Depuis les années 1630 le Royaume de France, en difficulté avec le Duché de Lorraine, envoie ses troupes de soudards piller les villages, apporter peste et désolations et ravager les splendeurs du duché. Afin d’annexer cet Etat insoumis, Louis XIII et le Cardinal de Richelieu assiègent La Mothe, puissante ville-forteresse de 4 000 habitants que défendent vaillamment les troupes lorraines jusqu’à sa destruction totale. C’est ce combat, ce pan douloureux de l’histoire de la Lorraine qu’a abordé en 1997 le célèbre homme de lettres et conférencier vosgien Gilles Laporte à travers son très poignant roman Les Dernières violettes de La Mothe. L’ouvrage, qui a reçu le Prix Plume de Vair et le Prix Sadler de l’Académie de Stanislas, rafraîchit la mémoire et rappelle que la Lorraine n’est française que depuis la fin du XVIIIème siècle. Militant de la cause lorraine qui place toujours la femme au centre de ses œuvres, Gilles Laporte revient avec nous sur son roman historique qui se veut aussi être porteur d’espoir face aux troubles de notre époque.
BLE Lorraine : Quelle histoire souhaitiez-vous raconter à travers ce roman historique ? Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?
Gilles Laporte : « Les violettes sont, chaque année, au sortir de l’hiver, l’annonce de jours meilleurs. Discrètes, sous la mousse, elles réveillent la nature, parfument la campagne et, par leur couleur faite d’égales proportions de rouge et de bleu, nous rappellent que la lucidité et l’action réfléchie, l’équilibre entre terre et ciel, sens et esprit, passion et intelligence, amour et sagesse sont l’essence même de notre monde, la condition de son épanouissement paisible et ordonné selon les lois naturelles, ce que savaient et vivaient les Lorrains de ce temps, avant leur anéantissement par les armées royales françaises. Chaque année, au printemps, les violettes couvrent la prairie de la pointe d’Isches, sous La Mothe, comme pour nous rappeler cet essentiel. J’ai voulu faire de mon roman un hommage rendu aux femmes et aux hommes de cette Lorraine paisible et travailleuse admirée par Montaigne en 1580 durant son voyage vers l’Alsace et la Suisse, gens courageux attachés à leur terre, à leur culture, à leur bienveillante Maison souveraine. Restituer ce qu’était la vie au quotidien de nos Mothoises et Mothois, des laboureurs et manouvriers, artisans, serviteurs, charbonniers, laïcs, clercs dont les chanoines de la Collégiale et les religieuses fondatrices de la Congrégation Notre-Dame avec Saint Pierre Fourier, était mon objectif, tant pour le temps de paix que durant les sièges qu’ils ont eu à subir. Rappeler aussi ce que furent leur courage et leur fidélité au Duc Charles IV, souverain tellement malmené par l’histoire de France officielle. »
BLE Lorraine : Quels rôles ont joué les femmes lorraines dans la défense de La Mothe ? En quoi vous ont-elles inspiré ?
GL : « Comme durant tous les conflits engendrés par les hommes, les femmes ont joué un rôle essentiel de transmission des valeurs fondamentales de la société lorraine – courage et fidélité -, de respect de l’ordre social pourvu qu’il fût juste, de permanence dans l’engagement au service de la collectivité. Elles ont été exemplaires, aussi bien dans les couvents que comptait la cité, que dans les familles éprouvées par la violence des combats, dans les tavernes où, souvent, elles allaient relancer des hommes militaires ou civils épuisés par les combats ou désespérés, sur les courtines, où elles suppléaient aux soldats mis hors de combat. Les femmes de La Mothe furent l’âme de la cité martyre, l’incarnation de son passé prestigieux, les porteuses de ses lendemains espérés malgré la stratégie de ruine totale pratiquée par la France. Leur force m’a inspiré, leur confiance en l’avenir, leur détermination, leur vision d’une permanence historique dont nous devons alimenter notre citoyenneté de Lorrains du XXIème siècle, que notre mémoire se doit d’honorer aujourd’hui encore. »
BLE Lorraine : Que représente le site de La Mothe pour vous et pour la Lorraine ? En quoi son histoire tragique et ces évènements vous touchent-ils ?
