrai, mais tout aussi solennel et grandiose. Une nouvelle manière de rendre gloire à Dieu venait de naître. Et comme cette renaissance musicale s’était faite à Metz ou dans la région messine, on a pris l’habitude de désigner l’œuvre de Chrodegang sous le nom de Cantilena metensis, c’est-à-dire de « chant messin ».
L’Ecole de Metz finit par faire florès, développe et exporte ses nouvelles mélodies, si bien qu’aux alentours de l’An Mil, toute l’Europe ou presque chante le Cantilena metensis que d’aucuns appellent, en hommage au pape musicologue, chant grégorien.
Au XIème siècle, la notation des neumes sur la portée à quatre lignes, attribuée au moine italien Guido d’Arrezzo, va permettre de fixer de manière certaine ces mélodies religieuses. Jusqu’alors, on avait coutume de transmettre les mélodies oralement ou, dans le meilleur des cas, en inscrivant des petits signes, à la plume, au-dessus du texte qui était à chanter. Avec l’apparition de la portée, les airs musicaux sont désormais notés, et donc enregistrés. On les retrouve, ces mélodies, dans les manuscrits anciens, sur des portées de quatre lignes et où les notes ne sont pas rondes, mais carrées, puisqu’il était tout simplement plus facile de tracer à la plume d’oie un petit carré plutôt qu’un cercle ou un ovale. Alors si vous croisez, à Gorze, quelques marcheurs avec des écouteurs sur les oreilles, gageons que ceux-ci écoutent quelques cantiques en grégorien !