Le Droit Local en vigueur en Alsace et en Moselle demeure une curiosité non seulement pour les personnes qui arrivent d’autres départements mais aussi, bien souvent, pour les Alsaciens et les Mosellans eux-mêmes.
On connait un peu les particularités locales sur le régime des cultes et sur le statut scolaire. On connait beaucoup moins les dispositions considérées comme des atteintes aux libertés religieuses. L’affaire Mila, du prénom de cette adolescente menacée de mort après avoir tenu sur les réseaux sociaux des propos insultants envers l’islam, a relancé le débat sur le blasphème. En France, critiquer une religion n’est plus un délit depuis 1792, cependant insulter une personne en raison de sa religion est punissable. En Alsace et en Moselle, le délit dit de blasphème a connu une histoire mouvementée avant sa suppression en 2017.
On a souvent critiqué l’archaïsme du Droit Local en mettant en avant l’existence du délit de blasphème. Deux articles du Code pénal local (Code pénal allemand) de 1871, l’un visant les blasphèmes, outrages ou injures, l’autre concernant les entraves au libre exercice du culte ont été souvent confondus. L’Article 166, non traduit officiellement en langue française, pourrait se décliner comme suit : « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus . »
L’Article 167 a quant à lui été traduit en français en 2013 : « Celui qui, par voies de fait ou menaces, empêche une personne d’exercer le culte d’une communauté religieuse établie dans l’Etat, ou qui, dans une église ou dans un autre lieu destiné à des assemblées religieuses, empêche ou trouble par tapage ou désordre, volontairement, le culte ou certaines cérémonies du culte d’une communauté religieuse établie dans l’Etat, est passible d’un emprisonnement de trois ans au plus. »
Ces infractions étaient des délits punis d’une peine d’emprisonnement maximum de trois ans. Aucune peine de prison n’a jamais été prononcée et ces textes n’ont fait l’objet que de peu de jurisprudence. Le Tribunal Correctionnel de Metz avait appliqué le 21 octobre 1952 l’Article 166 du Code pénal, « considérant que le fait de sonner les cloches, puis de donner un coup au curé en le traitant de “jeune morveux”, pendant la cérémonie de baptême, en semaine, dans une église catholique, constituaient des actes injurieux et scandaleux ». Le prévenu fut condamné à 6 000 francs d’amende. De même, cette disposition avait trouvé application en 1954, lorsque le Tribunal Correctionnel de Strasbourg avait condamné sur le double fondement des Articles 166 et 167 du Code pénal local des perturbateurs d’un office religieux à la cathédrale de Strasbourg. Mais la Cour d’Appel de Colmar, dans un arrêt du 19 novembre 1954, n’avait retenu que l’incrimination relative au trouble à l’exercice du culte.
Dans une décision du 30 novembre 2012 sur le régime des corporations obligatoires en Alsace et en Moselle, le Conseil Constitutionnel avait considéré que l’absence de version officielle en langue française d’une disposition législative portait atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi. A la lumière de la décision du Conseil Constitutionnel et de son commentaire, le gouvernement avait procédé à la traduction officielle de nombreuses dispositions allemandes dans un décret du 14 mai 2013. La liste des textes adoptés avait été également publiée dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de la Moselle (Arrêté du 15 mai 2013), ainsi que dans ceux des préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin (Arrêté du 29 août 2013) en oubliant l’Article 166 du Code pénal local ! On pouvait donc conclure que le délit de blasphème d’Alsace et de Moselle, qui était issu d’un texte en langue allemande n’ayant pas fait l’objet d’une publication officielle en français, ce qui lui enlevait son caractère opposable, était tout simplement inapplicable. Cette interprétation a été confirmée dans une réponse écrite au sénateur lorrain Patrick Abate (Journal Officiel du Sénat du 17/12/2015) : du fait de cette absence de traduction, cet article ne peut dès lors plus être appliqué par les juridictions françaises dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Les protestations d’associations de défense de la laïcité et les recommandations de l’Observatoire de la laïcité en 2015 pour un alignement sur le droit général des cultes ont été finalement prises en compte dans une loi du 27 janvier 2017 abrogeant l’Article 166 du Code pénal local et modifiant l’Article 167. Transformé par l’Article 172 de la loi du 27 janvier 2017, l’Article 167 du Code pénal est rédigé de la façon suivante : « les Articles 31 et 32 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat sont applicables ». L’Article 31 de la loi de 1905 punit de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. L’Article 32 punit de la même peine ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
Si le délit de blasphème de Droit Local est purement et simplement supprimé, la loi de 2017 ouvre une curieuse brèche en introduisant deux articles de la loi du 9 décembre 1905 qui n’est pas applicable en Alsace et en Moselle.
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