GL : « Raconter l’histoire de la prestigieuse cité de La Mothe, c’est rappeler l’histoire de la Lorraine, sa situation et son rôle en Europe depuis l’héritage de Charlemagne et le partage de son empire jusqu’à nos jours. C’est aussi, par l’entretien du souvenir de sa grandeur, de son rayonnement, par l’évocation de ses expériences politiques passées, participer à la construction européenne tellement balbutiante encore en 2021. Comment ne pas voir en Jean de Pange et Robert Schuman, pères de l’idée européenne, les légataires universels du patrimoine spirituel et institutionnel de nos anciens ? Leur engagement d’une vie, leur œuvre récupérée, malheureusement altérée par des adorateurs du veau d’or économique et financier, était de nature à nous mener vers « l’Europe des peuples » tellement souhaitée par SAIR Otto de Habsbourg-Lorraine, tellement évoquée déjà par Victor Hugo – Lorrain par son père – dans ses perspectives d’« Etats-Unis d’Europe » … Europe des peuples plutôt que l’Europe des marchés que nous subissons aujourd’hui. Cette histoire me touche en ce qu’elle est d’une actualité brûlante, en ce qu’elle est toujours porteuse de perspectives plus lumineuses que les tunnels ténébreux que nous traversons depuis quelques décennies. Elle me porte à l’optimisme ! »
BLE Lorraine : La cité fortifiée de La Mothe a été littéralement rayée de la carte par la France, sa mémoire a été enfouie sous une épaisse forêt et le site a été intégré au département de la Haute-Marne. Pourquoi un tel acharnement et tant de mal ? La Mothe devrait-elle être réintégrée dans les Vosges ?
GL : « Tel était l’ordre des choses imposé par la monarchie française, l’une des plus conquérantes, « colonisatrices » et centralisatrices d’Europe. Seuls des obstacles naturels -Pyrénées, Alpes, Rhin – pouvaient limiter l’appétit de ses souverains insatiables de Droit divin ignorant du Droit des Hommes. Fidèles à leur Maison ducale, les Lorrains étaient promis à l’extermination ou à la soumission (Testament politique de Richelieu). Nombre d’entre eux – les plus résistants – ont été massacrés par les hordes protestantes alliées du Roi de France, envoyés aux galères royales, ou déportés dans les « terres nouvelles d’Amérique ». Devenue capitale de l’Etat lorrain après la prise et l’occupation de Nancy par l’armée royale en août 1633, La Mothe était condamnée à disparaître, avec elle tout ce qui pouvait entretenir la mémoire de ce qu’avait été la Lorraine, Etat souverain, libre et indépendant défendu vaillamment par le Duc Charles IV. Disparaître par la dispersion de ses archives et survivants, la destruction de ses immeubles, rues et monuments, la situation de son site dans un département autre que ceux issus de l’ancien Duché de Lorraine, la Haute-Marne. Que le site de La Mothe (re)devienne vosgien … pourquoi pas ? Une telle décision administrative – et politique – serait de nature à rendre moins convulsive la relation de notre pays avec sa propre histoire. Mais l’essentiel est, pour moi, que la mémoire ne se perde pas, de ce que nous fûmes autrefois, de ce que nous étions hier – les Lorrains ont prouvé leur attachement à la France par le sang versé et l’engagement spontané, le baptême de la Place des Vosges à Paris en témoigne, que se nourrisse par le symbole de la Croix de Lorraine indissociable désormais de la notion de Libération, l’espoir d’une Europe plus juste et fraternelle. »
Toujours aussi intéressant et instructif de lire les commentaires de Gilles Laporte